Jurisprudence et doctrine s’accordent pour dire que l’anormalité requise par les juges de la réparation est une notion non seulement floue sur le plan juridique, mais également très fluctuante. Question de convenance et d’usage, et donc de temps et de lieu, elle suppose une appréciation in concreto, c’est-à-dire au vue des circonstances propres à chaque espèce soumise au juge . L’appréciation in concreto ne signifie pas pour autant arbitraire. Il existe en effet en la matière de plus en plus de paramètres techniques permettant d’évaluer le franchissement du seuil d’anormalité. Il est courant que les juges utilisent les services d’experts, tant pour les constatations que pour les préconisations des mesures à prendre . Il n’est pas rare non plus que les tribunaux se réfèrent à des rapports ou des préconisations d’origine administrative ou à des normes règlementaires .
La Cour de cassation rappelle régulièrement que tout pouvoir d’appréciation est laissé aux juges du fond pour caractériser les éléments d’un trouble anormal rendant le préjudice qui en découle réparable . Les juridictions du fond sont donc investies d’une compétence souveraine en la matière. Cependant, elles ne doivent pas se contenter de l’existence d’un dommage causé par un trouble. Elles sont amenées à rechercher, dans chaque cas d’espèce, si ce trouble est anormal c’est-à-dire « s’il dépasse les inconvénients normaux de voisinage ». La cassation est immédiate lorsque les juges ne prennent pas la peine de caractériser l’anormalité du trouble qui est la condition sine qua non du droit à réparation en application de la théorie des troubles de voisinage. A plusieurs reprises, la Haute juridiction a ainsi censuré des Cour d’appel qui avaient débouté des victimes sans rechercher si les nuisances ne causaient pas de troubles anormaux de voisinage. Néanmoins, il faut souligner que la Haute juridiction n’a pas pour autant abdiqué tout pouvoir.