Lorsqu’une entreprise décide de mettre en place un régime de retraite supplémentaire, elle poursuit différents objectifs que l’on peut classer en deux grandes catégories. D’une part, l’entreprise va chercher à renforcer son attractivité et à optimiser sa politique sociale (A). D’autre part, l’entreprise va pouvoir « amortir » ce premier objectif en profitant des régimes incitatifs édictés par le législateur (B).
A/ L’optimisation de la politique sociale
S’il est vrai que tous les régimes de retraite supplémentaire concourent à l’optimisation de la politique sociale de l’entreprise, ils ne sont pas pour autant interchangeables. Les régimes à cotisations définies sont les plus répandus car ils représentent un risque financier moins important (1). A l’inverse, les contrats à prestations définies sont plus risqués. Ils sont généralement réservés aux « hommes clés » de l’entreprise, qui espère ainsi les fidéliser (2).
1. Les régimes à cotisations définies : l’avantage retraite le moins contraignant à mettre en oeuvre pour l’entreprise
Selon une enquête réalisée début 2010 par l’institut d’étude CSA, le dispositif d’épargne retraite le plus détenu est le contrat « article 83 ». 19% des entreprises de 10 salariés et plus en proposent un à leurs salariés. Ces régimes concernent un nombre important de salariés même s’ils restent bien souvent mis en place pour une seule catégorie de salariés, notamment celle des cadres.
Nous l’avons vu avec l’intéressement, l’épargne salariale est un facteur important de motivation des salariés et permet à l’entreprise de faire coïncider l’avantage financier offert aux objectifs fixés (hausse du CA, amélioration de la qualité, de la sécurité…). Il est beaucoup plus délicat de faire un lien entre la mise en place d’un régime à cotisations définies et la performance individuelle voire collective des salariés. Ceci s’explique en partie par le mode de financement de l’avantage retraite. En effet, lors de la mise en place, l’entreprise va s’engager à financer le régime à hauteur par exemple de 60%, les salariés finançant les 40% restant. Ainsi, l’avantage se trouve en quelque sorte figé, là où celui octroyé par l’intéressement ne se déclenchera qu’au-delà d’un seuil déterminé dans l’accord. L’avantage retraite n’a donc pas ou peu d’effet sur la motivation et les performances des salariés. Ceci dit, la réglementation ne prévoit pas une fixité dans le temps de la cotisation et rien n’empêche a priori de faire évoluer la contribution patronale à la hausse à partir du moment où le caractère collectif est respecté. Ainsi, il serait possible d’ajouter un attrait supplémentaire aux régimes à cotisations définies, à savoir associer les salariés à la bonne marche de l’entreprise.
En mettant en place un régime de retraite à cotisations définies, l’entreprise va renforcer son image auprès des salariés déjà présents et qui se verront proposer un complément de rémunération, d’autant plus appréciable que la problématique des retraites est de plus en plus au coeur des préoccupations salariales. L’entreprise va également améliorer son attractivité auprès des candidats à l’embauche et pourra avec le régime de retraite supplémentaire, faire valoir un argument supplémentaire pour séduire ses futurs collaborateurs. Ne l’oublions pas, les régimes à cotisations définies confèrent des droits acquis aux bénéficiaires. En conséquence, ces droits sont portables et un candidat qui bénéficiait déjà de cet avantage sera sensible au fait que son nouvel employeur lui propose un système équivalent. Ainsi, il pourra non seulement transférer les droits accumulés mais également en acquérir de nouveaux. En résumé, s’il n’est pas à proprement parler un élément de fidélisation, le régime de retraite à cotisations définies reste un élément de séduction qui optimise la politique sociale de l’entreprise en répondant à l’inquiétude des salariés quant à leur future retraite.
L’une des grandes forces des contrats « article 83 » réside dans leur souplesse. En premier lieu l’avantage retraite peut ne concerner qu’une partie seulement des salariés ce qui permet à l’entreprise de cibler les bénéficiaires. Ainsi, l’entreprise pourra en fonction de ses objectifs en matière de politique sociale, privilégier une catégorie de salariés et même, à l’intérieur de cette catégorie, proportionner l’avantage au niveau de rémunération en concentrant les contributions sur certaines tranches de salaire. Pour être plus clair, l’entreprise peut par exemple avantager les salariés les moins bien rémunérés en fixant sa contribution sur la tranche A des salaires ou favoriser les plus hauts revenus via une assiette fixée sur les tranches supérieures au PASS. Afin d’étendre ou au contraire limiter le champ des bénéficiaires, l’entreprise peut également stipuler une condition d’ancienneté (un an maximum). La souplesse du dispositif se traduit également par le financement partagé. L’entreprise ne prendra à sa charge qu’un pourcentage des cotisations et gardera ainsi la maitrise sur l’évolution du coût du régime. Enfin, dernier point positif pour l’entreprise, le dispositif de retraite à cotisations définies est révocable. Comme l’entreprise ne s’engage pas sur un résultat mais sur un financement, l’obligation contractée est tout à fait révocable sous réserve du respect des modalités de dénonciation.
