Il s’agit ici des hypothèses de perte d’une chance suite à un défaut d’information (a) et de perte d’une chance suite à un défaut technique (b).
a) L’indemnisation de la perte d’une chance suite à un défaut d’information.
La réparation de la perte d’une chance suite à un défaut d’information est en principe « partielle ».
Ce défaut d’information prive le patient de la possibilité de donner un consentement ou un refus éclairé à l’acte médical qui lui est proposé. Dès lors, le juge doit apprécier le préjudice en fonction des effets qu’aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou son refus (état de santé du patient, évolution prévisible, personnalité, raison et opportunité du traitement proposé, alternative possible, chance qu’avait le malade de le refuser ou de l’accepter…).
Le médecin n’ayant pas recueilli le consentement libre et éclairé de son patient est condamné à réparer, non l’entier dommage corporel subi par ce dernier, mais la perte de chance de refuser l’acte médical. Le défaut d’information ou de recueil du consentement prive en effet le patient de sa liberté de décision, et de la possibilité de refuser l’acte dommageable. L’incertitude existant, dans la plupart des cas, sur ce qu’aurait été son choix si sa volonté avait été respectée, entraîne donc la limitation de la réparation à la seule perte de chance.
L’évaluation de la perte de chance de refuser l’acte médical, on l’a vu, est guidée par une démarche en deux temps : l’évaluation des différents chefs de préjudices subis du fait de l’entier dommage corporel, conformément au droit commun, et la détermination du pourcentage de chance que le malade avait de refuser l’acte dommageable. Une fois ces deux paramètres déterminés, le préjudice indemnisé est constitué par l’application du pourcentage de chance perdue à la valeur totale des préjudices subis.
La perte de chance est évaluée par le biais d’un rapprochement entre le risque de l’intervention et le risque d’une renonciation à l’intervention si le patient avait été informé. Finalement, il convient de rappeler que le médecin est tenu de donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés. Dans un important arrêt HEDREUL du 25 février 1997 , la Cour de cassation a décidé qu’il appartenait au médecin d’apporter la preuve de l’information qu’il a procurée au patient. La Cour a également retenu que la preuve que l’information a été donnée au client peut être rapportée « par tous moyens » par le médecin mis en cause c’est-à-dire, hors l’écrit, par les témoignages, les présomptions et parfois l’aveu . Il est à noter que le médecin n’est pas dispensé de cette obligation par le fait que ces risques ne se réalisent qu’exceptionnellement hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé . Par contre, le médecin est tenu de cette obligation d’information même lorsque l’intervention est médicalement nécessaire.
Comme en matière administrative, l’indemnisation ne peut être égale aux atteintes corporelles résultant de l’acte médical. D’après le rapport de 2005 rendu par la Cour de cassation : « si le médecin n’a pas satisfait à son devoir d’information, le patient peut être indemnisé au titre de la perte de chance subie d’échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s’était finalement réalisé. Mais il doit nécessairement justifier d’un préjudice consécutif à ce manquement qui est apprécié par les juges du fond, l’indemnisation correspondant à une fraction des différents chefs de préjudice subis déterminée en mesurant la chance perdue et ne pouvant être égale aux atteintes corporelles résultant de l’acte médical. »
Il semble dès lors que la réparation de la perte d’une chance suite à un défaut d’information soit toujours partielle. Pourtant, il existe des exceptions.
Ainsi, une Cour d’appel a pu indemniser le défaut d’information alors que l’opération n’était pas indispensable, par une réparation intégrale du préjudice psychologique d’une patiente : « cette faute a privé la patiente de la possibilité d’exercer son choix de refuser ou d’accepter l’acte proposé, et de s’y préparer psychologiquement ».
Enfin, aucune réparation pour défaut d’information, sur le fondement de la perte de chance n’a été accordée, alors qu’il y avait urgence, impossibilité ou refus du patient d’être informé.
b) L’indemnisation de la perte d’une chance suite à une faute technique
La notion de « faute technique » doit être entendue au sens large et comprend le retard d’intervention, l’erreur de diagnostic, le retard de diagnostic et le défaut de soins.
Selon le juge judiciaire, il n’est pas certain que, si la victime avait été traitée correctement, le dommage aurait pu être évité. Avec un traitement conforme aux données acquises de la science, il existait une « certaine chance » de guérison ou de très nette amélioration mais il existait également un pourcentage de risque d’échec du traitement.
Le juge estime qu’on est passé d’un état où le patient n’avait que des chances d’éviter le dommage à un état dans lequel la victime a perdu toutes les chances d’éviter le dommage.
Dès lors, la victime sera indemnisée de manière partielle à hauteur du pourcentage de chance qu’elle avait de guérir ou d’améliorer sa situation. La victime doit prouver que le défaut de soins l’a privée d’une chance de survie ou de guérison.
Le dommage résultant de la perte de chance est selon la Cour de cassation « fonction de la gravité de l’état réel de la victime et de toutes les conséquences en découlant » et sa réparation « doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle était réalisée » .
Il incombe donc à la victime de préciser à quel montant elle évalue la totalité des préjudices afférents à son état puis aux juges du fond d’apprécier le bien fondé des demandes et d’évaluer les différents chefs de préjudices en distinguant ceux qui sont afférents à l’atteinte à l’intégrité physique du patient et soumis à recours des tiers payeurs et ceux qui ont un caractère personnel.
Les juges déterminent ensuite, par une appréciation souveraine, la fraction de ces préjudices correspondant à la perte de chance de les éviter si le professionnel de santé n’avait pas commis une faute et fixent la part correspondant au préjudice personnel de la victime et celle correspondant aux préjudices patrimoniaux sur lesquelles le recours des tiers payeurs ne peut s’exercer. Les tiers payeurs disposent en effet, à l’exclusion de la part réparant le préjudice personnel de la victime, d’un recours à la mesure des prestations qu’ils ont versées à celle-ci et qui sont en relation directe avec le fait dommageable .
Cette indemnisation, qu’elle concerne la perte d’une chance suite à un défaut d’information ou la perte d’une chance suite à un défaut technique, implique la souveraineté des juges du fond.
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