Les travaux de Denis Guigo sur « La propreté à Besançon au fil des âges »(45) nous ont permis
de retracer le cheminement historique de la gestion des excréta urbains à Besançon depuis l’époque
romaine jusqu’au début des années 1990. Nous ne nous intéresserons pas à l’industrie de la
récupération mais plutôt à l’émergence et à la structuration d’un SPED.
1.A. De l’époque romaine à la résurgence des enjeux de salubrité publique au XVIIIe siècle
Avec la conquête de Vesontio(46) par Jules César en 58 avant J.-C., cet oppidum gaulois se
transforme en capitale romaine en raison de sa position stratégique tant au niveau militaire qu’au
niveau commercial. Durant cet âge d’or de la ville, les Romains réalisent de nombreux
aménagements dont la construction d’un aqueduc de 10 kms qui transporte de l’eau potable depuis la
source d’Arcier (en amont du Doubs) jusqu’à l’intérieur de la Boucle(47), ainsi qu’un réseau hydrique
constitué de thermes, de fontaines et d’égouts. A partir du IVe siècle après J.-C., le déclin de l’empire
romain laisse ces infrastructures à l’abandon et l’aqueduc, pièce maitresse du système romain de
salubrité publique, est partiellement détruit au Ve siècle.
Jusqu’au XVIIe siècle, la gestion des excréta urbains s’opère sur le mode du « tout à la
rivière », sauf, évidemment, pour les matières qui peuvent faire l’objet d’une réutilisation (boues et
vidanges pour l’agriculture, déblais de construction pour l’aménagement des rives du Doubs, etc.).
L’entretien de la voirie est à la charge des bisontins qui doivent désormais déposer leurs
immondices au-delà des remparts mais, comme pour le Royaume de France, le manque de zèle des
riverains entraine une multiplication stérile des édits imposant l’obligation de balayage.
Au XVIIIe siècle, Besançon cherche à faire face aux « problèmes du manque d’eau potable
en ville et de l’évacuation des eaux usées » qui demeurent jusque là sans solutions depuis l’époque
romaine, malgré l’existence de quelques fontaines publiques alimentées par la source de Fontaine-
Argent depuis 1457 et par celle de Bregille un siècle plus tard. Finalement, la solution retenue pour
sortir de « l’ère du goutte-à-goutte »(48) sera la même que celle mise en place 17 siècles plus tôt sous
l’empereur romain Marc-Aurèle : la réalisation d’un aqueduc reliant la source d’Arcier à la Boucle
qui s’achève en 1854, conjointement à la constitution d’un réseau d’égouts. C’est également au début
du XVIIIe siècle, plus exactement en 1713, que nait l’ébouage municipal pour les trois artères
principales de la ville qui dessinent un axe Nord-Sud (Grande Rue, rue des Granges, rue St Vincent
[actuellement rue Megevand]). « Les habitants des voies concernées […] sont toujours chargés de
balayer devant chez eux mais ils n’ont plus qu’à laisser les déchets en tas au milieu du pavé, le
mercredi et le samedi avant dix heures du matin; ils seront ramassés par les tombereaux de
”l’entrepreneur du netoyement des rues”. »(49). Cette mesure se généralise à toute la ville intra muros
en 1741.
1.B. La structuration de l’ébouage municipal : passage d’une logique d’adjudication à une logique de régie
A partir de la fin du XVIIIe siècle, des femmes indigentes et parfois des enfants sont
employés de façon informelle par la Ville au balayage des places publiques. Avec ce développement
timide d’un service de nettoyage des espaces publics, des contraintes budgétaires commencent à être
palpables : « la Ville encaisse des rentrées de plus en plus limitées lors de l’adjudication de la ”ferme
des boues”, divisée en lots ; en revanche, les dépenses engagées pour balayer sur les places et
devant les bâtiments communaux augmentent. […] En effet, la présence de cendres et de déchets
inertes rend la gadoue urbaine moins intéressante pour les agriculteurs, qui refusent bientôt de payer
pour l’enlever puis exigent d’être rémunérés, et de plus en plus cher. On combine donc la régie et
l’adjudication pour contenir le prix demandé par les agriculteurs, depuis la fin des années 1860
jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. »(50).