Au niveau des limites, nous pouvons dire que les régimes à cotisations définies ont moins d’impact au niveau des salariés les plus âgés qui bénéficient tardivement de cet avantage. En effet, le système favorise les salariés les plus jeunes puisque son efficacité repose sur la durée de la phase d’épargne. Par ailleurs, ce type de retraite supplémentaire ne fidélise pas les salariés dans la mesure où leurs droits sont portables vers un régime similaire, si bien entendu celui-ci existe chez le nouvel employeur.
A l’inverse, les régimes à prestations définies ont pour principal attrait de fidéliser les collaborateurs, notamment ceux d’un certain âge.
2. Les régimes à prestations définies : la fidélisation des éléments clés
Les régimes à prestations définies intéressent l’entreprise au titre des ressources humaines puisqu’ils constituent un élément de plus en plus apprécié de la politique salariale. Ils favorisent fortement la fidélisation des collaborateurs les plus précieux en constituant un avantage retraite important, voir un avantage statutaire. En effet, la prestation promise par la société ne sera versée que si le bénéficiaire achève sa carrière au sein de l’entreprise. En définitive, tout comme les régimes à cotisations définies, le dispositif est attractif en amont de la relation de travail, mais possède en plus l’avantage de fidéliser le collaborateur pendant la durée du contrat de travail. Si le bénéficiaire quitte l’entreprise avant l’âge de la retraite, il ne touchera pas la prestation promise, ce qui est plutôt dissuasif. Cet élément de rémunération globale intéresse en priorité les cadres dirigeants ou les cadres seniors ainsi que tous ceux dont le parcours n’a pas été régulier. Pour ces derniers, le bénéfice d’un régime additif ou chapeau est un argument de poids. Depuis la réforme Balladur de 1993, les retraites de base sont calculées sur les 25 meilleures années, alors qu’auparavant l’assiette de calcul reposait sur les 10 meilleures années. De même, les régimes complémentaires Arrco et Agirc constituent des droits qui sont calculés sur chacun des salaires perçus tout au long de la carrière. Enfin, les régimes obligatoires fonctionnent sur la base d’un taux de cotisation unique, qui n’est pas modulable et qui ne peut donc pas permettre de « rattraper » le retard dans la constitution des droits. Ainsi certains cadres supérieurs qui ont vu leur carrière et leur rémunération décoller sur le tard, seront touchés par une perte significative de leur niveau de vie au moment de la retraite. Le taux de remplacement, qui est le rapport entre le dernier traitement d’activité et la première pension de retraite sera déterminé par l’évolution du salaire au cours de la carrière. Plus la « pente » de la carrière sera forte, plus le taux de remplacement sera faible. Par exemple, un salarié qui a vu son salaire multiplié par huit au cours de sa carrière subira une perte de niveau de vie d’au moins 60%, alors que le salarié dont la rémunération n’a pas ou peu augmentée, ne perdra que 30 % de son niveau de vie. Les régimes à prestations définies vont permettre d’amortir la « rupture » de revenus subie au moment de la retraite par les salariés qui n’ont pas eu une carrière linéaire. L’entreprise a tout intérêt de cibler ces profils et de leur proposer ce type de régime de retraite supplémentaire, beaucoup mieux adapté à leurs besoins. A l’inverse, les régimes à prestations définies, surtout si le montant de l’engagement n’est pas significatif, ne seront pas perçus comme un avantage par les salariés jeunes car sauf cas exceptionnels, ils ne termineront pas leur carrière au sein de l’entreprise et donc ne bénéficieront d’aucun droit au moment de la retraite.
Le régime à prestations définies peut donc être utilisé à des finalités économiques variées. L’entreprise peut par exemple avoir à faire face à une pénurie de collaborateurs ayant une compétence spécifique. L’avantage octroyé à cette catégorie l’incitera à rester au sein de l’entreprise. L’entreprise peut également étayer une politique de mobilité internationale en offrant une garantie qui permettra aux salariés expatriés de bénéficier du même niveau de retraite à leur retour. Nous pourrions citer bien d’autres exemples dans lesquels l’entreprise utilise les régimes à prestations définies pour articuler sa politique sociale.
