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§ 2. L’exclusivité rationae temporis

ADIAL

D’une loi qui paraissait optionnelle et applicable aux seuls produits mis en
circulation après son entrée en vigueur, on en arrive à une loi exclusive ayant en
outre un effet rétroactif au 30 juillet 1988.
A. A compter du 21 mai 1998
La loi du 19 mai 1998 est applicable de manière exclusive aux produits mis en
circulation à compter du 21 mai de la même année(188). S’agissant des produits mis en
circulation avant cette date, il faut distinguer deux périodes.
B. A compter du 30 juillet 1988
La Cour de justice des communautés européennes impose au juge national
d’interpréter son droit interne à la lumière d’une directive non transposée à compter
de la date limite de transposition(189). Les juges français doivent donc fonder leurs
décisions sur les dispositions du droit commun interprétées à la lumière de la

directive du 25 juillet 1985 pour les produits mis en circulation à partir du 30 juillet
1988, date d’expiration du délai de transposition(190). C’est ainsi que les juges statuent
tantôt sur le double fondement des articles 1147 et 1382 du Code civil(191), tantôt sur le
double fondement des articles 1147 et 1384 alinéa 1er du Code civil.
Interpréter le droit commun à la lumière de la directive non encore transposée
ne revient pas à appliquer la loi de transposition, lorsque les solutions en droit
commun divergent de celles retenues par la directive, ce qui est le cas s’agissant de la
désignation des responsables, des délais pour agir, des produits concernés, des
dommages réparables et des causes d’exonération. Il faut ici distinguer, car l’effet
direct d’une directive suppose que son application ne nécessite aucune mesure
d’adaptation. D’une part, en présence d’un choix, il ne peut y avoir d’application
directe tant que l’option n’est pas levée(192). D’autre part, ce qui est hors du champ
d’application de la directive n’a pas à être interprété sous son éclairage.
1. La désignation des responsables

Faisant interprétation du droit national à la lumière de la directive qui canalise
la responsabilité du fait des produits défectueux sur le producteur principalement (le
fournisseur ne lui étant assimilé que dans le cas où le producteur n’est pas
identifiable), la Cour de cassation décide que l’action en responsabilité n’est pas
recevable à l’encontre du fournisseur d’un produit mis en circulation après le 30
juillet 1988 car sa responsabilité ne peut être que subsidiaire(193).
2. Les éléments et produits issus du corps humain
Le législateur français, en transposant la directive européenne du 25 juillet
1985, a intégré les organes et produits issus du corps humain dans le champ
d’application de la responsabilité du fait des produits défectueux (Cf. supra), alors
que le texte communautaire, sans les exclure formellement, ne les incluait pas dans
son champ d’application(194). C’est pour cette raison que la Cour administrative

d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 18 octobre 2006(195), a considéré que les
dispositions des articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil n’étaient pas applicables
rationae temporis à un organe transplanté avant le 21 mai 1998.
3. Les dommages aux biens professionnels

S’agissant de la réparation des dommages causés, la loi de transposition du 19
mai 1998 n’a pas repris la distinction entre biens à usage professionnel et biens à
usage privé prévue par la directive du 25 juillet 1985, puisque l’article 1386-2 du
Code civil autorise la réparation du dommage causé aux biens quel qu’en soit
l’usage. Le législateur national peut en effet aller au-delà de la directive pour étendre
sa solution à des solutions non prévues. Ainsi, l’utilisateur professionnel d’un
produit dont le défaut a porté atteinte à un bien autre que le produit lui-même peut
invoquer les articles 1386-1 et suivants du Code civil(196).
La Cour de justice des communautés européennes, se prononçant dans un
arrêt du 4 juin 2009 sur la question préjudicielle que lui avait posée la chambre
commerciale de la Cour de cassation par une décision du 24 juin 2008(197), considère
que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel
et utilisée pour cet usage ne fait pas partie des points que la directive règlemente(198).
Les dommages dont la directive ne prévoit pas la réparation, tels les biens à usage
professionnel, ne sont donc pas inclus dans son champ d’application. Autrement dit,
il peut prévoir un régime de responsabilité semblable à celui qu’impose la directive à un
bien destiné à l’usage professionnel. Il s’ensuit que lorsque le produit a été mis en
circulation avant l’entrée en vigueur de la loi de transposition, soit avant le 21 mai
1998, la question de la réparation des dommages causés à une chose destinée à
l’usage professionnel et utilisée pour cet usage reste soumise au droit commun, c’est à-
dire à la construction jurisprudentielle de l’obligation de sécurité(199).

L’arrêt rendu le 4 juin 2009 par la Cour de justice des communautés
européennes en réponse à la question préjudicielle posée par la chambre
commerciale de la Cour de cassation par arrêt du 24 juin 2008 est troublant. En cas de
dommage causé par un produit défectueux à des biens à usage professionnel, les
montants en jeu peuvent être considérables et bien supérieurs aux sommes

susceptibles d’être allouées en cas d’atteinte à des biens à usage privé et même
parfois en cas d’atteinte à la personne(200). Limiter l’harmonisation aux seuls
dommages causés aux personnes et aux biens d’usage privé démontre, soit que les
conditions de la concurrence sont indifférentes aux règles de la responsabilité civile
applicable aux produits défectueux, soit que la volonté de la Cour de justice a été
d’exclure les biens professionnels du champ d’application de la directive. Ce qui,
dans un cas comme dans l’autre, affaiblit encore l’image déjà « calamiteuse »(201) de
l’harmonisation européenne.
4. L’exonération pour risque de développement
Le mode exonératoire fondé sur le risque de développement faisait partie des
points que les Etats n’étaient pas dans l’obligation de transposer. Par conséquent,
lorsque les juges statuent à la lumière de la directive, l’exonération par le risque de
développement ne peut pas être invoquée(202). Elle ne peut l’être que pour les produits
mis en circulation postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de transposition,
soit à compter du 21 mai 1998.
L’interprétation du droit commun à la lumière de la directive aboutit à
accorder à la loi du 19 mai 1998 une portée quasi-rétroactive au 30 juillet 1988,
exception faite de l’exonération pour risque de développement.
C. Avant le 30 juillet 1988

