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§1 – La réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du CSS

ADIAL

Le Conseil par cette décision a donc jugé contraire à la constitution, le caractère limitatif de
la liste des préjudices indemnisables énumérés à l’article L.452-3 du code de la sécurité
sociale. Il est cependant peu aisé de cerner la portée de cette décision. Elle ouvre un droit à
l’indemnisation de préjudices complémentaires mais est considérée par certains comme
décevante pour les victimes alors que d’autres adoptent une interprétation plus audacieuse
de cette réserve, estimant qu’elle doit être comprise comme un appel à la réparation
intégrale des préjudices subis par les victimes de la faute inexcusable de leur employeur.
Si l’amélioration de l’indemnisation des victimes de fautes inexcusables est certaine (B), son
caractère intégral l’est moins (C). Avant d’exposer les différentes lectures possibles de cette
décision, il convient de relever les observations énoncées dans le commentaire publié dans
« les Cahiers du Conseil constitutionnel » (A).
A- Le point de vue de l’auteur du commentaire de la décision du Conseil
Le commentaire de la décision paru dans le cahier n°29 met l’accent sur cinq remarques à
propos de la réserve d’interprétation énoncée au considérant 18.
Tout d’abord, cette réserve précise bien « devant les mêmes juridiction » ce qui ferme toute
possibilité d’envisager une quelconque action en réparation devant les juridictions civiles ou
pénales de droit commun. Il s’agit de la validation de la compétence exclusive des
juridictions de la sécurité sociale pour connaître des contentieux sur la réparation des
accidents du travail et maladies professionnelles.
Ensuite, la réserve a pour objet la liste des préjudices complémentaires énoncée au premier
alinéa de l’article L.452-3 du CSS et non le caractère forfaitaire de l’indemnisation qui,
comme nous l’avons dit, est validé par le Conseil. L’enjeu fondamental de la réserve se
trouve ici, il est d’interdire que cette liste des chefs de préjudices soit interprétée comme
limitative et excluant le droit pour les victimes d’être indemnisées pour leurs préjudices non
couverts par le livre IV du CSS.
En troisième lieu, se pose la question de l’avance éventuelle, par les caisses d’assurance
maladie, de l’indemnisation des postes de préjudice non couverts par le livre IV. Cette
question sera abordée plus précisément par la suite. Mais l’auteur du commentaire de la
décision retient pour sa part que le Conseil a clairement reconnu un droit de demander la
réparation « à l’employeur » ce qui implique pour lui, que le versement direct des prestations
par les caisses prévu au dernier alinéa de l’article L452-3 n’est pas étendu à ces postes de
préjudice non prévus par le livre IV.
La quatrième remarque de l’auteur porte sur le point de savoir quels sont précisément les
postes de préjudice complémentaires dont la victime peut demander réparation. Le sujet
avait été abordé par la requérante qui estimait être privée du droit d’obtenir une
indemnisation au titre de l’aménagement de son domicile justifié par son handicap résultant
de l’accident. Le Conseil a, en toute transparence, laissé à l’appréciation souveraine des
juridictions de l’ordre judiciaire le soin d’identifier ces préjudices. Le Conseil, conformément à
sa jurisprudence antérieure137, s’abstient donc de trancher la question qui relève de la
compétence des juridictions de la sécurité sociale. Par cette précision, ce qui est sous-jacent
est que cette réserve d’interprétation n’implique pas que toute victime d’un accident du
travail dû à la faute inexcusable a souffert de dommages qui ne sont pas couverts par le livre
IV du CSS. C’est donc aux juridictions, d’apprécier si la victime a ou non, subi de tels
dommages. Mais il faudra dans tous les cas que la victime rapporte la preuve de la réalité de
tels préjudices ce qui se traduira par une demande d’expertise complémentaire devant le
TASS.
Enfin, le commentaire prend fin par une ultime remarque : la réserve interprétative est
d’application immédiate à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de la
publication de la décision du Conseil constitutionnel soit le 19 juin 2010.
D’après l’auteur, le Conseil par cette décision a jugé contraire à la constitution, le caractère
limitatif de la liste des préjudices indemnisables énumérés à l’article L.452-3 du code de la
sécurité sociale. Cette décision ouvre donc droit à l’indemnisation de préjudices
complémentaires mais sa portée est discutée.
