En cette ère de surabondance médiatique, l’on pourrait penser que la diversité d’opinions est légion. Or, à y regarder de plus près, à quelques rares exceptions près, ce sont peu ou prou les mêmes clichés qui sont repris par les rédactions quand il s’agit de parler d’islam ou de musulmans.
Extrémisme religieux, proximité avec la mouvance terroriste, ou encore violence envers les femmes font partie des lieux communs les plus injustement, les plus abusivement, et pourtant les plus couramment attribués aux musulmans français.
Mais avant toute chose, comme l’explique Thomas Deltombe dans L’islam imaginaire, ce qui est remarquable quand les médias français emploient l’adjectif « musulman », c’est qu’ils désignent avant tout « l’arabe » et non pas les musulmans dans leur ensemble. Cette nuance, pourtant de taille, constitue donc le premier des stéréotypes que les médias accolent à ceux qui, selon eux, se rattachent à la catégorie « musulmans ».
Ainsi en effet, jamais aucun reportage, jamais aucun article ne fait écho des musulmans d’origine asiatique ou indienne. Non, celui dont on parle implicitement dans le discours médiatique quand on emploie le terme « musulman », c’est avant tout « l’arabe », le « maghrébin ». Pour constater cela, il suffit d’allumer la télévision et de regarder un reportage sur le sujet. 99 % du temps ce reportage montrera en illustration des personnes dont l’apparence extérieure, physique ou vestimentaire, est clairement identifiable comme telle.
Ce premier stéréotype, le plus répandu et le plus « évident », en est pourtant arrivé à s’insérer dans la mémoire populaire comme une quasi évidence. Or, il est important de le rappeler, les musulmans ne sont pas tous des « arabes » et tous les « arabes » ne sont pas musulmans.
Ainsi, le plus important des stéréotypes véhiculés par les médias concernant les musulmans n’est pas forcément celui auquel on penserait en premier tant il s’est ancré aujourd’hui dans l’imaginaire collectif.
Une production artistique illustrant de manière physique les stéréotypes qui « collent » à la peau des musulmans dans l’imaginaire collectif relayé par les médias.
Le second stéréotype, duquel d’ailleurs découlent beaucoup d’autres, est celui de la prétendue homogénéité des musulmans. En effet, souvent vus comme un « bloc », les musulmans seraient, si l’on en croit la plupart des médias français, résolument similaires et solidaires entre eux, par delà les frontières et par delà les siècles.
De manière implicite en effet, nombre de reportages ou d’articles évoquent, par exemple, la crainte que l’extrémisme religieux « contamine » la majorité des musulmans. Comme si, plus que les chrétiens ou les juifs, les musulmans étaient réceptifs et perméables à la radicalité religieuse. Comme si les musulmans français devaient avant tout se voir et être vus au travers de leur appartenance religieuse.
Les sondages réalisés sur le sujet montrent par ailleurs que 60 % des musulmans français se sentent autant français que musulmans et que 64 % se sentent plus proche du mode vie et de la culture française (pourtant fortement empreints de judéo-christianisme) que de leur « culture familiale » personnelle (sondage CSA/ Le Monde des religions publié le 31 octobre 2008).