Les produits mis en circulation avant le 30 juillet 1988 continueront de relever
de l’obligation de sécurité du fournisseur ou du vendeur forgée par la jurisprudence
à la fin des années 80 pour pallier l’inertie du législateur qui tardait à transposer la
directive du 25 juillet 1985(203) et rester soumis au délai de prescription de droit
commun.

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188 JONQUET Nicolas, Les victimes des produits de santé épargnées par la C.J.C.E., D. 2003 page 1299 ;
BACACHE Mireille, La loi n° 98-389 du 19 mai 1998, 10 ans après, R.C.A. n° 6, juin 2008 étude 7 ;
LAMBERT-FAIVRE Yvonne et PORCHY-SIMON Stéphanie, op. cit.
189 C.J.C.E., 10 avril 1984, affaire 14/83 ; GRYNFOGEL Catherine, La mise en oeuvre de la directive sur la
responsabilité du fait des produits défectueux : heurs et malheurs de l’harmonisation européenne, Gaz. Pal. 20
mai 2003, n° 140 page 2

190 JONQUET Nicolas, op. cit. ; GRYNBAUM Luc, Le défaut du produit et le lien de causalité, R.D.S.S. 2008
page 1026 ; CORGAS-BERNARD Christina, Chronique de jurisprudence de responsabilité civile médicale,
Méd. et droit, n° 82, janvier-février 2007 page 1 ; PEIGNE Jérôme, Quelle responsabilité hospitalière du fait
de la greffe d’un organe contaminé ? Note sous Cour administrative d’appel. Paris, 18 octobre 2006, R.D.S.S.
2007 page 294
191 NEYRET Laurent, La défectuosité : nouvel enjeu du contentieux du vaccin contre l’hépatite B, D. 2006
page 1273 ; OUDOT Pascal, Note sous cass. 1ère civ., 19 mars 2009, Gaz. Pal. 13 août 2009, n° 225 page 22
192 CHADELAT Catherine, Risque de développement, R.G.D.A. 1998 page 453
193 Cass. 1ère civ., 15 mai 2007, n° 05-17947
194 PEIGNE Jérôme, op. cit.

195 RAGE-ANDRIEU Virginie, La responsabilité sans faute relative aux éléments et produits du corps
humains : un accroissement des incertitudes juridiques, L.P.A. 31 août 2009, n° 173 page 3
196 VINEY Geneviève, L’introduction en droit français de la directive du 25 juillet 1985 relative à la
responsabilité du fait des produits défectueux, D. 1998 page 291 ; LARROUMET Christian, op. cit.
197 Cass. Com., 24 juin 2008, n° 07-11744 ; C.J.C.E., 4 juin 2009, affaire C 285/08
198 BORGHETTI Jean-Sébastien, La responsabilité du fait des produits défectueux et la protection des intérêts
professionnels, D. 2009 page 1731 ; JOURDAIN Patrice, Le droit français demeure compétent pour régir la
réparation des dommages à des biens professionnels causés par un produit défectueux, RTD Civ. 2009 page
738 ; OUDOT Pascal, Note sous C.J.C.E., 4 juin 2009, Gaz. Pal. 1er septembre 2009, n° 244 page 4
199 Cass. Com., 26 mai 2010, n° 07-11744 ; BARBIERI Jean-Jacques, Produits défectueux : l’insécurité
d’un régime complexe, J.C.P. n° 35, 30 août 2010, 848

200 BORGHETTI Jean-Sébastien, op. cit.; JOURDAIN Patrice, op. cit.
201 OUDOT Pascal, Le piège communautaire de la responsabilité du fait des produits défectueux, Dr. & Patr.
janvier 2003
202 RAYNARD Jacques, Epilogue d’une transposition longtemps contrariée mais enfin consommée, ou du
magistère de la directive « sur la responsabilité du fait des produits défectueux », RTD Civ. 1998 page 524 ;
RADE Christophe, Médicament : risque de développement, note sous C.A. Paris, 1ère ch., 23 septembre 2004,
R.C.A. n° 10, octobre 2005 commentaire 293 ; BACACHE Mireille, op. cit. ; FAURAN Blandine, Risques
de développement et produits de santé : la situation en 2008, R.D.S.S. 2008 page 1034
203 JOURDAIN Patrice, Une loi pour rien ? R.C.A. juillet-août 1998 chronique 16 ; LARROUMET
Christian, La responsabilité du fait des produits défectueux après la loi du 19 mai 1998, D. 1998 page 311 ;
VINEY Geneviève, op. cit.; DEGROOTE D., BENAICHE Lionel, Responsabilité civile du fait des produits
défectueux : nouvelles perspectives au regard des arrêts du 25 avril 2002 de la Cour de justice des Communautés
européennes, Méd. et droit, n° 60, 2003 page 73 ; JONQUET Nicolas, op. cit. ; GRYNFOGEL Catherine,
op. cit. ; BLOCH Laurent, Pour une autre présentation de la responsabilité du fait des produits de santé,
R.C.A. n° 12, décembre 2009 étude 16