Nous allons tenter de voir ici quels sont les avantages et les inconvénients de ce style de musique
dans le domaine qui nous intéresse. Forts de nos constatations dans les domaines épistémologiques
(quelles sont les recherches qui ont été faites à ce sujet), linguistiques et sémantiques (analyses des
paroles et des interviews) et sociologiques (notamment avec les exemples d’autres langues), voyons
dans quelle mesure le genre de musique punk/hardcore peut, et peut ne pas être utile à la diffusion
du français.
Le cloisonnement auto-imposé par le mouvement punk/hardcore est sans nul doute sa plus grande
force pour la constitution d’un réseau solide et solidaire, ainsi que pour se maintenir loin des
courants de mode et des institutions ; mais aussi sa faiblesse majeure pour une plus grande
exposition populaire et une diffusion plus officielle.
On a pu voir qu’à travers son langage direct et orienté vers l’audience, le style punk/hardcore permet
aux groupes de langues minoritaires d’accéder à une scène d’exposition dépassant le simple cadre
régional et « folklorique ». De même, c’est un style de musique qui offre la possibilité à ses acteurs
de voyager et tourner dans des pays très éloignés. Alors, même si l’exemple le plus « exotique »
qu’on a vu, le Brésil, est un pays extrêmement riche culturellement et exporte une grande quantité
de ses écrivains, musiciens et sportifs, il est intéressant de voir comment un style musical venu
d’ailleurs a su être domestiqué et exploité par les Brésiliens. Le réseau communautaire punk permet
une diffusion mondiale de cette musique, et au vu de l’importance des paroles dans celle-ci, on ne
peut nier qu’il s’agit d’un moyen de diffusion et d’échange des langues très efficace.
De ce fait, on pourrait imaginer lier les deux réseaux, celui du punk/hardcore et celui du FLE, dans
un « échange de bon procédé » : pour les groupes francophones, cela les aiderait à trouver des dates
dans des pays où le milieu punk n’est pas très développé (comme certains pays d’Asie ou
d’Amérique latine), et pour les institutions de la francophonie, faire venir des artistes francophones
dans des pays où cela est rare (souvent les mêmes !). La France a la chance de disposer d’un réseau
culturel important à travers le monde, et il ne faut pas hésiter à se servir de ce réseau pour présenter
des artistes qui n’ont pas toujours droit à une exposition officielle. Le principal atout du français
dans son développement à travers le monde est son réseau, unique en son genre, d’alliances
françaises et de centres culturels, présent dans presque tous les pays du monde. Dans certains pays
isolés comme le Laos ou la Bolivie, ces centres représentent parfois le seul îlot de culture local avec
accès à des livres, à internet, et à des cours de langue. Pourquoi pas aussi à des concerts ?
Cette accessibilité à la culture et à la langue française est donc extrêmement importante pour le maintien
de son influence dans le monde, et bien que la diffusion du français soit toujours une priorité pour le
gouvernement (environ 40% du budget du Ministère des Affaires Etrangères y est consacré), son
maintien est loin d’être assuré, comme le dit Jean Hourcade dans le monde du 20/01/2011 : « Paris
a désormais prévu de supprimer dans les trois ans 400 postes dans les SCAC (Service de
Coopération et d’Action Culturelle, ndr) que les ambassadeurs vont devoir désigner. Ne
subsisteraient, en Asie par exemple, que quelques gros postes dans les pays émergents à la mode
(Chine, Inde) alors que notre fierté était de mailler la quasi-totalité des pays, où la France jouissait
(jouit encore pour le moment) de relais solides qu’on va sacrifier et qui nous oublieront. »
Cependant, si la musique en général et le punk/hardcore en particulier sont des moyens de diffusion
et d’échange efficaces, ce moyen est également assez limité, concernant ce style musical, dans la
mesure où le public reste justement communautaire et a du mal à s’ouvrir au plus grand nombre. Les
« mass média » restent hermétiques au punk/hardcore et réciproquement, donc le public touché
demeure restreint aux initiés.
Autre problème lié cette fois au style musical intrinsèquement parlant : la diffusion du message lors
des concerts, pendant le spectacle vivant ou « produit éphémère » qu’il constitue. Comme on le voit
dans les interviews, la qualité du matériel et/ou la rapidité et le volume de la musique ne permettent
pas une bonne compréhension des paroles en live (même si ce n’est pas toujours vrai, certains
groupes mélodiques bénéficiant d’une notoriété suffisante pour jouer sur du bon matériel – donc en
général des américains – chantent de manière tout à fait audible même en concert). Cela constitue
un frein indéniable à la diffusion du message, auquel il est difficile de remédier. On peut toutefois
arguer qu’il incombe à l’auditeur de faire la démarche volontaire de s’intéresser aux paroles si le
spectacle lui a plu, ce qui semble d’ailleurs être le cas dans le milieu punk/hardcore (Heyoka :
« Quand vous tournez à l’étranger, est-ce que le public vous demande ce que vos paroles veulent
dire ?
– Alors, non seulement les gens s’intéressent, mais… […] Nous ce qu’on propose, on livre les choses
telles quelles, en fait, après les gens l’acceptent ou l’acceptent pas, il faut faire des efforts. Nous
quand on était plus jeunes, maintenant on a la quarantaine mais bon, quand tu voulais être punk, il
fallait que ce soit toi qui ailles vers les groupes parce que t’avais pas internet, t’avais pas des tas de
choses, donc tu leur écrivais, et t’avais une démarche volontaire parce que tu t’intéressais à eux.
-Donc en général les gens s’intéressent à ce que vous dites, que ce soit en France ou à l’étranger ?
-Complètement, ils cherchent à comprendre. »)
Toujours dans cette idée de lier les deux réseaux punk/hardcore et francophonie, il faudrait donc
d’une part que les artistes n’hésitent pas à venir jouer dans des lieux qui leurs seraient inhabituels et
d’autre part, il faudrait que les gérants de ces lieux n’hésitent pas à accueillir des artistes d’un genre
inhabituel pour eux, et dans des conditions décentes.
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