Il faut rappeler que ce commentaire de la décision n’a pas été rédigé par les auteurs de la
décision et n’a aucune portée normative. Ainsi, concernant l’interprétation de cette décision
et donc sa portée, deux lectures plus ou moins opposées sont retenues par la doctrine. La
première considère que la décision ne condamne, par sa réserve d’interprétation, que le
caractère limitatif de la liste des postes de préjudices dont la réparation peut être demandée
par la victime en vertu de l’article L.452-3 du CSS. La seconde lecture avancée par
beaucoup est celle qui consiste à retenir une véritable reconnaissance de l’extension du
principe de la réparation intégrale appliquée aux accidents du travail dûs à la faute
inexcusable de l’employeur.
La question principale est celle de déterminer si, outre la reconnaissance du principe de
l’indemnisation des préjudices non énumérés par la liste de l’article L.452-3 du CSS, il existe
un droit à l’indemnisation complémentaire des préjudices non intégralement indemnisés par
les dispositions du livre IV du CSS.
B- L’indemnisation des préjudices complémentaires non visés par l’article L452-3
Comme nous l’avons vu, le Conseil a condamné de manière explicite la limitation des postes
de préjudice réparés en cas de faute inexcusable de l’employeur mais le résultat de cette
décision est jugé peu satisfaisant par la doctrine.
Bien que le Conseil ait validé de manière générale le dispositif de réparation des AT/MP, la
limitation des préjudices réparables s’attachant à la faute inexcusable est en revanche jugée
inconstitutionnelle par le biais de la réserve d’interprétation. Le cas des postes de préjudices
totalement ignorés par le livre IV du code de la sécurité sociale était précisément visé par la
requérante à la QPC qui contestait l’absence d’indemnisation de ses frais d’adaptation de
logement et véhicule.
On peut donc légitimement considérer que les postes de préjudices vont désormais être
décloisonnés. Le point problématique est le silence des juges au sujet des postes de
préjudices concernés qui ne sont absolument pas identifiés. Stéphanie Porchy-Simon138
estime que les conséquences de ce silence « seront certainement très lourdes sur le
contentieux durant les années ou les mois à venir ». Elle considère en outre, que la méthode
qui sera suivie par les juridictions judiciaires est facile à définir. Les tribunaux devront
analyser les différents chefs de préjudice subis par la victime, en utilisant la nomenclature
Dintilhac, devenue la référence en matière d’évaluation. La victime se verra alors indemnisée
des postes de préjudice additionnels de ceux pris en charge par le livre IV du CSS.
Cependant, pour S. Porchy-Simon, ce complément d’indemnisation s’avère limité. En effet,
la position du Conseil conduit à écarter de toute nouvelle demande les préjudices déjà pris
en compte par les articles L.451-1 et suivants du code de la sécurité sociale : dépenses de
santé actuelles ou futures, pertes de gains professionnels. Quant à l’incidence
professionnelle et le déficit fonctionnel permanent, la Cour de cassation estime qu’ils sont
tous deux indemnisés par la législation sur les accidents du travail par le biais de la rente
accident du travail.
Par ailleurs sont également couverts par le livre IV et donc exclus de toute requête nouvelle :
souffrances endurées, préjudice esthétique permanent, préjudice d’agrément et perte des
possibilités de promotion professionnelle qui sont pris en charge par l’article L.452-3 du code
de la sécurité sociale.
Dès lors, il convient d’envisager quels sont les postes de préjudice pouvant désormais être
indemnisés en complément de ceux qui viennent d’être cités.
1) L’assistance tierce personne
Il s’agit tout d’abord des « frais divers » qui peuvent recouvrir les honoraires de médecin
conseil, les dépenses de déplacement mais surtout l’assistance tierce personne temporaire
(qui est englobée dans les frais divers alors que l’assistance tierce personne après
consolidation est un poste de préjudice patrimonial distinct). L’indemnisation de l’aide d’une
tierce personne est prévue par l’article L.432-2 du CSS qui prévoit la majoration « tierce
personne » mais elle n’est versée que dans les cas où l’incapacité permanente dépasse un
taux de 80% et reste cantonnée à 40% de la rente allouée. Ce montant est souvent si faible
que les textes ont instauré un minimum (actuellement 1 038,36 € par mois) pour que ce
forfait garde une utilité. Le montant alloué n’est donc pas fixé en fonction des besoins avérés
de la victime mais du montant de son salaire.