Face à la dégradation de la qualité des boues urbaines, un ingénieur-voyer bisontin préconise
en 1876 la séparation des matières inertes et des matières organiques. Dans ce prolongement,
l’arrêté du 24 novembre 1896 instaure un système de poubelles avec double récipient : « une caisse
pour les déchets aptes à servir d’engrais ; une autre pour les débris de vaisselle, de verre, de poterie
et les écailles d’huîtres. »(51). Cependant, ces diverses tentatives d’application du tri à la source se sont
toujours heurtées à la difficile collaboration des bisontins.
Cette nouvelle organisation de la gestion des excréta urbains se formalise en 1876 avec la
municipalisation du balayage des espaces publics : « sous la surveillance de trois gardes de la
voirie, neuf cantonniers cordonneront désormais le nettoiement et l’arrosage intra muros »(52) tout en
conservant une main d’oeuvre indigente qui ne fait pas partie du personnel municipal. « Les
riverains sont toujours chargés de nettoyer devant chez eux et d’ajouter leurs ordures en tas avant 8
ou 9 heures selon la saison ; quatorze auxiliaires balayent le reste du territoire et seize autres
chargent les immondices sur les tombereaux qui les enlèvent. ». Dès la fin du XIXe siècle, la ville
envisage de se substituer intégralement aux riverains dans la tâche de nettoiement de la chaussée,
grâce à la création d’une taxe de balayage, mais ce projet n’aboutit pas.
Au début du XXe siècle, le service de gestion des excréta urbains se technicise (achat d’une
balayeuse-automobile et d’une arroseuse-automobile) et souhaite rationaliser le nettoiement de la
ville grâce à une nouvelle tentative d’instauration d’une taxe de balayage : « Le Conseil prévoit pour
cela de concéder au privé l’enlèvement des ordures ménagères ; une entreprise locale de transport, la
société des Monts-Jura, a d’ailleurs proposé en 1921 de prendre en charge l’enlèvement des ordures
ménagères, ainsi que le nettoiement de la ville, pour 485 000 F par an. L’importance de la somme –
près de 10 % du budget – fait reculer la municipalité qui décide finalement de concéder pour quinze
ans aux Monts-Jura l’enlèvement des ordures ménagères par camions-bennes avec couvercle à
charnières. Le coût de la prestation, évalué à 185 000 F par an, y compris l’entretien d’une décharge,
aurait été couvert par une taxe perçue par poubelle : 50 F par an pour une poubelle de 15 litres
correspondant aux besoins d’un ménage (la poubelle étant fournie par la Ville). Mais ce projet ne fut
pas mis à exécution ; les variantes proposées ensuite par d’autres sociétés non plus. Pendant encore
25 ans, l’enlèvement des détritus a été assuré par des charrettes non couvertes, tirées par des
chevaux et dont le contenu était vidé en décharge ou – de plus en plus rarement – utilisé comme
engrais. »(53). Bien que la taxe de balayage soit toujours restée un voeu pieux, « une taxe d’enlèvement
des ordures ménagères [TEOM] a été instaurée dès 1927, en application de la loi du 13 août
1926 »(54) qui autorise désormais les communes à prélever le contribuable pour assurer la propreté.
1.C. La modernisation du SPED de l’après-guerre à aujourd’hui
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le service municipal de gestion des déchets
se modernise enfin avec l’achat de « sept modernes camions-bennes électriques, dont quatre bennestasseuses
de 15m³ ». Le gisement des ordures, composé d’une quantité croissante de matières
inertes, ne peut plus faire l’objet d’une valorisation dans l’agriculture et est traité par une mise en
décharge. La décharge municipale s’apparente à une décharge sauvage sur laquelle on brûle les
ordures afin de gagner de l’espace, ce qui faisait dire à Jean Minjoz, alors maire de la ville, que ce
brasier produit « un panache de fumée qui permettait aux aviateurs et à beaucoup d’autres voyageurs
de localiser la ville de Besançon »(55). En 1966, le site est transformé en « décharge contrôlée », ce
qui consiste à entreposer les ordures par couches successives entre lesquelles on dispose de la terre.