Si le régime à prestations définies est efficace en matière de politique sociale, le régime différentiel représente un risque financier pour l’entreprise. Dans les régimes à cotisations définies l’entreprise ne s’engage qu’à une obligation de moyen. De ce fait, ce sont les salariés qui supportent le risque de mauvaise performance financière du régime. A l’inverse, dans un régime différentiel l’entreprise a une obligation de résultat et c’est donc elle qui supportera le risque de diminution des pensions de base. Le risque financier est donc plus important et c’est d’autant plus vrai qu’il va être fonction de paramètres que l’entreprise ne peut pas anticiper et maitriser.
La mise en place de régimes de retraite supplémentaire va engendrer pour l’entreprise un coût qui va être en partie amorti par les avantages fiscaux et sociaux dont elle va bénéficier.
B/ Le coût de l’avantage retraite « amorti » par les avantages sociaux et fiscaux
Il nous parait utile de rappeler qu’indépendamment des avantages sociaux et fiscaux dont bénéficie l’épargne retraite collective, le coût des régimes à cotisations définies va être amorti par le financement partagé (sauf si l’entreprise finance le régime intégralement).
Les cotisations versées par l’employeur au titre du financement de ces régimes vont bénéficier d’un traitement de faveur au niveau social (1) et au niveau fiscal (2).
1. Le régime social de la retraite supplémentaire
Le dispositif d’exonération sociale du financement patronal des régimes de retraite supplémentaire à cotisations définies est prévu à l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale. Seule la part patronale finançant le régime bénéficiera d’un environnement social de faveur. La part salariale est de fait soumise aux charges sociales puisqu’elle est précomptée avant versement du net, sur la rémunération brute elle-même soumise aux charges sociales.
Pour bénéficier de l’exonération prévue à l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, les contributions patronales doivent financer des régimes à cotisations définies qui respectent certaines conditions. Nous retrouvons en premier lieu une condition propre à la mise en place du régime. En effet, le dispositif doit avoir été mis en place dans l’entreprise selon l’une des procédures visées à l’article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale, c’est-à-dire soit par convention ou accord collectif, soit par référendum, soit par décision unilatérale du chef d’entreprise constatée dans un écrit remis à chaque intéressé. Ce formalisme doit impérativement être respecté par l’entreprise si celle-ci souhaite bénéficier des exonérations de cotisations sociales. En second lieu, les contributions au régime de retraite à cotisations définies ne doivent pas se substituer à d’autres éléments de rémunération en tout ou partie supprimés(55). Troisième condition, le régime mis en place doit être collectif et obligatoire. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011 a apporté une précision sur le caractère collectif. Le régime mis en place doit « bénéficier à l’ensemble des salariés ou à une partie d’entre eux sous réserve qu’ils appartiennent à une catégorie établie à partir de critères objectifs ». Enfin la dernière condition à respecter pour bénéficier des exonérations sociales est celle de l’uniformité de la contribution patronale. Cette dernière doit être fixée à un taux uniforme pour l’ensemble des salariés de la catégorie bénéficiaire. Seule une modulation du taux en fonction des tranches de salaires est possible.
Si toutes ces conditions sont remplies, les contributions des employeurs au financement de prestations supplémentaires seront exclues de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale propre à chaque assuré. Toutefois ces exonérations sociales sont soumises à un plafonnement. Seule la fraction des cotisations ne dépassant pas le plus élevé des deux plafonds suivants bénéficiera de l’exclusion d’assiette : 5% du plafond annuel de la Sécurité sociale ou 5% de la rémunération brute soumise à cotisations de Sécurité sociale.
L’employeur reste redevable sur les sommes versées au régime, de la CSG au taux de 7,5 % et de la CRDS au taux de 0,5 %, le tout après un abattement de 3 % pour frais professionnels. L’employeur devra également s’acquitter d’un forfait social fixé à 6 % en 2011.
Concernant, les régimes à prestations définies, la loi Fillon de 2003 a crée un environnement social propre à ces régimes lorsque ceux-ci ne sont pas individualisables et lorsqu’ils conditionnent les prestations à l’achèvement de la carrière du bénéficiaire dans l’entreprise. Si cette double condition est respectée, l’entreprise se verra appliquer le régime très favorable de l’article L. 137-11 du Code de la Sécurité sociale. Leur contribution au financement du régime sera totalement exonérée des cotisations sociales ainsi que de la CSG/CRDS et du forfait social. En contrepartie de l’exonération des charges sociales, le financement patronal est soumis à une contribution spécifique assise, sur option irrévocable de l’employeur, soit sur la prestation, soit sur le financement. S’agissant de la contribution sur les prestations, l’assiette de la contribution patronale « à la sortie » sera celle des rentes liquidées. Le taux de la contribution sur les rentes est fixé à 16 % depuis le 1er janvier 2010, celles-ci étant assujetties dès le premier euro depuis le 1er janvier 2011 (et plus seulement sur la fraction excédant le tiers du PASS). Si l’employeur opte pour une contribution sur le financement, l’assiette portera sur les primes versées à l’assureur ou, en cas de gestion interne, sur le provisionnement. Le taux de la contribution patronale « à l’entrée » est de 12 % sur les primes d’assurance ou bien de 24 % sur la partie de dotation aux provisions. En tout état de cause, s’ajoute à la contribution payée par l’employeur, une contribution additionnelle de 30 % sur les rentes dépassant 8 PASS (soit 282 816 € en 2011).
