L’Etat assume trois fonctions principales dans le champ de l’assurance.
D’abord, il assure le contrôle prudentiel des entreprises. Ensuite, il se préoccupe de la
frontière de l’assurabilité des risques lorsque l’intérêt général le justifie(246). Enfin, il est
réassureur en dernier ressort en cas de catastrophes (par le biais de la Caisse centrale
de réassurance) et assureur en dernier ressort en sa qualité de garant de la solidarité
nationale en cas d’évènement extrême(247). Pour la couverture des risques
catastrophiques à probabilité extrêmement faible, il est nécessaire de combiner le
marché et l’intervention de l’Etat au-delà d’un certain seuil(248).
A. La Caisse centrale de réassurance
La Caisse centrale de réassurance, à l’origine établissement public, devenue
société anonyme en 1992, a parmi ses fonctions celle de réassureur ultime de certains
régimes spéciaux et celle de gestionnaire de fonds d’indemnisation. Les principales
opérations effectuées par la Caisse centrale de réassurance avec garantie de l’Etat
portent sur les risques exceptionnels et les risques nucléaires, les risques de
catastrophes naturelles et les risques d’attentats ou d’actes de terrorisme.
C’est parce que l’assurance permet la prise de risque indispensable à l’activité
économique et sociale que l’Etat s’en porte garant en contrôlant la solvabilité du
secteur de l’assurance à travers des autorités de régulation et de contrôle et en
permettant l’assurabilité des risques difficilement mutualisables. Lorsque la société a
défini les risques contre lesquels elle veut se prémunir, le rôle de l’Etat est alors de
garantir qu’il est possible de s’assurer à un coût raisonnable même si des coûts
potentiellement élevés et incertains portent certains risques aux limites de
l’assurable. La couverture des grands risques catastrophiques (catastrophes
naturelles, terrorisme) est possible parce que l’Etat prend à sa charge les tranches
supérieures d’indemnisation en cas de dommages très coûteux par l’intermédiaire de
la Caisse centrale de réassurance à laquelle il apporte sa garantie.
B. La complémentarité entre assurance et solidarité nationale
Le partage des rôles et la mutualisation des excédents de sinistres entre l’Etat
et les assureurs permettent la prise en charge de risques potentiellement
inassurables. Ces solutions mixtes semblent particulièrement bien adaptées aux
catastrophes engendrées par un risque de développement(249).
1. La couverture du risque terroriste
La mutualisation du risque terroriste a été recherchée par la constitution d’un
pool sous la forme d’un groupement d’intérêt économique, le Groupement des
assureurs et des réassureurs des attentats terroristes (GAREAT)250. Mis en place par le
décret du 28 décembre 2001, le pool rassemble les sociétés membres de la Fédération
française des sociétés d’assurance (F.F.S.A.) et du Groupement des entreprises
mutuelles d’assurances (G.E.M.A.) pour lesquelles l’adhésion est obligatoire. Il
assure la couverture des dommages matériels251 de la garantie Attentats,
obligatoirement incluse dans les contrats Dommages aux biens depuis la loi du 9
septembre 1986252, pour tous les risques dont les capitaux sont supérieurs à 6 millions
d’euro. En contrepartie, un taux de réassurance est appliqué aux cotisations. L’Etat
intervient par l’intermédiaire de la Caisse centrale de réassurance (C.C.R.) à laquelle
il assure une garantie illimitée. Les montants potentiellement illimités du risque
naturel ou du risque terroriste sont réassurés, ce qui permet leur couverture. Aussi
longtemps que les montants à indemniser ne dépassent pas une certaine limite,
l’assurance fonctionne normalement et ce n’est qu’en cas de dépassement que la
C.C.R. jouera son rôle de réassureur. Si ses capacités ne sont pas suffisantes, elle sera
renflouée par l’Etat.
Ce partenariat unissant le secteur public au secteur privé – le premier au
monde à se mettre en place – satisfait les réassureurs qui ont demandé, par
l’intermédiaire de l’Association des professionnels de la réassurance en France
(A.P.R.E.F.) que le système soit étendu pour couvrir les cas de terrorisme nucléaire(253)
2. L’assurance contre les catastrophes naturelles (Cat. Nat.)
L’intervention en dernier ressort de l’Etat peut être liée à une obligation
d’assurance. C’est le cas dans le système d’assurance contre les catastrophes
naturelles où la gestion privée des sinistres se conjugue avec l’intervention
publique254. L’assurance obligatoire imposée par la loi du 13 juillet 1982255 complétée
par la loi du 25 juin 1990 est payée par surcharge sur la prime payée par l’assuré dans
tous les contrats de dommages aux biens. Les assureurs concluent les contrats,
collectent les primes et indemnisent les victimes ; ils peuvent, en contrepartie, se
réassurer auprès de la Caisse centrale de réassurance qui bénéficie de la garantie
illimitée de l’Etat français. Cette garantie obligatoire cependant ne résout pas la
question des dommages corporels résultant d’une catastrophe. Une garantie
obligatoire « dommages corporels consécutifs à catastrophe (industrielle et/ou
naturelle) » a ainsi été proposée par la doctrine(256). On peut tout aussi bien imaginer
une garantie obligatoire « catastrophes sanitaires » qui couvrirait les dommages
corporels résultant d’un risque de développement.