En 1971, Besançon ouvre sa première usine d’incinération, ce qui conduit à un transfert
d’une partie des tonnages de la mise en décharge vers ce nouveau procédé de traitement. Cette unité
d’incinération valorise la chaleur produite par la combustion des ordures bisontines en chauffage
urbain qui alimente le jeune quartier de Planoise(56) et, à partir de 1984, l’hôpital. Avec la loi de 1975,
la ville de Besançon poursuit la modernisation de son SPED en uniformisant les conteneurs, jadis
très disparates car le choix des récipients était laissé à l’appréciation des riverains. Ces conteneurs
modernes sont loués aux usagers et permettent un gain de temps sur les circuits de collecte grâce au
système de basculement dans les camions-bennes. La location de bacs aux usagers constitue en
quelque sorte les prémices de la redevance incitative puisque le prix de location varie en fonction du
volume choisi par l’usager. La modernisation du SPED marque l’intronisation d’un « ”service
complet” : l’éboueur prend le conteneur dans la cour ou le jardin de l’immeuble, le vide puis le remet
en place. »(57).
Cependant, Denis Guigo souligne que « le progressif déchargement du citadin de ses
obligations de propreté urbaine, au profit des professionnels, ne signifie pas qu’il n’a plus de rôle à
jouer dans l’intendance de la cité » tout en décrivant les orientations données par la ville de
Besançon à la problématique de la salubrité urbaine au début des années 1990 : sensibilisation des
usagers sur les enjeux de cette problématique ; réflexion intercommunale sur « le traitement des
déchets, les réseaux d’eau, l’assainissement »(58) (avec la création du Conseil des Communes du
Grand Besançon en 1990) ; développement d’un réseau de déchèteries (la première a été ouverte en
1984). Denis Guigo conclue en soulevant un problème qui constitue un invariant historique dans la
gestion des déchets et qui caractérise encore les difficultés rencontrées aujourd’hui : « N’est-ce pas
un enseignement analogue que nous livre l’histoire de la longue réticence du citadin à empoigner le
balai dans l’espace public : l’individu rechigne à s’occuper des déchets d’autrui. Il convient donc
d’agir à la source, en combinant l’information, l’individualisation et l’incitation financière. »(59). La
promotion de ces principes d’information, de territorialisation et d’incitation financière s’adjoint
d’une critique visionnaire de la TEOM qui débouche sur la suggestion de solutions alternatives :
« Peut-être réformera-t-on plus tard le mode de calcul de la taxe d’enlèvement des ordures
ménagères, basée actuellement sur la valeur locative de la propriété et non sur le nombre
d’occupants ni sur le volume des ordures traitées ? On pourrait identifier et peser automatiquement
les conteneurs au moment de leur déchargement dans la benne, grâce à des techniques modernes
utilisées déjà dans l’industrie. »(60). Cette vision se concrétisera en 1999 avec l’instauration d’une
redevance incitative au volume du bac.
44 GUIGO Denis, « La propreté à Besançon au fil des âges », in Les Annales de la Recherche Urbaine, Décembre
1991 : n° 53, p. 46-57.
45 Ibid.
46 Nom latin de Besançon.
47 Centre historique de Besançon entouré par un méandre du Doubs et la colline de la Citadelle.
48 Ibid., p. 50.
49 Ibid., p. 51.
50 Ibid., p. 52.
51 Ibid., p. 53.
52 Ibid., p. 52.
53 Ibid., p. 53.
54 Ibid., p. 53.
55 Ibid., p. 54.
56 Le quartier est principalement constitué de barres d’immeubles et de tours, construites à partir des années 1960 sur
une zone qui, jusque-là, avait un caractère champêtre. Il est aujourd’hui considéré comme le quartier le plus sensible
de Besançon.
57 Ibid., p. 54.
58 Ibid., p. 57.
59 Ibid., p. 57.
60 Ibid., p. 57.