Ainsi, le code de la sécurité sociale ne prend en charge que la tierce personne permanente.
L’assistance d’une tierce personne avant consolidation en cas de faute inexcusable peut
donc faire l’objet d’une réparation additionnelle suite à la décision du 18 juin 2010.
Rappelons qu’en droit commun, la victime, quel que soit son degré de déficit fonctionnel
permanent, est indemnisée de ses besoins en tierce personne avant et après la
consolidation, sans qu’elle ait à prouver que ce besoin génère des frais supplémentaires. De
plus, selon la Cour de cassation : « Le montant d’une indemnité allouée au titre de
l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance bénévole par un
membre de la famille ».
Démontrons cette différence de traitement par un exemple chiffré139 :
Exemple de confrontation entre les sommes perçues au titre de la majoration tierce
personne prévue par le Code de la sécurité sociale et l’indemnisation du poste tierce
personne en droit commun :
La situation : Un salarié percevait avant l’accident 1 300 euros par mois, soit un salaire
annuel de 15 600 euros. Un taux d’incapacité de 80 % lui a été attribué par le médecin de la
caisse.
– Calcul de la rente accident du travail :
La rente se calculera sur le taux suivant (article R. 434-2 du CSS140) : (50 % : 2) + (30 % x
1,5) = 70 %
Le montant du revenu annuel étant inférieur au salaire minimum annuel prévu par les textes,
le calcul se fera à partir de ce revenu minimum annuel, c’est-à-dire 17 192 euros, soit 17 192
euros x 70 % = 12 034,40 euros de rente par an.
– Calcul de la majoration « tierce personne » :
La majoration « tierce personne » représente 40 % de la rente AT. Elle n’est versée que si le
taux d’incapacité est égal ou supérieur à 80 % (article R. 434-3 du CSS (141)).
Dans notre exemple, la majoration tierce personne représenterait 12 034,40 x 40 % = 4
813,76 euros par an (soit 401,14 euros par mois), en plus de la rente AT.
Cependant les textes prévoient ici aussi un montant qui ne peut être inférieur à 1 038,36
euros par mois.
Pour percevoir une somme supérieure, il faudrait que le salarié ait un revenu supérieur à 3
800 euros par mois ; ce minimum prévu par les textes concerne en pratique le plus grand
nombre de salariés très handicapés.
Avec 1 038,36 euros par mois, soit 34,13 euros par jour, il est seulement possible de payer 1
heure 40 de tierce personne dans la journée (pour un tarif horaire de 18 euros de l’heure sur
412 jours, pour tenir compte des congés payés et jours fériés, ou pour un tarif de 20,31
euros de l’heure sur 365 jours si la victime fait appel à une association prestataire de
services).
De la sorte, la majoration tierce personne ne permet même pas de payer 2 heures de tierce
personne dans une journée pour une personne handicapée dont les besoins sont, à
l’évidence, très supérieurs puisqu’ils peuvent aller jusqu’à 24 heures sur 24.
– Calculs en cas de faute inexcusable de l’employeur :
Rente majorée :
Une rente majorée lui sera servie, calculée sur un taux d’IPP de 80 % (article L. 452-2 du
CSS), soit 17 192 € x 80 % = 13 754 € de rente annuelle (1 146 € de rente mensuelle).
Majoration tierce personne :
C’est sur cette rente majorée qu’est calculée la majoration pour tierce personne (article L.
434-2, al. 3 du CSS (142)), soit 13 754 € x 40 % = 4 126 € de majoration annuelle.
Cette somme reste inférieure au montant annuel légal minimum revalorisé, c’est bien ce
dernier qui continue à être versé à la victime. Engager une action en faute inexcusable n’a
donc aucune incidence sur la majoration tierce personne, sauf lorsque la victime bénéficie
d’un important salaire de référence.
