Le risque de responsabilité civile se réalise progressivement par la succession
d’évènements plus ou moins étalés dans le temps : le fait générateur, la survenance
du dommage, la révélation du dommage et la réclamation de la victime. Assureurs et
assurés n’ont pas la même façon de voir les choses. Les assurés souhaitent que tous
les sinistres survenus pendant la durée de validité du contrat soient couverts, même
si la réclamation de la victime intervient ultérieurement, alors que les assureurs
veulent limiter leur obligation de garantie dans le temps et estiment que c’est dans la
période de validité du contrat que doivent se situer la réalisation du dommage et la
réclamation, même si les parties peuvent élargir la prise en charge aux dommages
survenus à une date antérieure à la prise d’effet du contrat (clause de reprise du
passé) ou aux réclamations faites postérieurement (clause de garantie subséquente).
A. Les systèmes possibles
Deux évènements peuvent être retenus pour dater le sinistre qui sera pris en
charge par l’assureur s’il se situe pendant la période de couverture du risque.
1. La base « fait générateur »
C’est le fait à l’origine du dommage qui déclenche la garantie. Ce système a le
mérite de la simplicité, puisqu’il rend inutile toute reprise du passé ou garantie
subséquente. Il a l’inconvénient d’appliquer le plafond de garantie du moment où le
fait générateur a été commis, qui sera insuffisant lorsque le décalage dans le temps
est important(305). Il présente surtout une grande insécurité pour l’assureur dont la
garantie s’étend pendant toute la durée où une responsabilité peut être recherchée.
La réclamation de la victime peut intervenir à une date très tardive, comme en
matière délictuelle où la prescription de l’action en responsabilité née d’un dommage
corporel ne court qu’à compter de la consolidation du dommage initial ou aggravé(306).
2. La base « réclamation » (claim’s made)
Une telle clause a pour objet de définir le « sinistre » qui ouvre la garantie de
l’assureur, non pas par référence à la date du dommage ou du fait générateur, mais à
la date où la victime a fait une réclamation en demandant réparation de son
dommage. Il permet à l’assureur des engagements importants en montant puisqu’il
limite la garantie dans le temps(307). Mais il peut produire un trou de garantie. Les
formules d’assurance de responsabilité civile sur base claim’s made apparaissent de
nature à favoriser l’assurabilité du risque puisqu’elles limitent le délai entre le fait
générateur et la réclamation(308). Elles permettent une meilleure assurance et une
meilleure réassurance : en vertu de la clause usuelle des traités de réassurance,
l’exercice affecté par un sinistre est, pour le réassureur comme pour l’assureur, celui
au cours duquel la réclamation a été reçue par l’assureur(309), et ce sera l’exercice au
cours duquel la première réclamation a été reçue en cas de sinistre sériel.
B. Le droit positif
Le débat sur la clause « claim’s made » fut ouvert par la jurisprudence de la
Cour de cassation, qui avait décidé que le critère d’application de l’application de la
garantie dans le temps était la date du fait dommageable à l’exclusion de tout
autre(310), et clos par l’intervention du législateur. Après la loi du 30 décembre 2002(311)
sur l’assurance de responsabilité médicale qui impose dans son domaine les contrats
d’assurance en base réclamation, la loi de sécurité financière du 1er août 2003(312)
restitue aux parties la maîtrise de l’étendue de la garantie dans le temps. Pour les
risques autres que ceux du particulier, pour lesquels la garantie est déclenchée
nécessairement par le fait dommageable, les assureurs ont la possibilité d’opter pour
le déclenchement de la garantie par la réclamation (article L 124-5 du Code des
assurances)313.
305 DELPOUX Claude, Le risque de développement, Risques n° 14, avril 1993 ; MAYAUX Luc, Traité de
droit des assurances, tome 3, L.G.D.J., 2002
306 Article 2226 du Code civil
307 DELPOUX Claude, op. cit.
308 BOURTHOUMIEUX Jacques, Durée de l’assurance de responsabilité et réassurance, R.G.D.A. 1er avril
1998, n° 1998-2 page 239 ; MAYAUX Luc, Traité de droit des assurances, tome 3, L.G.D.J., 2002
309 BOURTHOUMIEUX Jacques, op. cit.
310 Cass. 1ère civ., 19 décembre 1990, n° 87-15834 ; COURTIEU Guy, Droit des assurances, l’année
législative, J.C.P. éd. E. n° 25, 17 juin 2004 page 1001
311 Loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002, J.O. du 31 décembre 2002
312 Loi n° 2003-706 du 1er août 2003, J.O. du 2 août 2003
313 BICHOT Pierre, La réforme de l’assurance de responsabilité civile, Dr. & Patr. n° 122, janvier 2004 ;
BIGOT Jean, FAVRE-ROCHEX André, KULLMANN Jérôme, LANGE Daniel et MAYAUX Luc, Droit
des assurances, J.C.P. n° 21, 19 mai 2004, I 137 ; COURTIEU Guy, op. cit.