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1) La consécration d’un nouveau chef de préjudice indemnisable

« Plutôt que de s’engager dans la voie discutable de la reconnaissance d’un préjudice objectif découlant nécessairement de la violation du droit à l’information du patient, mieux vaudrait, à notre avis, admettre, à la suite de Michel Penneau, que le manquement du médecin à son obligation d’information peut dans certains cas, même s’il a été sans incidence sur le consentement du patient, être source pour celui-ci d’un préjudice « d’impréparation », résultant de l’impossibilité dans lequel il s’est trouvé d’anticiper la réalisation éventuelle du risque et pouvant revêtir des aspects patrimoniaux aussi bien qu’extrapatrimoniaux ». C’est ainsi que Monsieur STOFFEL-MUNCK et une partie de la doctrine propose d’indemniser un nouveau chef de préjudice moral, celui né de la souffrance morale résultant du choc subi lors de l’annonce du risque réalisé, souffrance qui serait alors inexistante ou largement moindre si le risque était annoncé et accepté par le patient. Finalement, ce préjudice est subi par le patient qui n’a pu se préparer psychologiquement à une telle éventualité car non informé.

Ce préjudice n’est pour autant pas systématique, c’est pourquoi il est important que le juge recherche au cas par cas l’existence d’un tel dommage . Selon la doctrine, il appartiendrait au patient victime de prouver que ses souffrances morales auraient été moindre s’il s’y était préparé. Celui-ci aurait alors l’assurance d’obtenir une indemnité pour le dommage corporel subi s’il est prouvé qu’informé, l’intervention aurait été refusée, ou encore une indemnité pour la perte d’une chance d’éviter la réalisation de ce dommage si un doute affectait la décision qui aurait été prise, ou enfin une indemnité pour le dommage moral d’impréparation s’il est certain que, même informée, l’intervention aurait été acceptée : « la victime pourrait réclamer ainsi à titre principal la réparation intégrale de son dommage corporel, ensuite, subsidiairement, la réparation de la perte de chance d’éviter ce dommage et à titre infiniment subsidiaire la réparation du préjudice moral de non-préparation ».

Ce raisonnement dégagé par la doctrine a pourtant été refusé par la première chambre civile le 6 décembre 2007 . Même s’il est vrai que l’acceptation d’un tel préjudice pourrait entraîner une multiplication du nombre des recours en justice des patients victimes, et donc par la même la mise en danger du corps médical, cette solution est contestable.

D’abord, le préjudice moral né d’une impréparation a tous les caractères d’un préjudice indemnisable, en cela qu’il est direct car en relation directe de causalité avec le défaut d’information ; certain car existant en l’espèce, et légitime. Il semble en réalité que l’analyse du juge ait porté sur l’existence d’un consentement éclairé du patient, objectif premier de l’obligation d’information. Selon Madame BACACHE, « ce recours à la finalité de la norme transgressée n’est pas sans rappeler la théorie de la relativité aquilienne. Selon cette théorie, (…) un lien est établi entre la finalité de la règle transgressée et le résultat dommageable de sorte que seul serait indemnisable le dommage contre lequel la règle violée avait pour but de protéger la victime ». Pour autant, cette théorie a été écartée par la Cour de cassation concernant la responsabilité des parties à l’égard des tiers.

Ensuite, d’après Messieurs TERRE et LEQUETTE, l’article 1382 du Code civil s’applique par la généralité de ses termes aussi bien au dommage matériel qu’au dommage moral. D’ailleurs, la Cour de cassation adopte une conception restrictive de la notion de préjudice alors que jusqu’à présent elle a toujours cherché à affiner le préjudice moral en démultipliant ses composantes .

Enfin, ce refus de réparer le préjudice moral du patient conduit à laisser le manquement à l’obligation d’information du médecin sans sanction. Elle constitue alors une immunité du médecin fautif, en contradiction même avec le droit à l’information prévu à l’article L1111-2 du CSP. Les chances d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux sont alors bien réduites.

Outre ce nouveau chef de préjudice qui tend à une meilleure indemnisation des victimes, la doctrine sollicite la reconnaissance d’un nouveau droit subjectif.

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