Finalement, le montant de la majoration ne couvrira jamais les besoins en tierce personne de
victimes aussi gravement handicapées.
– Tableau comparatif :
Pour des besoins en tierce personne de 12 heures par jour :
18 euros/heure x 412 jours x 12/h par jour ou 20,31 euros/heure x 365 jours x 12 = 88 957,8
euros par an, soit 7 413,15 euros par mois.
Tableau La faute inexcusable de l’employeur Historique, évolution, la décision du Conseil constitutionnel, impacts 1

→ 86 % des besoins restent non couverts en régime AT
Pour des besoins en tierce personne de 24 heures par jour :
18 euros/heure x 412 jours x 24/h par jour ou 20,31 euros/heure x 365 jours x 24 heures par
jour = 177 915 euros par an, soit 14 826,3 euros par mois.
Tableau La faute inexcusable de l’employeur Historique, évolution, la décision du Conseil constitutionnel, impacts 2div>
→ 93 % des besoins restent non couverts en régime AT
2) Les frais d’adaptation du logement et du véhicule
Ensuite, sont concernés les frais d’adaptation du logement et du véhicule qui étaient tout
l’objet du contentieux à l’origine de la décision. Cela n’est pas anodin car ces frais
représentent des sommes importantes d’autant que la Cour de cassation considère que la
prise en charge de ces préjudices a jugé que ce poste d’indemnisation peut comprendre les
frais d’acquisition du logement si celle-ci est nécessaire.(143)
3) Les autres postes de préjudice
Le déficit fonctionnel temporaire pourra lui aussi être indemnisé puisqu’il ne l’est pas au titre
de la réparation des accidents du travail avec ou sans faute inexcusable, cette position ayant
déjà été adoptée par des TASS. Sur ce poste de préjudice, il s’agit d’une réelle avancée au
vu de la durée des lésions traumatiques avant consolidation.
Un complément d’indemnisation pourra également être sollicité pour le poste relatif à
l’incidence professionnelle, la perte de promotion professionnelle ne constituant qu’une
partie de ce poste.
Restent les autres postes de préjudices intégrés à la nomenclature Dintilhac tels que : le
préjudice esthétique temporaire, le préjudice scolaire ou universitaire (pour les ayants droit
de la victime) ou les préjudices permanents exceptionnels (dont la portée pratique est
moindre pour les victimes de faute inexcusable puisqu’ils sont rarement rencontrés en
matière d’accident du travail).
Pour conclure, les postes de tierce personne et déficit fonctionnel temporaires constituent la
réelle avancée de l’indemnisation car ils peuvent atteindre des montants considérables dans
les cas les plus extrêmes, c’est-à-dire en présence de taux élevés d’incapacité. L’aide
humaine si elle est nécessaire pour toutes les tâches de la vie quotidienne engendre des
montants colossaux. Le déficit fonctionnel temporaire est quant à lui défini par la Cour de
cassation comme incluant l’incapacité totale ou partielle antérieure à la consolidation ainsi
que le temps d’hospitalisation et la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie
courante durant la maladie traumatique.(144)Là encore, les montants sont vite significatifs
surtout en présence d’hospitalisations de longue durée.
Pour envisager dans chaque cas d’espèce, le complément dû à la victime, il sera donc
nécessaire de se baser sur les principes du droit commun pour calculer ce complément
puisque c’est aujourd’hui la seule référence disponible pour calculer l’indemnisation
intégrale. Ainsi, il convient de récapituler par un tableau les postes de préjudice pouvant
aujourd’hui être sollicités par les victimes de fautes inexcusables, en les intégrant dans la
nomenclature Dintilhac(145).
Tableau La faute inexcusable de l’employeur Historique, évolution, la décision du Conseil constitutionnel, impacts 3
Cette interprétation stricte de la décision du Conseil n’est pas celle adoptée par beaucoup
d’acteurs concernés qui y voient l’affirmation d’une réparation intégrale des préjudices subis
en cas d’accident ou maladie professionnelle résultant de la faute inexcusable.
C- L’incertitude quant à l’indemnisation complémentaire des préjudices
non intégralement réparés.