Ayant profondément analysé le phénomène, Deltombe s’interroge : « les musulmans donnent-ils une image d’eux-mêmes ? Et comment cette image serait-elle ” donnée ” ? Pourquoi ramener la diversité évidente des musulmans à une ” religion ” d’un seul bloc […]? L’identité des personnes supposées composer ce collectif peut-elle d’ailleurs se réduire à leur qualité de ” musulman ” ? Et de quels ” musulmans ” parle-t-on, au juste ? »
Selon lui, un symptôme édifiant de cette pensée stéréotypée, c’est que l’islam et les musulmans français sont avant tout vus et évoqués à l’occasion d’actualités internationales, étrangères et extérieures. Comme l’exprime très simplement l’auteur « une révolution en Iran, un conflit en Irak, une guerre civile en Algérie, des attentats à New York et à Washington ? Et voilà les caméras qui s’intéressent aux ” musulmans ” de l’Hexagone, avec l’idée implicite qu’ils sont ” tous les mêmes “. »
A ce propos, il pourrait d’ailleurs être salutaire de faire un aparté concernant l’ambiguïté du sens que peut recouvrir le nom « musulman ». Ainsi, comme l’évoque toujours le même auteur, « une personne peut être ” musulmane ” parce qu’elle a intérieurement accepté ou choisi la religion musulmane comme foi [(c’est la définition strictement religieuse de l’identité musulmane)], mais elle peut l’être aussi parce qu’elle est assignée, de l’extérieur, à cette identité pour la simple raison qu’elle est originaire d’un milieu ou d’un pays à majorité musulmane », or « ne pas […] garder en mémoire [cette distinction essentielle] serait se satisfaire d’un regard trop mécanique, se bornant à souligner des ” différences ” parfois bien illusoires. »
Ainsi, l’auteur affirme que les médias, en plus d’avoir tendance à représenter les musulmans comme un « bloc homogène », cherchent sempiternellement à déterminer un « bon » et un « mauvais » islam, et en cela créent un « islam imaginaire » qui en révèle au final bien plus sur « les imaginaires [et les rapports de force] qui traversent la société française » que sur l’ « ” islam réel ” ».
Ce second stéréotype de l’homogénéité conjugué au premier stéréotype de l’« arabe » a malheureusement pour conséquence d’inclure dans la catégorie « musulman » des personnes qui en réalité n’ont rien à voir avec l’islam. En effet, aujourd’hui en France, seules 41 % des personnes d’origine musulmane sont croyantes et pratiquantes (cf. p.99 du dossier de Marianne visible en annexe 4).
Deltombe voit clairement en cet amalgame une « stratégie » de la part des médias qui trouvent ainsi la parade idéale à leur paresse intellectuelle. Comme il l’écrit, « coller l’étiquette unificatrice d’”islam” sur un ensemble extrêmement varié d’individus […] permet à nombre d’acteurs médiatiques de s’épargner – et d’épargner à leur public majoritairement non musulman – une réflexion collective sur des problèmes sociaux, politiques, économiques, internationaux qui sont loin d’être imputables aux seuls ” musulmans ” et qui peuvent difficilement être réduits à une grille d’analyse ” islamique “. »
Enfin, le troisième stéréotype rebattu par les médias à propos de l’islam, est celui d’un islam « problématique ». C’est-à-dire, vu uniquement à travers les problèmes, les conflits et ce qu’il peut avoir de négatif.
Ainsi, en plus d’induire durablement une association entre « islam » et « problèmes » dans l’esprit du public, ce troisième stéréotype engendre la mise en avant disproportionnée d’autres idées reçues qui sont alors tellement ressassées dans les médias qu’elles apparaissent presque dans nombre d’esprits comme relevant du sens commun. A savoir : l’islam (et donc les musulmans) est une religion qui oppresse les femmes, et islamisme (capable de submerger la majorité « modérée » à tout instant) égale terrorisme.
Ces « postulats », certes ici simplifiés à l’extrême, ne sont pourtant pas si éloignés du discours sous-tendant nombre d’articles, d’éditoriaux ou de reportages.
En la matière, les mots jouent un rôle tout particulier. Comme l’explique Didier Bigo (NDA : chercheur initialement cité dans L’islam imaginaire) par rapport à la thématique du « terrorisme », « il se crée un diagramme, un réseau sémantique qui permet de passer de l’une à l’autre des labellisations (NDA : terroristes, immigrés) sans avoir même l’impression de changer de sujet.. ». Lentement mais sûrement, dans l’esprit quotidiennement « exposé » au discours médiatique, peut alors s’insinuer cette idée d’une contiguïté entre islam et terrorisme.
Un deuxième thème apparaît toutefois aussi caricatural en ce domaine : celui du machisme et des violences faites aux femmes. C’est ce qu’évoque Tevanian dans La République du mépris quand il écrit qu’une certaine « surenchère médiatique » a banalisée l’idée de l’augmentation de la violence envers les femmes chez les musulmans. D’après lui, la médiatisation de cas de violences envers les femmes se fait d’ailleurs quasi exclusivement à travers des exemples impliquant des musulmans. Et le viol collectif, la fameuse « tournante » est également présenté comme une nouveauté pratiquée exclusivement par des jeunes musulmans.
