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§ 1. L’exclusivité rationae materiae

ADIAL

Reprenant les termes de l’article 13 de la directive communautaire du 25 juillet
1985, l’article 1386-18 du Code civil issu de la loi de transposition du 19 mai 1998
dispose que « le présent titre ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un
dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou
extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité ».
A. La portée de l’article 1386-18 du Code civil
L’article 1386-18 du Code civil n’avait pour but que de sauvegarder la loi
allemande du 24 août 1976(164) organisant une responsabilité pour risque à la charge
des fabricants de produits pharmaceutiques(165). Sa rédaction lui a donné une portée
« désastreuse(166) » : il a été compris en ce sens que les victimes conservaient la
possibilité d’agir sur le fondement des règles de la responsabilité civile de droit
commun afin d’échapper à l’exonération pour risque de développement(167). Il a en

tout cas, par erreur ou par calcul, été présenté ainsi aux parlementaires qui ont voté
la loi du 19 mai 1998(168). Mais une loi ne peut, sans contradiction et surtout sans nuire
à son effectivité, permettre un recours là où elle prévoit l’exonération. C’est donc
sans surprise que la Cour de justice des communautés européennes a affirmé, par
trois arrêts en date du 25 avril 2002(169), la primauté du régime de responsabilité mis en
place par la directive : « l’article 13 ne saurait être interprété comme laissant aux Etats
membres la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des
produits défectueux différents de celui prévu par la directive ». En d’autres termes, la
loi de transposition de la directive abroge nécessairement une disposition antérieure
en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, peu important qu’elle
fût plus ou moins favorable aux victimes, lorsque la règle ancienne et la règle
nouvelle ont le même fondement(170). Ce n’est finalement que l’application de la règle
traditionnelle : specialia generalibus derogant(171). Fort logiquement, la Cour de cassation
a récemment confirmé que le régime de responsabilité du fait des produits
défectueux exclut l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou
délictuelle de droit commun fondés sur le défaut de sécurité d’un produit, à
l’exception de la responsabilité pour faute et de la garantie des vices cachés(172).
Il s’en déduit a contrario que la victime d’un produit défectueux pourrait agir
sur un fondement différent, contractuel ou extracontractuel, tels que la faute et la
garantie des vices cachés.

B. Le droit commun résiduel
L’action en responsabilité sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code
civil suppose l’existence d’une faute distincte du défaut de sécurité lui-même. En
présence d’un véritable risque de développement, où aucune faute n’a été commise
puisque le défaut était parfaitement indécelable, la victime ne manquera pas de se
voir opposer les moyens de défense permettant au défendeur d’établir son absence
de faute(173).
Reste la garantie des vices cachés. La garantie des vices cachés est une action
en résolution de la vente et restitution du prix étrangère à la responsabilité civile
(article 1644 du Code civil). Elle n’a pas pour finalité de réparer les dommages causés
par le produit à une personne ou à un bien(174), car elle concerne l’utilité du produit et
sa fonction est de réparer les dommages causés à la chose viciée elle-même, ce qui est exclu
du champ d’application de la loi du 19 mai 1998 (article 1386-2 du Code civil)(175).
L’intérêt d’une telle action est limité par plusieurs difficultés.

1. La recevabilité de l’action en garantie des vices cachés

L’action en garantie des vices cachés que connaît le droit français de la vente
permettrait d’agir contre tout fournisseur. Or, la voie de l’action menée à l’encontre
du fournisseur est fermée dans le cas où le producteur est connu, puisque la
responsabilité de celui-ci est principale alors que la responsabilité de celui-là n’est
que subsidiaire. Cette subsidiarité imposée par le droit d’origine communautaire
compromet la possibilité de poursuivre le fournisseur sur le fondement du droit
commun(176), car elle reviendrait à contourner le régime de la responsabilité du fait des
produits défectueux qui ne permet d’agir que contre le producteur principalement(177).
2. L’existence d’un contrat de vente
L’action en garantie des vices cachés, à la supposer recevable, requiert tout
d’abord l’existence d’un contrat de vente, ce qui exclut les cas où le lien entre le
producteur et la victime n’est pas un contrat de vente(178) ; de ce fait, elle ne bénéficie
qu’à l’acheteur et aux sous-acquéreurs (article 1645 du Code civil)(179). Ensuite, elle
suppose un vice rendant la chose impropre à l’usage auquel on la destine (article
1641 du Code civil), ce qui ne sera pas le cas lorsque le dommage aura été causé par

le vice indécelable d’un produit, car le vice indécelable ne rend pas la chose impropre
à son usage. Enfin, et surtout, elle ne permettra pas l’indemnisation de la victime.
3. La réparation des dommages
L’action en garantie à l’encontre du vendeur est fortement fragilisée par
l’admission de l’exonération pour risque de développement dans notre droit.