Est envisagée ici une autre lecture de la décision, qui ouvrirait la voie à une réparation
intégrale des préjudices de la victime par la reconnaissance d’une indemnisation
complémentaire de certains chefs de préjudices réparés de manière non intégrale dans le
cadre des accidents du travail et maladies professionnelles. Cette interprétation plus
poussée de la décision se justifie par certaines décisions des juges du fond(146), et la position
adoptée par certaines associations de victimes(147) et pourrait constituer la première étape
vers une réparation intégrale des préjudices des victimes de faute inexcusable.
La motivation de la question prioritaire transmise par la Cour de cassation, qui repose sur la
violation du principe d’égalité entre les victimes de faute inexcusable d’une part et de faute
intentionnelle ou d’accidents de droit commun d’autre part va dans ce sens. En cas de faute
intentionnelle, l’article L.452-5 du code de la sécurité sociale prévoit que la victime a en effet
droit à une indemnisation intégrale de ses préjudices. Ainsi, si le Conseil a reconnu la
rupture d’égalité et que l’argument fondant la demande était cette différence de traitement
par rapport aux victimes de fautes intentionnelles, il est possible d’interpréter cette décision
comme impliquant l’obligation corrélative d’indemniser la victime de la faute inexcusable
dans les mêmes conditions. Cela est conforté par le fait que le Conseil retient que « le
préjudice non réparé par application du présent livre [le livre IV] » conduit à une réparation
intégrale en cas de faute intentionnelle de l’employeur ou en cas de faute d’un tiers. Ainsi,
l’expression équivoque « l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de
la sécurité sociale » doit aboutir à la même conséquence : le même livre du CSS est
concerné et « l’ensemble des dommages non couverts » est une expression encore plus
large que celle de « préjudice non réparé », le dommage étant une notion plus globale que
celle du préjudice qui est sa conséquence.
C’est ce qui conduit l’avocat J.P.Teissonnière à conclure que « la réserve d’interprétation
faite par le Conseil constitutionnel vise donc bien à unifier le droit à réparation des victimes
de faute inexcusable, avec celui des victimes d’actes intentionnels de l’employeur ou
d’accidents survenus par le fait de tiers, domaines définis par le Code de la sécurité sociale
dans des termes semblables ou au moins équivalents. »(148)
Si cet argument est plausible, la décision du Conseil constitutionnel reste toutefois très
ambiguë sur ce point. Ce qui est problématique est l’interprétation de la formule employée
par les Sages : « dommages non couverts ». Celle-ci peut en effet être comprise comme ne
renvoyant qu’aux seuls préjudices non pris en charge par l’article L.452-3, comme nous
l’avons avancé dans la première lecture de cette décision. Mais on peut aussi comprendre
cette expression plus largement, comme opérant une référence aux dommages non
intégralement indemnisés par ce livre IV, si l’on considère que le terme « couvert » renvoie à
une prise en charge intégrale. Dans ce sens, on peut penser que cette expression permettra
à la victime de compléter l’indemnisation offerte par le régime légal à hauteur des droits qui
seraient les siens dans le cadre d’une indemnisation intégrale de droit commun.
Cependant, il est délicat de tirer de ce seul argument une telle interprétation car si le Conseil
a reconnu une valeur constitutionnelle au principe de responsabilité selon lequel chacun doit
réparer les conséquences de sa faute, il n’a jamais abordé la question du niveau de
réparation. C’est pourquoi la doctrine dans sa majorité n’accorde pas une valeur
constitutionnelle au principe de réparation intégrale. Ceci est conforté par le fait que le
Conseil dans sa décision du 18 juin 2010 valide dans un premier temps, le système
forfaitaire de réparation des accidents du travail et maladies professionnelles issu du CSS et
le confirme pour le cas particulier des pertes de gains professionnels en présence d’une
faute inexcusable de l’employeur. Ainsi, rien d’explicite dans le jugement du conseil ne peut
appuyer cette thèse en faveur d’une réparation intégrale.