La couverture d’un numéro de L’Express (12 juin 2008) qui reprend tous les stéréotypes traditionnellement accolés à l’islam: la violence, la misogynie et l’archaïsme.
Ainsi, voilà comment l’islam et les musulmans, sujets médiatiques à fort potentiel d’audience, arrivent à « entraîner » avec eux sur le devant de la scène des thématiques pourtant traditionnellement assez absentes de la scène médiatique.
Comme l’explique Geisser dans La Nouvelle islamophobie, « Laurent Muchielli (chercheur au CNRS et auteur de « “La violence des jeunes”: peur collective et paniques morales au tournant du 20ème et 21ème siècles ») a souligné l’écart qui existe entre la réalité des viols collectifs et l’image qui en a été donnée dans les grands médias […]. Le phénomène a été présenté comme nouveau, en pleine recrudescence, alors que les données empiriques disponibles prouvent qu’il n’en est rien ; et cette fausse « nouveauté » a permis […] plus facilement d’imputer ces viols collectifs […] aux immigrés […] ou aux enfants d’immigrés d’origine maghrébine et de confession musulmane ». Ainsi, « qu’il s’agisse d’homicides ou de viols collectifs », Geisser constate une incrimination quasi exclusive des « jeunes arabo-musulmans des banlieues », le tout sous couvert d’une « caution irremplaçable : celle du fameux “terrain” ». Car, quoi de mieux en effet, « pour donner un label d’authenticité à un reportage ou à un débat télévisé, que le témoignage d’une militante associative présente sur le terrain? Et quoi de mieux, pour dissiper tout soupçon de racisme, que la bénédiction d’une jeune femme d’origine maghrébine ? »
Ainsi, comme Geisser tient à le rappeler, les médias « ne créent pas l’islamophobie mais opèrent [plutôt] à une mise en ordre du sens commun sur l’islam et l’islamisme ».
A travers ces divers stéréotypes une constante apparaît donc : la volonté de définir un « bon » et un « mauvais » islam. C’est-à-dire un « bon » islam « modéré », qui s’exprime avec retenue et cherche à « s’intégrer » et un « mauvais » islam qui, comme le décrit Deltombe, est celui des « ” caves et des garages de banlieue “, souvent décrit en lien avec ” l’étranger ” et prêt à « basculer » dans l’« islam radical » ([comme l’exprime] le titre d’un livre de David Pujadas) que les journalistes en mal de reconnaissance professionnelle tentent de débusquer, à grand renfort de témoignages anonymes et de caméras cachées. »
De ce fait, les musulmans sont dépossédés de leur rapport à l’islam. Devant sans cesse être vigilants et se conformer à l’image que l’on souhaite voir émaner d’eux, les Français qui ont choisi l’islam pour religion se voient enfermés dans de nombreux stéréotypes qu’ils se trouvent obligés d’adopter eux-mêmes pour ne pas être trop en marge de la société.
Car en effet, si ce ne sont pas les musulmans qui ont crées les clichés dont ils font l’objet, ces derniers se retrouvent quand même contraints d’adopter les « signes extérieurs du bon musulman » afin de ne pas être, le cas échéant, catégorisés d’emblée dans « l’autre catégorie ».
L’évocation de ces stéréotypes est souvent délicate et troublante pour la plupart d’entre nous car elle est peu flatteuse pour l’ego ; notre ego personnel, et par extension celui de notre nation, de nos médias, de notre pensée populaire. En effet, s’imaginer que l’on a pu « boire » cette « soupe médiatique » sans s’apercevoir de son complet décalage avec la réalité n’est pas la plus agréable des découvertes.
Ainsi, par orgueil, par peur de devoir se remettre en question, nombreux sont ceux à encore nier cette problématique d’une création d’un islam médiatique.
Ainsi, pour présenter à leur égard une preuve supplémentaire de cet état de fait, il serait intéressant d’aborder un fait d’actualité indubitablement édifiant en la matière : les attentats d’Oslo puis la tuerie d’Utøya perpétrés dans la même journée par le Norvégien Anders Breivik.
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