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1. LA TENTATION D’UNE RESPONSABILITE DIRECTE DU COMMETTANT DU FAIT DE SON PREPOSE

ADIAL

La tentation de considérer que l’on a basculé avec l’arrêt Costedoat dans un régime de responsabilité directe est grande. En effet, d’une part, cet arrêt a profondément malmené les principes séculaires de la responsabilité personnelle de l’article 1382 du Code civil (A) et, d’autre part, il semble abandonner l’exigence d’une faute du préposé (B).

A. LES PRINCIPES SECULAIRES DE LA RESPONSABILITE PERSONNELLE MALMENES PAR LA JURISPRUDENCE COSTEDOAT

En énonçant que «N’engage pas sa responsabilité le préposé qui a commis une faute alors qu’il agissait dans les limites de la mission impartie par son commettant» et en déclarant de ce fait le commettant unique responsable à l’égard de la victime, l’Assemblée Plénière a heurté violemment les règles fondamentales de l’article 1382 du Code civil qui consacre le principe de personnalité de la responsabilité. Une telle formulation, qualifiée d’ «hérétique» par certains auteurs, semble en effet admettre que certaines fautes n’engagent pas la responsabilité de leur auteur ou encore que certaines catégories de personnes disposent d’un droit de commettre des fautes dont elles n’auront jamais à répondre personnellement. Ainsi, tout préposé auteur d’un fait dommageable dans le cadre de sa mission n’aura pas à répondre de ce fait, ce en toute contradiction avec le principe de personnalité de la responsabilité de l’article 1382. Malgré les justifications apportées à cette immunité, et dont nous avons d’ores et déjà fait l’étude, cette idée peut paraître en effet choquante et on comprend aisément l’opposition de certains auteurs à cette solution.
En outre, les principes séculaires de la responsabilité personnelle ne sont pas les seuls à se trouver malmenées puisque du même coup, c’est toute la physionomie traditionnelle du régime de responsabilité du fait d’autrui qui s’en trouve atteint. En effet, en consacrant l’immunité du préposé et la seule responsabilité du commettant, on passe d’une responsabilité de garantie, de réparation à une garantie de substitution.
En cela, certains auteurs ont pu estimer, à juste titre, qu’on avait basculé d’un régime de responsabilité indirecte à un régime de responsabilité directe.

B. LA SURVIVANCE DE L’EXIGENCE D’UNE FAUTE DU PREPOSE ?

Certes la formule employée par l’Assemblée Plénière n’énonce pas expressément que la faute du préposé n’est plus nécessaire pour engager la responsabilité du préposé mais on a pu néanmoins se demander si elle ne porte pas en germe cette idée. Cette théorie ferait alors voler en éclat le schéma classique selon lequel la responsabilité de ceux-ci constitue la condition sine qua non de la responsabilité de ceux-là et on aboutirait indubitablement à une situation où la responsabilité du préposé se trouve «absorbée» par celle de son commettant ou par l’activité de ce dernier. Un simple fait causal du préposé serait alors suffisant pour que le commettant voie sa responsabilité engagée.
Une telle solution – même si aux yeux de certains elle peut être choquante – ne serait pas si surprenante dans la mesure où l’arrêt Fullenwarth a d’ores et déjà consacré la disparition de la responsabilité de l’auteur du dommage comme condition de celle de son répondant en matière de responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs.
Peut-on considérer qu’il en est de même en matière de responsabilité des commettants du fait de leurs préposés depuis l’arrêt Costedoat ? Une telle théorie ne serait en effet pas incompatible avec le fondement principal de l’immunité du préposé, à savoir l’idée du risque profit. Rappelons que conformément à cette idée, on considère qu’à partir du moment où le préposé agit sous les ordres et directives de son commettant, et ne dispose ainsi plus de son plein arbitre – selon la doctrine majoritaire puisque certains auteurs maintiennent que malgré le lien de préposition, le préposé dispose toujours de son libre arbitre – , et contribue ainsi activement à la création de profits, il est normal que le commettant assume les risques de dommages découlant de l’activité de ses préposés. A partir de là, et si on retient la théorie selon laquelle l’arrêt Costedoat sonne la fin de la faute du préposé comme préalable nécessaire à la responsabilité de son commettant, alors l’acte fautif de ce dernier aurait vocation à devenir une manifestation parmi tant d’autres de ce risque qu’endosse le commettant.
Même l’arrêt Costedoat ne nous permet pas véritablement d’affirmer la disparition de la responsabilité du préposé comme condition de la responsabilité de son commettant, il semble que ce soit une conséquence possible de la voie ouverte par l’Assemblée Plénière ou, comme ont pu l’énoncer certains auteurs, de la «déflagration juridique» engendrée par elle. Dès lors, un simple fait causal du préposé serait susceptible d’engager la responsabilité du commettant.
L’article 1384 alinéa 5 du Code civil connaîtrait alors le même sort que l’alinéa 4 du même article et on assisterait alors à la déchéance des régimes de responsabilité du fait d’autrui traditionnels.
Par conséquent, si la solution de l’arrêt Costedoat nous semble la bienvenue sur un plan purement «social», il semblerait que sur le plan juridique elle soit à l’origine de nombreux bouleversements dont on peut légitiment redouter sur le long terme les conséquences.

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