C’est d’ailleurs ce qu’ont pu opposer certains juges aux victimes. Un Tribunal des affaires de
la sécurité sociale a interprété la décision du Conseil comme suit : « Les préjudices qui sont
réparés même forfaitairement ou avec limitation par le livre IV du code de la sécurité sociale
n’ouvrent droit à aucune action supplémentaire de la victime d’un accident du travail causé
par une faute inexcusable commise par l’employeur, seuls les dommages qui ne font l’objet
d’aucune couverture par le code de la sécurité sociale ouvrent droit à cette action en
réparation. »
Cela n’empêche en rien, pour beaucoup, l’affirmation selon laquelle cette décision a
bouleversé la donne et accorde à coup sûr une indemnisation totale des préjudices. En effet,
la presse, spécialisée ou non, une partie de la doctrine, la majorité des assureurs qui
communiquent sur le sujet affirment clairement que le Conseil a procédé à une avancée
primordiale en faveur d’une indemnisation complète comme en droit commun de la
responsabilité.
Pour le philosophe Jean-Baptiste Prévost(149), il n’est plus aucun doute sur le fait que le
Conseil a procédé à une extension du principe de réparation intégrale s’appliquant aux
victimes d’un accident du travail dû à la faute inexcusable de l’employeur. Il estime que la
décision répond à une nécessité de cohérence et de logique au sein des différents régimes
d’indemnisation. En effet, selon lui et comme nous l’avons relevé, ce qui a justifié la réserve
d’interprétation est l’atteinte disproportionnée aux droits des victimes, portée par la liste
limitative de préjudices indemnisables. C’est cette différence de traitement entre les victimes
qui explique la décision du Conseil et c’est donc cet argument qui pour cet auteur, justifie de
compléter également l’indemnisation des postes déjà indemnisés par des prestations.
En effet, « si l’on n’étendait pas la réparation intégrale aux prestations indemnisant
partiellement un poste de préjudice, la prise en compte des postes non couverts par l’article
L.452-3 ne permettrait pas à elle seule de rétablir cette disproportion condamnée
expressément par le Conseil constitutionnel et qui, de surcroît, justifie sa solution. Par
conséquent, la seule extension du nombre de postes indemnisés ne suffirait pas à elle seule
à abolir cette différence entre les deux régimes, différence qui – rappelons le – induit une
rupture d’égalité injustifiable entre les victimes».
Enfin pour ce même auteur, cette considération se voit également renforcée par la formule
tout à fait générale, employée par le Conseil : « L’ensemble des dommages non couverts par
le livre IV du Code de la sécurité sociale. ». Cette expression souligne bien pour lui, le fait
qu’aucune disposition de ce texte ne devrait contrevenir à la réparation de l’ensemble des
dommages qui ne sont pas couverts par le livre IV c’est-à-dire non mentionnés
textuellement. Ainsi, le fait de continuer à appliquer une réparation limitée reviendrait à
empêcher les victimes de demander réparation de « l’ensemble des dommages non
couverts par le livre IV »
On peut penser que la situation n’est pas figée car malgré la formulation de la décision, c’est
le juge judiciaire qui se voit attribuer la lourde charge d’identifier les postes de préjudices
concernés et donc de donner une portée réelle à la décision du 18 juin. Cela pourra ne pas
être le cas si une intervention législative, souhaitée par beaucoup, devait se produire en la
matière.
A plusieurs reprises l’Anadvi(150) a tenté d’obtenir des pouvoirs publics qu’un texte soit
proposé dans le sens d’une indemnisation intégrale des victimes de fautes inexcusables de
l’employeur. Le groupe socialiste a d’ailleurs, présenté au Sénat un amendement visant à
instaurer la réparation intégrale en cas de faute inexcusable, à l’occasion de la discussion du
projet de loi de financement de la sécurité sociale 2011. Dans ce contexte, un sénateur a pu
déclarer : « Une réparation améliorée ne peut généralement être obtenue qu’à la suite de
plusieurs années de procédure par la reconnaissance de la faute inexcusable de
l’employeur. L’établissement d’un régime légal de réparation intégrale des accidents du
travail et des maladies professionnelles permettrait pourtant de limiter le nombre de
contentieux visant à faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur et de rétablir
l’égalité entre les victimes d’accidents »(151). Toutes ces tentatives ont échoué face aux
craintes de se diriger vers une indemnisation intégrale.
