En définissant le produit comme tout bien meuble même s’il est incorporé
dans un immeuble, la directive du 25 juillet 1985 en matière de responsabilité du fait
des produits défectueux englobait dans son champ d’application les éléments d’une
construction, qu’il s’agisse de matières premières, de produits finis ou de produits
manufacturés, y compris les composants réalisés en vue d’une finalité spécifique
d’utilisation et destinés à répondre à des exigences précises et déterminées à l’avance,
plus connus sous le nom d’E.P.E.R.S(141). La doctrine redoutait un télescopage qui
paraissait inévitable entre le régime de la responsabilité du fait des produits
défectueux issu de la directive et le régime spécifique de la responsabilité des
constructeurs issu de la loi du 4 janvier 1978(142) et codifié aux articles 1792 et suivants
du Code civil.
La loi du 19 mai 1998 in fine, en son article 1386-6, écarte formellement de son
champ d’application les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le
fondement des articles 1792 à 1792-6 du Code civil, c’est-à-dire les professionnels
tenus à garantie décennale et biennale. Cette exclusion, toutefois, ne suffit pas à
empêcher tout impact de la loi nouvelle sur la responsabilité des intervenants à l’acte
de construire(143).
A. Les personnes soumises à la responsabilité décennale et biennale
L’article 1792 du Code civil met à la charge du constructeur d’immeuble une
responsabilité renforcée(144) pour les dommages qui compromettent la solidité de
l’ouvrage ou le rendent impropres à sa destination que seule peut écarter la preuve
d’une cause étrangère. Cette responsabilité est tantôt biennale, tantôt décennale.
L’architecte, l’entrepreneur, le technicien lié au maître de l’ouvrage par un contrat de
louage d’ouvrage (article 1792-1 du Code civil), le vendeur d’un immeuble qu’il a
construit ou fait construire, le fabricant d’éléments pouvant entraîner la
responsabilité solidaire (article 1792-4 du Code civil), le vendeur d’immeuble à
construire (article 1646-1 du Code civil), le promoteur (article 1831-1 du Code civil) et
le constructeur de maison individuelle (article 231-1 du Code de la construction et de
l’habitat) demeurent soumis au régime spécifique du droit de la construction(145).
B. Les fabricants de matériaux hors E.P.E.R.S.
Certains intervenants à l’opération de construction ne sont pas soumis à la
responsabilité des articles 1792 et suivants du Code civil. Il s’agit des sous-traitants,
des fabricants de matériaux indifférenciés, des fabricants d’éléments d’équipement
non constitutifs d’éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire (E.P.E.R.S.)
et des fournisseurs de tous matériaux. Une distinction s’impose ici entre le fabricant
et le fournisseur. La responsabilité du fait des produits défectueux pèse sur le
fabricant, non sur le fournisseur lequel n’est soumis qu’à une responsabilité
éventuelle qui n’a d’autre but que d’organiser efficacement l’identification du
producteur stricto sensu(146) : le fournisseur écarte sa « responsabilité » en
communiquant l’identité du producteur. Il s’ensuit que dans le domaine de la
construction, seuls les fabricants de matériaux indifférenciés et les fabricants
d’éléments d’équipement non constitutifs d’E.P.E.R.S. sont soumis au régime des
articles 1386-1 et suivants du Code civil. En ce cas, la mise en circulation concerne le
produit atteint du défaut. Les sous-traitants et les fournisseurs de matériaux, qui ne
sont pas producteurs, demeurent soumis au droit commun contractuel et délictuel :
ils continueront de voir leur responsabilité engagée en vertu du contrat conclu avec
le maître d’ouvrage (garantie des vices cachés, défaut de conformité, faute).
C. Le risque de dénaturation de la responsabilité de plein droit
Le droit de la construction, tôt ou tard, devra s’aligner sur la nouvelle
définition de la force majeure introduite par le droit communautaire – l’ancien cas
fortuit – et autoriser l’exonération du constructeur par le risque de développement.
1. Les constructeurs et fabricants d’E.P.E.R.S.
Dans le régime de responsabilité de plein droit qui pèse sur les constructeurs
et sur les fabricants d’E.P.E.R.S., la force majeure est une cause d’exonération, non
seulement dans les rapports entre constructeurs (le partage de leur responsabilité est
soumis à l’appréciation du rôle causal de leurs fautes respectives), mais aussi à
l’égard du maître de l’ouvrage comme de l’acquéreur de l’immeuble(147). Mais
l’évènement de force majeure, pour être exonératoire, doit être imprévisible,
irrésistible et extérieur à l’activité du constructeur. Le risque de développement
inhérent à un matériau ou à une technique n’a jamais été retenu par la jurisprudence
comme une cause étrangère exonératoire(148).
2. Les fabricants de tous autres matériaux
Les personnes qui ont participé à l’opération de construction et qui ne sont pas
soumises à la responsabilité présumée des articles 1792 et suivants du Code civil ont
la faculté d’invoquer le risque de développement sur le fondement de la
responsabilité du fait des produits défectueux. La condition d’extériorité, que la
jurisprudence exige à l’égard des constructeurs, est écartée donc pour les fabricants
de produits autres que les E.P.E.R.S.(149). Les constructeurs, quant à eux, restent soumis
à la responsabilité des articles 1792 et suivants du Code civil et à l’exonération par la
seule force majeure telle que définie par la jurisprudence. Cette divergence entraîne
une inégalité de traitement injustifiable entre les constructeurs et fabricants
d’E.PE.R.S. d’une part, et les fabricants de tous autres matériaux d’autre part.
142 Loi n° 78-12 du 4 janvier 1978, J.O. du 5 janvier 1978
143 LEGUAY Gilles, Responsabilité et assurance du fait des produits défectueux, Revue de droit immobilier,
1998 page 663 ; MALINVAUD Philippe, Transposition de la directive CEE n° 85/374 du 25 juillet 1985
relative au rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives des Etats membres en
matière de responsabilité du fait des produits défectueux, Revue de droit immobilier 1998 page 641
144 PERICAUD Jean-François, op. cit.
145 LARROUMET Christian, La responsabilité du fait des produits défectueux après la loi du 19 mai 1998, D.
1998 page 311 ; VINEY Geneviève, L’introduction en droit français de la directive du 25 juillet 1985 relative
à la responsabilité du fait des produits défectueux, D. 1998 page 291 ; MALINVAUD Philippe, La loi du 19
mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et le droit de la construction, D. 1999 page
85 ; GRYNFOGEL Catherine, La mise en oeuvre de la directive sur la responsabilité du fait des produits
défectueux : heurs et malheurs de l’harmonisation européenne, Gaz. Pal. 20 mai 2003, n° 140 page 2 ;
PERICAUD Jean-François, De l’incidence des causes étrangères exonératoires de la responsabilité sur la faute
des constructeurs et le risque de construire, Gaz. Pal. 25 mai 2006, n° 145 page 24
146 GRYNFOGEL Catherine, op. cit.
147 PERICAUD Jean-François, op. cit.
148 MALINVAUD Philippe, op. cit.; GRYNFOGEL Catherine, op. cit. ; OUDOT Pascal, Le risque de
développement : contribution au maintien du droit à indemnisation, Editions Universitaires de Dijon, 2005
149 PERICAUD Jean-François, op. cit.