La connaissance du vice

Le vendeur n’est tenu des dommages intérêts que s’il connaissait les vices de
la chose (article 1645 du Code civil) : le vendeur qui ignorait les vices de la chose, et
c’est le présupposé s’agissant d’un risque de développement, ne sera tenu que de la
restitution du prix (article 1646 du Code civil). Certes, pour la jurisprudence, les vices
internes de la chose sont présumés, de manière irréfragable, connus du vendeur
professionnel(180). Mais une telle présomption, qui est une « hérésie(181) » juridique parce
qu’une présomption ne peut qu’être simple, à moins d’être une règle de fond, a
d’autant moins de sens en la matière que le défaut était inconnaissable compte tenu
de l’état de la technique et de la science lors de la mise sur le marché. C’est plutôt une
présomption d’ignorance du vice – que l’évolution de la science va permettre de
révéler – dont le vendeur pourrait se prévaloir dans l’hypothèse d’un risque de
développement(182). La jurisprudence ne pourra plus imposer, en présence d’un risque
de développement, une présomption irréfragable de connaissance du vice à
l’encontre d’un vendeur alors que les mêmes circonstances entraînent l’exonération
du fabricant lui-même !

La cause étrangère

Selon l’article 1648 du Code civil, « il n’y a lieu à aucun dommages et intérêts
lorsque par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché
de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ».
Lorsque les conditions en sont réunies, la force majeure peut exonérer le vendeur de
la garantie des vices cachés. Certes, le risque de développement n’est pas extérieur au
produit vicié, mais il est imprévisible et inévitable parce qu’indécelable. Plusieurs
éléments permettent de rattacher le risque de développement à la force majeure.
(i) L’extériorité psychologique

On peut tout d’abord considérer que le risque de développement, indécelable
en l’état des connaissances scientifiques et techniques, imprévisible et irrésistible,
présente un caractère externe. En effet le caractère indécelable du vice entraîne une

ignorance insurmontable qui peut être assimilée à une extériorité psychologique : ce
qui est inconnaissable et hors de portée est extérieur à la sphère de liberté et d’activité
du producteur.
(ii) La force majeure interne
Le risque de développement peut être assimilé à une force majeure interne,
une force majeure dont la condition d’extériorité aurait disparu et qui pourrait
redevenir l’ancien cas fortuit. La force majeure a un effet exonératoire parce qu’elle
rompt le lien de causalité entre le fait générateur, que l’on envisage d’imputer au
défendeur, et le dommage. Exiger de la force majeure qu’elle soit imprévisible et
irrésistible, c’est indirectement demander au défendeur de prouver qu’il ne pouvait
raisonnablement ni prévoir ni prévenir le dommage, donc qu’il n’a pas commis de
faute. Exiger de la force majeure qu’elle soit extérieure, c’est empêcher le gardien
d’une chose de s’exonérer par la preuve du caractère indécelable du vice de la
chose(183.) La condition d’extériorité, qui n’a aucune justification théorique, n’a pas
d’autre utilité. C’est pourquoi la Cour de cassation a admis qu’un phénomène interne
– la maladie – puisse constituer un cas de force majeure(184). Dans le cas du risque de
développement, l’existence du lien de causalité entre le défaut du produit et le
dommage n’est pas remise en cause : c’est l’imputabilité du fait dommageable au
défendeur qui est écartée(185).

(iii) La rupture du lien de causalité

Finalement, il n’est pas interdit de penser que lorsque le fait dommageable a
pour origine un défaut que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au
moment de la mise en circulation, ne permettait pas de déceler, une autre
circonstance, insurmontable, a joué un rôle causal dans sa survenance : l’impossibilité
objective de déceler le défaut au moment de la mise en circulation du produit. Cette
impossibilité est constitutive d’une cause étrangère présentant les caractéristiques de
la cause étrangère au sens de l’article 1648 du Code civil, car le débiteur est
véritablement empêché.
Une partie de la doctrine exprimait, au lendemain de la transposition de la
directive communautaire relative à la responsabilité du fait des produits défectueux,
sa crainte de voir la condition d’extériorité de la force majeure abandonnée par la
jurisprudence et le risque de développement assimilé, par un effet de contagion, à la
force majeure exonératoire de droit commun(186). Cette crainte est parfaitement fondée.
Le législateur a choisi de consacrer l’exonération par le risque de développement

dans le droit commun de la responsabilité du fait des produits défectueux applicable à
toutes les victimes, qu’elles soient ou non liées par un contrat avec le producteur, et
cela entraînera une modification de la notion de force majeure applicable à tout le
droit de la responsabilité, contractuelle ou délictuelle(187). La jurisprudence, lorsqu’elle
sera amenée à prendre position, pourra difficilement limiter l’effet exonératoire du
risque de développement à la seule responsabilité du fait des produits défectueux.
Refuser de donner un effet exonératoire au risque de développement dans le droit de
la vente ou dans le droit de la construction serait une position insoutenable. Car il est
inexact de ne pas voir dans le vice indécelable une cause étrangère imprévisible et
irrésistible, il est incohérent de décider que le vendeur professionnel en a
nécessairement connaissance, puisque le risque de développement est
nécessairement ignoré, et il serait injuste de traiter le vendeur plus durement que le
producteur qui est pourtant le plus à même, de par sa compétence, d’empêcher la
survenance d’un défaut et sur lequel le régime des articles 1386-1 et suivants du
Code civil concentre la responsabilité.