Dans le silence du législateur, la Cour de cassation devra, inévitablement, se prononcer et
l’on sait que le Conseil ne pourra plus exercer son contrôle sur l’interprétation qui sera faite
par la Cour, à propos de sa position. En effet, la Cour de cassation a jusqu’à ce jour, refusé
de transmettre au Conseil une question prioritaire de constitutionnalité dont l’objet est
l’interprétation faite par le juge d’une disposition législative.(152)
C’est donc dans ce contexte que la décision du Conseil pourrait prendre toute son ampleur
et profondément changer la donne de l’indemnisation des AT/MP en cas de faute
inexcusable. On peut effectivement penser que dans la lignée de sa jurisprudence
triséculaire toujours plus favorable aux victimes, la Cour étendra sa vision du régime de la
faute inexcusable aux modalités d’indemnisation des victimes. Certains voient là une réelle
volonté politique de la part de la Haute Cour et parlent de provocation à l’intervention du
législateur. Hubert Groutel parle même d’une « lutte armée contre l’article L.452-3 du code
de la sécurité sociale »(153). Stéphanie Porchy-Simon estime que la Cour « pourrait prendre
appui sur la décision du Conseil constitutionnel, dont les ambiguïtés autorisent des
interprétations variables, pour imposer au-delà du simple décloisonnement de la liste des
préjudices réparables énoncée à l’article L.452-3, une indemnisation complémentaire de
certains autres postes pour parvenir à leur réparation intégrale». Comme nous le verrons, la
Cour a déjà statué en appliquant la décision du Conseil mais sans répondre à cette question.
Dans l’hypothèse d’une telle position retenue par la jurisprudence, celle-ci ne pourrait
concerner que les chefs de préjudices qui, bien que pris en charge par le livre IV du code de
la sécurité sociale, au titre des accidents du travail, ne le sont pas intégralement. Ne pourrait
donc pas être concernée la perte de revenus qui a été expressément écartée par le Conseil
qui a validé son caractère forfaitaire et ce, dans le cas du droit commun des AT/MP, au
considérant 16, comme dans le cas de la faute inexcusable, au considérant 17. Concernant
l’assistance tierce personne, celle-ci n’a pas été citée par les juges du Conseil et n’a donc
pas été formellement exclue dans le cas de la faute inexcusable, à la différence des pertes
de revenus professionnels puisque le conseil a validé la réparation forfaitaire de la seule
perte de salaire. L’hypothèse de sa réparation intégrale est donc plus encore envisageable.
Cela est d’ailleurs tout à fait logique pour l’auteur J.B. Prévost qui estime qu’en comparant
les montants atteints par la tierce personne en droit commun avec ceux atteints pour les
victimes soumises au régime du CSS, il apparaît évident qu’au regard de la disproportion
dans le traitement avancée par le Conseil, il serait absurde d’étendre la liste des préjudices
pour la rendre conforme au droit commun sans modifier le calcul des postes déjà
indemnisés.
L’assistance tierce personne permanente, constitue comme nous l’avons dit, le coeur de la
décision du Conseil constitutionnel. En cas d’accident du travail, l’assistance tierce personne
est indemnisée, sous certaines conditions, par une majoration du montant de la rente
attribuée pour compenser les conséquences de l’incapacité permanente, en vertu de l’article
L. 434-2 du CSS. En présence d’une faute inexcusable de l’employeur, l’assistance tierce
personne se trouve valorisée selon le mécanisme de majoration de la rente mais comme
celle-ci est plafonnée au montant du salaire annuel de la victime, la tierce personne n’est, en
général, pas indemnisée intégralement. Il s’agit du véritable enjeu puisque les dépenses
liées à l’assistance d’une tierce personne peuvent s’avérer colossales notamment dans les
cas de graves handicaps. En effet, l’assistance peut être nécessaire une heure par jour
comme vingt-quatre heures sur vingt-quatre et son coût est généralement évalué sur la base
d’un taux horaire aux alentours de quinze euros. En raison de ces enjeux financiers, la
reconnaissance de la possibilité de solliciter la réparation intégrale de l’assistance tierce
personne représenterait une avancée considérable pour les victimes et dans le même temps
une charge financière majeure pour les assureurs qui prennent leurs dispositions en ce sens.
