La loi du 1er août 2008(209) relative à la responsabilité environnementale codifiée
aux articles L 160-1 et suivants du Code de l’environnement a introduit en droit
français des nouvelles dispositions concernant la prévention et la réparation du
dommage écologique pur à l’exclusion des dommages causés aux personnes et aux
biens. Transposition fidèle de la directive communautaire du 21 avril 2004(210), la loi,
issue d’un projet « sans souffle(211) », institue un système de police administrative tout
en empruntant au droit de la responsabilité civile le principe de l’exonération par le
risque de développement(212). Le dispositif légal, qui ne prévoit aucune obligation
d’assurance ni garantie financière, ne fait qu’organiser la prise en charge des frais de
mesures de prévention ou de réparation des dommages les plus graves causés à
l’environnement en soumettant les exploitants des activités les plus dangereuses à
une responsabilité qualifiée d’objective.
A. La mise en oeuvre de la responsabilité
La référence à une « responsabilité » environnementale est trompeuse(213) car le
dispositif fait peser sur les exploitants de certaines activités professionnelles une
obligation de réparer certains dommages écologiques au terme d’un processus
exclusivement administratif qui est éloigné des mécanismes de la responsabilité
civile. La charge de mettre en oeuvre cette « responsabilité », c’est-à-dire de veiller à
la réparation du préjudice écologique, pèse sur la seule autorité administrative, en
France l’autorité préfectorale, à l’exclusion de tout membre de la société civile.
B. Les conditions de la responsabilité
Les exploitants d’activités professionnelles sont tenus de réparer certains
dommages écologiques dont la définition est très restrictive et dans des conditions
qui varient selon la dangerosité de l’activité exercée.
1. Le dommage réparable
Le texte distingue les activités dangereuses, dont la liste figure à l’article R
162-1 du Code de l’environnement(214) et qui entraînent une responsabilité sans faute
prouvée, des activités non dangereuses n’entraînant qu’une responsabilité pour faute
prouvée.
L’activité dangereuse
L’exploitant d’une activité considérée comme dangereuse par les textes n’est
tenu de réparer que certains dommages : les dommages causés aux habitats et
espèces déjà protégés par la législation communautaire, qui ne concernent que 20 %
du territoire de l’union et 5 % du territoire français(215), ceux causés aux eaux protégées
par le droit communautaire et ceux causés aux sols à la condition que la
contamination présente un risque d’incidence grave sur la santé humaine.
L’activité non dangereuse
L’exploitant d’une activité professionnelle qui n’est pas considérée comme
dangereuse par les textes n’est tenu de réparer que les seuls dommages causés aux
espèces et habitats déjà protégés par la législation communautaire ; les dommages
aux sols et aux eaux sont exclus.
2. Le fait générateur
Le fait générateur requis varie lui aussi selon que l’exploitant exerce ou non
une activité estimée dangereuse.
L’activité dangereuse
L’exploitant d’une activité considérée par les textes comme dangereuse sera
tenu de réparer le préjudice écologique causé même en l’absence de faute.
L’activité non dangereuse
Au contraire, l’exploitant d’une activité qui n’est pas considérée comme
dangereuse ne sera tenu de réparer que s’il est prouvé qu’il a commis une faute.
3. Le lien de causalité
L’exigence du lien de causalité entre le dommage et les activités de l’exploitant
exclut les pollutions diffuses qui sont provoquées par des facteurs multiples non
identifiables et se prêtent donc mal à l’instrument de la responsabilité qui ne peut
jouer qu’après l’établissement d’un lien de cause à effet. Cependant, une pollution à
caractère diffus n’échappe pas à la règlementation européenne. La pollution diffuse,
lorsqu’il est possible d’établir un lien de causalité entre les dommages et les activités,
relève de la directive. N’échappent à la directive que les pollutions indéterminées.
C. L’exonération pour risque de développement
L’exploitant, qu’il soit soumis à la responsabilité sans faute parce qu’il exerce
une activité considérée comme dangereuse ou qu’il relève d’une responsabilité pour
faute, peut échapper au coût des mesures de prévention et de réparation mises à sa
charge s’il apporte la preuve que le dommage à l’environnement résulte d’une
émission, d’une activité ou de l’utilisation d’un produit qui n’était pas considéré
comme susceptible de causer des dommages à l’environnement au regard de l’état
des connaissances scientifiques et techniques au moment du fait générateur du
dommage(article L 162-23 du Code de l’environnement).
D. L’application rationae temporis
La loi du 1er août 2007 transposant la directive du 21 avril 2004 s’applique aux
dommages causés par une émission, un évènement ou un incident survenus
postérieurement au 30 avril 2007 lorsqu’ils résultent soit d’activités exercées
postérieurement à cette date, soit d’activités exercées antérieurement mais qui n’ont
pas été menées à leur terme avant celle-ci216. La directive s’applique donc aux
activités polluantes qui ont démarré avant le 30 avril 2007 dès lors qu’elles ont
continué après cette date(217).