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164 Gesetz zur Neuordnung des Arzneimittelrechts, 24 août 1976, B.G.B.L., I, page 2445
165 LAMBERT-FAIVRE Yvonne, Risques et assurances des entreprises, 3ième édition, Dalloz, 1991 ; VINEY
Geneviève, L’introduction en droit français de la directive du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait
des produits défectueux, D. 1998 page 291 ; LARROUMET Christian, Les transpositions françaises et
espagnoles de la directive sur les produits défectueux devant la C.J.C.E., D. 2002 page 2462 ; OUDOT Pascal,
Le piège communautaire de la responsabilité du fait des produits défectueux, Dr. & Patr. n° 111, janvier 2003 ;
PEIGNE Jérôme, Les personnes responsables : producteurs et distributeurs de produits de santé défectueux,
R.D.S.S. 2008 page 1015
166 LAMBERT-FAIVRE Yvonne, op. cit.
167 GOSSELAIN-GORAND Armelle, Les enjeux de l’harmonisation totale des législations des Etats membres
sur la responsabilité du fait des produits défectueux imposée par la directive du 25 juillet 1985, L.P.A. 18

décembre 2002, n° 252 page 4 ; OUDOT Pascal, Le risque de développement : contribution au maintien du
droit à indemnisation, Editions Universitaires de Dijon, 2005
168 GRYNFOGEL Catherine, La mise en oeuvre de la directive sur la responsabilité du fait des produits
défectueux : heurs et malheurs de l’harmonisation européenne, Gaz. Pal. 20 mai 2003, n° 140 page 2 ; J.O.
Sénat, 5 février 1998 page 671 ; LARROUMET Christian, op. cit. ; VINEY Geneviève, op. cit.
169 C.J.C.E., 25 avril 2002, affaires C-52/00, C-154/00 et C-183/00 ; LARROUMET Christian, op. cit. ;
GRYNFOGEL Catherine, op. cit.
170 LARROUMET Christian, op. cit. ; DEGROOTE D., BENAICHE Lionel, Responsabilité civile du fait des
produits défectueux : nouvelles perspectives au regard des arrêts du 25 avril 2002 de la Cour de justice des
Communautés européennes, Méd. et droit, n° 60, 2003 page 73 ; MAZEAUD Denis, Rapports entre le
régime mis en place par la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité des produits défectueux et les autres
régimes de responsabilité, D. 2003 page 463
171 OUDOT Pascal, op. cit.
172 LEVENEUR Laurent, Note sous Cass. Com., 28 mai 2010, J.C.P. éd. E. n° 34, 26 août 2010 page 1721

173 OUDOT Pascal, L’application et le fondement de la loi du 19 mai 1998 instituant la responsabilité du fait
des produits défectueux : les leçons du temps, Gaz. Pal. 15 novembre 2008, n° 320 page 6
174 CALVO Jean, La responsabilité du fait des effets secondaires des produits de santé, L.P.A. 16 février 1999,
n° 33 page 14 ; VINEY Geneviève, op. cit.
175 MALINVAUD Philippe, La loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et
le droit de la construction, D. 1999 page 85
176 GOSSELAIN-GORAND Armelle, op. cit.; RIEHM Thomas, op. cit.
177 Pour un avis contraire : LAMBERT-FAIVRE Yvonne et PORCHY-SIMON Stéphanie, Droit du
dommage corporel, systèmes d’indemnisation, 6ième édition, Dalloz, 2009
178 BLOCH Laurent, Pour une autre présentation de la responsabilité du fait des produits de santé, R.C.A. n°
12, décembre 2009 étude 16 ; GRYNFOGEL Catherine, op. cit.
179 RIEHM Thomas, op. cit. ; LEVENEUR Laurent, Note sous Cass. Com., 28 mai 2010, J.C.P. éd. E. n° 34,
26 août 2010 page 1721

180 JOURDAIN Patrice, Le virus informatique, la force majeure et le risque de développement, RTD Civ. 1998
page 386
181 CHADELAT Catherine, Risque de développement, R.G.D.A. 1998 page 453
182 DEVAUX Claude, Le risque de développement in Encyclopédie de l’assurance, Editions Economica,
1998 page 1251

183 BORGHETTI Jean-Sébastien, La responsabilité du fait des choses, un régime qui a fait son temps, R.D.S.S.
2010 page 1
184 RADE Christophe, Médicament : risque de développement, note sous C.A. Paris, 1ère ch., 23 septembre
2004, R.C.A. n° 10, octobre 2005 commentaire 293 ; OUDOT Pascal, op. cit.
185 LARROUMET Christian, La notion de risque de développement, risque du XXI° siècle, in Clés pour le
siècle, Dalloz 2000 page 1589
186 CHADELAT Catherine, op. cit. ; JOURDAIN Patrice, Une loi pour rien ? R.C.A. juillet-août 1998
chronique 16 ; VINEY Geneviève, op. cit.; OUDOT Pascal, op. cit.

187 Pour un avis contraire : LARROUMET Christian, op. cit.