2. L’environnement fiscal du financement pour l’entreprise
Conformément à l’article 39-1 1° du Code général des impôts, les entreprises peuvent déduire de leurs bénéfices soumis à l’impôt, leurs dépenses de personnel et de main d’oeuvre exposées dans l’intérêt de l’entreprise. Les cotisations aux régimes de retraite supplémentaire sont considérées comme un élément de la rémunération, elles sont donc déductibles dans les mêmes conditions et limites.
En application des règles de droit commun, les cotisations, primes ou pensions versées par l’entreprise doivent pour être déductibles, remplir cumulativement les conditions suivantes : être supportées dans l’intérêt de l’entreprise et correspondre à une charge effective, c’est-à-dire se traduire par une diminution de l’actif net.
Par ailleurs, la jurisprudence(56) exige pour la déductibilité des sommes versées par l’entreprise, qu’elles aient été versées dans le cadre d’un régime de retraite qui respecte les conditions suivantes : l’employeur doit avoir souscrit un véritable engagement juridique opposable (convention collective, référendum, décision unilatérale) et cet engagement doit présenter un caractère général et impersonnel, c’est-à-dire qu’il doit bénéficier à l’ensemble du personnel ou à une ou plusieurs catégories de salariés, de telle sorte que le système mis en place ne puisse être assimilé à un avantage particulier. Enfin, l’entreprise doit perdre définitivement la propriété et la disposition des sommes versées. Tel est bien le cas dans les régimes à cotisations définies qui se traduisent par l’ouverture d’un compte individuel et dans les régimes à prestations définies lorsque la gestion est externalisée auprès d’un assureur.
A défaut de remplir ces conditions, les cotisations sont considérées comme des libéralités, non déductibles pour la détermination des résultats imposables des entreprises.
Si l’entreprise respecte les conditions précitées, les versements effectués pour financer le régime pourront être déduits du bénéfice imposable. La question qui se pose est celle de la limite des déductions fiscales. A priori, aucune limite de déduction n’est imposée par la loi. C’est en tout cas ce
qui ressort des dispositions de l’article 83 2° du CGI relatif à l’imposition en matière de retraite supplémentaire. En revanche, les dispositions générales de l’article 39, 1-1° du CGI laissent planer le doute quant à une possible limite de déduction des cotisations de retraite supplémentaire. En effet, cet article n’autorise la déduction des rémunérations directes ou indirectes que dans la mesure où elles ne sont pas excessives eu égard à l’importance du service rendu. Même si la jurisprudence n’a jamais eu l’occasion de préciser à partir de quel niveau de prestations les cotisations versées devenaient excessives et donc non déductibles des revenus ou bénéfices imposables, il convient de rester prudent sur ce sujet.
Une dernière précision peut être apportée sur le régime fiscal des sommes versées dans le cadre d’un régime de retraite à prestations définies. Lorsque le financement du régime ou le paiement des rentes est externalisé auprès d’un assureur, l’entreprise peut déduire les contributions versées de ses bénéfices soumis à l’impôt sur les sociétés. En revanche, lorsque le régime est géré en interne, les provisions constituées pour faire face aux engagements de retraite ne sont pas déductibles.
Même s’il existe quelques contraintes pour l’entreprise, la mise en place de régimes de retraite supplémentaire contribue très fortement à l’optimisation de la politique sociale, en permettant à l’ensemble des salariés ou à une partie d’entre eux d’acquérir un avantage financier au moment de la retraite.
Néanmoins, les nouvelles taxations de ces dispositifs, décidées en 2011, n’augurent pas d’un avenir radieux pour les régimes à prestations définies.
55 A moins qu’un délai de 12 mois ne se soit écoulé entre le dernier versement de l’élément de rémunération supprimé et le premier versement de la contribution au régime de retraite supplémentaire.
56 Arrêt du Conseil d’Etat, 9 novembre 1990, n° 88765, Laboratoires Nicholas.