3. Un système d’assurance contre les catastrophes sanitaires (Cat. San.) ?
Le risque de développement peut générer des sinistres à conséquences
catastrophiques conduisant à des montants de réparation susceptibles de mettre en
cause la stabilité financières de l’assureur. Il n’est pas assurable par le canal normal
des marchés concurrentiels malgré les mécanismes de coassurance et de réassurance.
Une intervention de l’Etat dans le processus d’assurance doit compléter les
mécanismes d’indemnisation des victimes(257).
Le risque de développement et les risques naturels sont de même nature258.
L’assurance du risque de développement peut être rendue possible sur le modèle de
la couverture des catastrophes naturelles259. Ce dispositif fondé sur la
complémentarité présenterait plusieurs avantages. Les victimes indemnisées
directement par leurs assureurs de dommages y gagneraient en rapidité, puisque ce
serait avant recours éventuels contre les assureurs de dommages, et en efficacité,
puisque les dossiers seraient répartis.
Ou faut-il suggérer la création, par le législateur, d’une assurance indemnitaire
obligatoire, pour les consommateurs, contre le risque alimentaire ou sanitaire, afin de
corriger la « myopie260 » des agents face au risque de développement261 ? Les agents
économiques minimisent les risques futurs et ne perçoivent pas l’utilité de
s’assurer262 : en France, l’assurance directe est pratiquée en assurances de choses, avec
le contrat « Multirisque habitation » qui est fort répandu, mais très peu en assurances
de personne263. L’obligation d’assurance aurait le mérite de résoudre à la fois le
problème de l’antisélection, prégnant en matière de santé, et le risque d’exclusion de
certaines catégories d’assurés264, et l’intervention étatique serait ici justifiée par la
question de santé publique que pose le risque de développement.
246 TRAINAR Philippe, L’interface public/privé : répartition des tâches et complémentarités, Risques n° 64,
décembre 2005 ; BENTOGLIO Guilhem, BETBEZE Jean-Paul, op. cit.
247 NOVEMBER Andràs et Valérie, Risque, assurance et irréversibilité, Revue européenne des sciences
sociales XLII-130 / 2004 ; BENTOGLIO Guilhem, BETBEZE Jean-Paul, L’Etat et l’assurance des risques
nouveaux, exercice prospectif, La Documentation Française, 2005 ; TRAINAR Philippe, op. cit.
248 LAMERE Jean-Marc, Vers une réforme de l’assurance de responsabilité civile en France, Risques n° 52,
décembre 2002
249 Ibidem
250 BENTOGLIO Guilhem, BETBEZE Jean-Paul, L’Etat et l’assurance des risques nouveaux, exercice
prospectif, La Documentation Française, 2005
251 Les dommages corporels sont indemnisés par le Fonds de garantie des victimes d’actes terroristes
créé par la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 complétée par la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990
252 Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, J.O. du 10 septembre 1986
253 L’Argus de l’assurance, 3 septembre 2010 page 32
254 LAMERE Jean-Marc, Assurance et catastrophes : aujourd’hui et demain, Risques n° 42, juin 2000
255 Loi n° 82-600 du 13 juillet 1982, J.O. du 14 juillet 1982
256 LAMERE Jean-Marc, op. cit.
257 GOLLIER Christian, Le risque de développement est-il assurable ? Risques n° 14, avril 1993
258 GOLLIER Christian, L’entreprise, l’expert, le risque et le développement, Risques n° 46, juin 2001
259 ESWALD François, La véritable nature du risque de développement et sa garantie, Risques n° 14, avril
1993
260 TRAINAR Philippe, op. cit.
261 BORGHETTI Jean-Sébastien, Le droit civil de la responsabilité à l’épreuve du droit spécial de
l’alimentation : premières questions, D. 2010 page 1099
262 TRAINAR Philippe, L’interface public/privé : répartition des tâches et complémentarités, Risques n° 64,
décembre 2005
263 LAMERE Jean-Marc, Vers une réforme de l’assurance de responsabilité civile en France, Risques n° 52,
décembre 2002
264 TRAINAR Philippe, L’interface public/privé : répartition des tâches et complémentarités, Risques n° 64,
décembre 2005