Le principe de l’exonération par le risque de développement, que l’on croyait
cantonné dans un régime spécial de responsabilité, a pris toute sa place dans le droit
de la responsabilité civile. Il est d’une application quasi exclusive dans la
responsabilité du fait des produits défectueux, il est de droit dans la responsabilité
environnementale, que l’activité soit dangereuse ou non, il est implicite dans les
régimes de responsabilité fondés sur la faute et il est appelé à influencer la notion de
force majeure dans les régimes de responsabilité purement objective comme la
responsabilité des constructeurs des articles 1792 à 1792-6 du Code civil, la garantie
des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil et la responsabilité du fait
des choses fondée sur l’article 1384 alinéa 1er.
Contrairement à la loi du 4 janvier 1978218 qui a instauré une véritable
responsabilité objective à la charge des constructeurs et imposé corrélativement,
d’une part une obligation d’assurance de responsabilité civile à la charge des
responsables, d’autre part une obligation d’assurance de choses destinée à permettre
l’indemnisation sans recherche de responsabilité, la directive du 21 avril 2004 relative
à la responsabilité environnementale219 ne prévoit rien pour s’assurer de la solvabilité
de l’exploitant et la loi de transposition du 1er août 2008(220) n’instaure aucune
obligation d’assurance(221). Tout comme dans la directive du 25 juillet 1985 relative à la
responsabilité du fait des produits défectueux222, qui ne faisait aucune référence à
l’assurance(223), et dans la loi de transposition du 19 mai 1998224 qui lui fut fidèle,
l’assurance en est « la grande absente »(225). Pourtant, l’assurance de responsabilité est
indissociable, juridiquement et économiquement, du risque qu’elle a pour objet de
couvrir(226). Elle a joué un rôle essentiel dans le développement de la responsabilité
civile dont elle a multiplié l’efficacité. Assurance et responsabilité forment un
« couple nécessaire(227) », un mariage de raison qui ne se sépare jamais vraiment.
209 Loi n° 2008-757 du 1er août 2008, J.O. du 2 août 2008
210 Directive n° 2004-35 du 21 avril 2004, J.O.U.E. du 30 avril 2004
211 France Nature Environnement, Communiqué de presse du 28 mai 2008
212 CARVAL Suzanne, Un intéressant hybride : la « responsabilité environnementale » de la loi n° 2008-757
du 1er août 2008, D. 2009 page 1652
213 REBEYROL Vincent, Où en est la réparation du préjudice écologique ? D. 2010 page 1804
214 Décret n° 2009-468 du 23 avril 2009 ; J.O. du 26 avril 2009 : installations dites IPPC, gestion des
déchets, rejets de métaux lourds dans les eaux, fabrication, utilisation, stockage, transformation,
conditionnement et transport de produits chimiques, biocides ou phytopharmaceutiques, transport de
marchandises dangereuses ou polluantes, utilisation confinée de micro-organismes génétiquement
modifiés soumis à agrément, mise sur le marché et dissémination volontaire d’organismes
génétiquement modifiés.
216 C.J.U.E., 9 mars 2010, affaire C 378/08
217 CARVAL Suzanne, Pollutions anciennes et diffuses : que permet la directive n° 2004/35 ? D. 2010 page
1399
218 Loi n° 78-12 du 4 janvier 1978, J.O. du 5 janvier 1978
219 Directive n° 2004-35 du 21 avril 2004, J.O.U.E. du 30 avril 2004
220 Loi n° 2008-757 du 1er août 2008, J.O. du 2 août 2008
221 REBEYROL Vincent, Où en est la réparation du préjudice écologique ? D. 2010 page 1804
222 Directive n° 85/374/C.E.E. du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives,
règlementaires et administratives en matière de responsabilité du fait des produits défectueux,
J.O.C.E. du 7 août 1985
223 COWELL J., La directive communautaire « produits » : les deux prochaines années, R.G.A.T. 1986 page
180
224 Loi n° 98-389 du 19 mai 1998, J.O. du 21 mai 1998
225 VINEY Geneviève, L’introduction en droit français de la directive du 25 juillet 1985 relative à la
responsabilité du fait des produits défectueux, D. 1998 page 291 ; MAYAUX Luc, op. cit. ; CARCENAC
Martine, La responsabilité du fait des produits à l’heure européenne, R.G.D.A. 1er janvier 1999, n° 1999-1
page 13
226 MAYAUX Luc, L’incidence de la loi du 19 mai 1998 sur la durée de la garantie d’assurance en matière de
produits livrés, R.G.D.A. 1er janvier 1999, n° 1999-1 page 63
227 BOUIX Aurore, Le risque de développement : responsabilité et indemnisation, Presses Universitaires
d’Aix-Marseille, 1995