D’abord, la chance s’apprécie objectivement. Elle se distingue dès lors du simple espoir purement subjectif. Médicalement, le malade atteint d’un cancer incurable ne disposera d’aucune chance appréciable de guérison. Par contre, il peut conserver l’espoir de guérir.
Ensuite, la chance n’est qu’une probabilité suffisante. Elle se distingue donc de la certitude. Ce critère permet alors de différencier deux hypothèses de responsabilités médicales bien distinctes :
L’une concernant l’exécution défectueuse de l’acte médical ayant elle-même crée le phénomène pathologique. Par exemple, l’anesthésie pratiquée sans vérification de la vacuité de l’estomac a déterminé une asphyxie . Dans ces cas, il est évident que la faute est la cause unique du dommage et la responsabilité qu’elle engendre ne peut être qu’entière.
L’autre désignant la faute du médecin ayant eu pour seul effet de laisser se développer le processus pathologique dont le patient était atteint. Il est certain qu’il y a faute du médecin, puisque ce dernier est tenu de dispenser au malade des soins attentifs et conformes aux données acquises de la science. Cependant, en de telles circonstances, cette faute n’a pu engendrer que la perte d’une chance de guérison, dont la valeur est fonction du bénéfice probable que les soins omis auraient pu procurer au patient. Finalement, une marge d’incertitude subsiste toujours. C’est en cela que réside le domaine propre de notre jurisprudence.
Dans ce cadre, il a été soutenu que la notion de chance serait employée en matière médicale avec une signification particulière, qui la distinguerait fondamentalement de son acception usuelle et en rendrait l’application abusive. Ces particularités tiendraient, d’une part, à ce qu’il s’agirait alors de « chances passées et révolues » et non point de « chances perdues pour l’avenir » , d’autre part, à ce que la chance n’aurait « pas de valeur propre » constituant une sorte de « propriété antérieure de la victime », cette chance « portant directement sur le succès de l’acte « médical confié au médecin ».
D’après l’étude de Monsieur BORE , la première observation est peu convaincante : la chance est toujours une « supputation légitime de l’avenir » ; mais en cas de perte d’une chance, cet avenir est toujours définitivement révolu . C’est ainsi que la perte de la vue pour le malade mal soigné est irrémédiable. Et ce n’est jamais que par un pronostic rétrospectif que l’on peut déterminer ce qu’aurait pu être l’avenir probable, si la faute du défendeur n’en avait pas irrévocablement compromis le cours. Ce pronostic est d’ailleurs présent dans le système de causalité ; les systèmes classiques recherchent fictivement ce qui se serait produit si chacun des facteurs qui se sont conjugués avait joué séparément ; la théorie de la perte d’une chance recherche fictivement ce qui se serait produit si le facteur qui n’a pas joué s’était conjugué avec les autres.
La seconde observation contient une part de vérité : en matière médicale la « chance de guérison » est liée à l’exécution correcte du contrat médical et au droit qu’il confère au malade d’être bien soigné. Cette situation n’est ni particulièrement originale, ni de nature à faire obstacle à l’indemnisation, si cette chance est compromise.
En matière contractuelle, la bonne exécution du contrat est toujours une des conditions d’épanouissement de la chance puisque la faute commise dans cette exécution suffira à anéantir cette chance, en arrêtant le cours des événements qui lui auraient permis de s’exercer.
D’autre part, la chance, en matière médicale a bien une valeur propre et préexistante : cette valeur, c’est l’aptitude qu’à le malade à être guéri compte tenu, d’une part, de la nature et du degré d’évolution du mal dont il est atteint, d’autre part des techniques médicales pharmaceutiques ou chirurgicales qui sont à la disposition du médecin. Ces diverses thérapeutiques constituent un « patrimoine scientifique », distinct du médecin qui se borne à les mettre en œuvre. Et l’état du malade constitue également un élément objectif essentiel, au point que la jurisprudence tiendra les chances de guérison pour nulles, quoique le médecin ait omis de faire, lorsque le « processus mortel » sera déjà engagé de façon irréversible . Il n’y a donc rien d’anormal à ce que l’on ait eu recours, en matière médicale, à la notion de perte d’une chance, que l’on appliquait depuis près d’un siècle à d’autres professions libérales.
Outre la notion de « chance », il convient de préciser la définition donnée de « la perte de chance » par la jurisprudence.
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