Pour conclure sur cette seconde lecture de la décision du conseil, force est de constater
qu’elle force la lettre de la décision mais n’est pour autant pas dénuée de toute logique. En
effet, il est tout de même étrange d’envisager que la décision puisse engendrer une
indemnisation complète des postes de préjudices non couverts par le livre IV et laisser les
autres postes déjà prévus, indemnisés uniquement pour partie. Les victimes se
retrouveraient de la sorte dans une drôle de situation, voyant par exemple leur besoin d’aide
d’une tierce personne indemnisé intégralement avant consolidation mais seulement
forfaitairement pour le reste de leur vie avec un handicap consolidé. Il en irait de même pour
le déficit fonctionnel qui, lorsqu’il sera temporaire sera indemnisé intégralement puisqu’il est
absent de la liste de préjudices visés par le CSS et lorsqu’il sera permanent ne sera réparé
que pour partie puisqu’il faisait déjà l’objet d’une prise en charge par la législation sur les
accidents du travail avant le 18 juin 2010.
Après avoir identifiés les enjeux de cette décision il convient de les illustrer concrètement par
un comparatif des situations avant et après l’intervention de la question prioritaire de
constitutionnalité portée devant le Conseil constitutionnel.
137 Décision n°2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi org anique relative à l’application de l’article 6-1
de la Constitution
138 « L’indemnisation des préjudices des victimes de faute inexcusable à la suite de la décision du
Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 : réelle avancée ou espoir déçu ? », Stéphanie Porchy-Simon,
Recueil Dalloz 2011 page 459
139 Source : Gazette du palais dimanche 19 décembre 2010 au mardi 21 décembre 2010,
Démonstration chiffrée par Claudine Bernfeld, page 16
140 « La rente à laquelle a droit la victime en application du deuxième alinéa de l’article L. 434-2 est
égale au salaire annuel multiplié par le taux d’incapacité préalablement réduit de moitié pour la partie
de ce taux qui ne dépasse pas 50 % et augmenté de la moitié pour la partie qui excède 50 %. »
141 « Le taux d’incapacité prévu au troisième alinéa de l’article L. 434-2 est fixé à 80 %. La majoration
mentionnée à ce même alinéa est fixée à 40 % de la rente.
Le montant minimum de cette majoration est fixé par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale
et du ministre chargé du budget. »
142 « Dans le cas où l’incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum et oblige la
victime, pour effectuer les actes ordinaires de la vie, à avoir recours à l’assistance d’une tierce
personne, le montant de la rente est majoré. En aucun cas, cette majoration ne peut être inférieure à
un montant minimum affecté des coefficients de revalorisation fixés dans les conditions prévues à
l’article L. 341-6. »
143 Cass 2° civ. 11 juin 2009, RCA 2009, commentaire n°237
144 Cass 2°civ. 28 mai 2009, RTDciv 2009, commentaire page 534 ; RCA 2009, commentaire n° 202
145 Source : Gazette du palais dimanche 19 décembre 2010 au mardi 21 mardi 21 décembre 2010,
Intégration dans la nomenclature Dintilhac des prestations et indemnités serves aux victimes de faute
inexcusable, page 15
146 Par ex. Grenoble 14 oct. 2010, n° 09/05258 ; Lyon, 5 oct. 2010, inédit.
147 Par exemple en ce sens l’analyse de la fédération nationale des accidentés du travail, sur le site de
cette association : www//http.fnath.org
148 Gazette du palais dimanche 19 décembre 2010 au mardi 21 mardi 21 décembre 2010, La décision
du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 : et après ? ; page 9
149 « L’inéluctabilité de la réparation intégrale », Jean-Baptiste Prévost, Gazette du palais dimanche 19
décembre 2010 au mardi 21 mardi 21 décembre 2010, page 18
150 Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels
151 Séance du 16 novembre 2010 (compte rendu intégral des débats)
http://www.senat.fr/seances/s201011/s20101116/s20101116010.html#section1148
152 Cass. QPC 19 mai 2010, RTD civ. 2010
153 RCA 2010, article n°8