La responsabilité civile ne se justifie pas seulement par la réparation des
dommages. Elle est l’expression d’une éthique, d’une culture, d’une philosophie et
ses justifications sont théologiques, morales et économiques. Elle est un moyen de
réparer certains dommages parce que la société les estime injustement causés(90).
L’action jurisprudentielle a démontré l’incompatibilité du principe de réparation
avec les règles de la responsabilité civile, car l’apparition de certains risques qui ne
peuvent être maîtrisés individuellement nécessite une réponse plus collective que la
responsabilité civile ne peut pas apporter. La problématique de la responsabilité ne
recouvre plus celle de l’indemnisation qui requiert des techniques de collectivisation
et de mutualisation des risques(91). La question de la sécurité sanitaire démontre que
les seuls principes de la responsabilité civile sont incapables de fournir des réponses
opératoires. Un nouvel équilibre est cherché entre la responsabilité civile d’une part,
reconstruite à partir de l’idée de faute, et la réparation de l’autre, permettant
l’indemnisation des dommages d’origines accidentelles.
L’introduction presque simultanée dans notre droit du concept de précaution
et de la notion de risque de développement est un signe fort du retour de la
responsabilité fondée sur la faute(92), elle-même fondée sur l’idée de liberté. C’est
avant tout et surtout parce que l’homme est libre dans ses actions qu’il en est
responsable et celui qui a agi sans être libre pourra s’exonérer. Le concept de risque
de développement ressuscite, cela a été magistralement démontré, la notion fort
ancienne de cas fortuit connue du droit romain mais engloutie dans celle de force
majeure par le Code civil napoléonien(93). En autorisant l’exonération du producteur
par le risque de développement, la responsabilité du fait des produits défectueux
issue de la directive communautaire du 25 juillet 1985(94) et transposée en droit interne
par la loi du 19 mai 1998(95) est fondée sur l’idée de faute, même si la directive organise
un système de responsabilité « sans faute »(96) et la loi de transposition du 19 mai 1998
qualifie « de plein droit » le régime de responsabilité qu’elle institue(97). Il n’en va pas
autrement dans la loi du 1er août 2008(98) transposant la directive du 21 avril 2004 sur la
responsabilité environnementale(99) qui permet l’exonération de l’exploitant en cas de
risque de développement.
90 BORGHETTI Jean-Sébastien, La responsabilité du fait des choses, un régime qui a fait son temps, RTD Civ.
2010 page 1
91 PENNEAU Anne, De la latitude de ne pas transposer littéralement les dispositions de la directive « produits
défectueux » relatives à l’exonération fondée sur le risque de développement, D. 1998 page 488
92 OUDOT Pascal, Le risque de développement : contribution au maintien du droit à indemnisation, Editions
Universitaires de Dijon, 2005
93 Ibidem
94 Directive n° 85-374 du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives,
règlementaires et administratives en matière de responsabilité du fait des produits défectueux,
J.O.C.E. du 7 août 1985
95 Loi n° 98-389 du 19 mai 1998, J.O. du 21 mai 1998 modifiée par la loi n° 2004-1343 du 9 décembre
2004, J.O. du 10 décembre 2004, et par la loi n° 2006-406 du 5 avril 2006, J.O. du 6 avril 2006
96 DEVAUX Claude, Le risque de développement in Encyclopédie de l’assurance, Editions Economica,
1998 page 1251 ; CARCENAC Martine, La responsabilité du fait des produits à l’heure européenne, R.G.D.A.
1er janvier 1999, n° 1999-1 page 13
97 Article 1386-11 du Code civil
98 Loi n° 2008-757 du 1er août 2008, J.O. du 2 août 2008
99 Directive n° 2004-35 du 21 avril 2004, J.O.U.E. du 30 avril 2004