A/ Redéfinir le contrat d’assurance
Peut-on soutenir qu’il s’agirait de modifier la prestation d’assurance ? La clause d’arbitrage
s’assimilerait à un avenant au contrat, dont une partie des conditions serait prédéfinie
conventionnellement, et l’autre sur option. Il ne s’agit pas tant de modifier la prestation que
son mode de calcul : la nature de la prestation demeure, son évaluation change.
Arbitrer, c’est définir la prestation d’assurance, celle qui au final sera délivrée par l’assureur,
ou la redéfinir en modifiant l’assiette de la prestation. Il ne s’agit pas purement d’exécuter
l’obligation principale du contrat – ce que le souscripteur aura fait en exécutant son obligation
de paiement de la prime, et l’assureur en délivrant sa prestation au terme.
Il s’agit plutôt pour l’arbitre d’exercer une faculté qui lui est offerte, d’opter pour un
réaménagement conventionnel, l’assureur devant être considéré comme ayant autorisé son
cocontractant à lever une option qu’il se sera engagé à accepter. En l’occurrence, l’assureur
aura accordé au souscripteur une promesse unilatérale de modifier l’allocation des actifs
portés en gage de sa prestation, sur option du souscripteur, selon la désignation de celui-ci et
sur les seuls supports prévus contractuellement.
C’est par le biais d’une « clause d’arbitrage » que le contrat aménage cette promesse.
B/ Une faculté dont doit être exclu l’assureur
Les unités de compte étant une mesure de l’engagement de l’assureur, peut-on lui reconnaître
la qualité arbitrer ? C’est-à-dire la faculté de modifier son obligation principale au contrat ?
Imaginons que l’assureur puisse redéfinir lui-même la manière dont sa prestation sera définie :
cela ne reviendrait-il pas à lui allouer un pouvoir léonin ? L’obligation principale de
l’assureur serait-elle suffisamment déterminable pour ne pas priver le contrat de son objet ?
Certes, l’on pourra nous opposer que le contrat d’assurance vie n’a pas de caractère
indemnitaire. Mais raisonnons avec l’exemple d’un contrat d’assurance IARD, dont l’objet
consiste (comme en assurance vie) à couvrir un risque : supposons que l’assureur s’arroge la
faculté de déterminer les montants de franchise et garantie, cela ne viderait-il pas le contrat de
sa substance ? De même, si l’assureur s’arroge le droit de modifier la définition de sa
prestation en arbitrant, cela ne vide-t-il pas le contrat de sa substance, faute pour la prestation
d’être suffisamment déterminable ?
Observons, à cet égard, les dispositions du Code de la consommation qui déterminent, au titre
de la « liste noire » des clauses abusives interdites (irréfragablement présumées abusives), les
clauses ayant pour objet ou pour effet de « Réserver au professionnel le droit de modifier
unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du
bien à livrer ou du service à rendre ; »68. Arbitrer consiste justement pour l’arbitre (en
l’occurrence l’assureur dans notre hypothèse) à modifier les caractéristiques du service à
rendre (les unités de compte) et le prix de la prestation d’assurance (liée à leur valeur).
L’assureur est-il assujetti à cette liste noire en tant qu’arbitre ? Le principe d’interdiction ne
s’applique pas, par exception, « aux transactions concernant les valeurs mobilières,
instruments financiers et autres produits ou services dont le prix est lié aux fluctuations d’un
cours, d’un indice ou d’un taux que le professionnel ne contrôle pas »69.
Ceci exclut donc les prestataires de services financiers. Cela exclut-il également l’assureur du
champ de ces dispositions, dans la mesure où il n’a pas le contrôle du cours des actifs sousjacents
aux unités de compte ? Nous estimons devoir répondre par la négative, en ce sens que
l’assureur n’a pas pour fonction d’effectuer des “transactions” d’instruments financiers.
Notons que si toutefois l’assureur était exclu de cette liste noire, cela n’exclurait en rien le
caractère abusif de l’arbitrage par l’assureur. Cela renverserait la charge de la preuve, il
appartiendrait au consommateur (le souscripteur) d’en apporter la preuve du caractère abusif,
s’il entend le soutenir.
En effet, l’assureur ne peut être juge et partie, et déterminer lui-même l’expression de sa dette.
En tout état de cause, la nature de la prestation d’arbitrage, qui implique d’être guidée par le
seul intérêt du souscripteur, et accessoirement l’existence de conflits d’intérêts (dont une
étude détaillée figure plus loin, Partie II Titre II Chapitre II), plaident en faveur de
l’exclusion pure et simple de l’assureur comme attributaire naturel de la faculté d’arbitrage.
Au mieux peut-il arbitrer pour le compte du souscripteur et sur sa désignation.
Arbitrer, c’est donc redéfinir l’expression de la dette de l’assureur. Cette analyse, pour juste,
n’est toutefois que parcellaire, car elle omet un élément caractéristique de ce processus : la
revalorisation de la valeur de la prime à la date de l’arbitrage, la valorisation du montant de la
prime acquise au contrat multisupport.
A ce sens, il s’agit plus qu’une simple réallocation, une véritable modalité d’exécution du
contrat d’assurance.
66 TGI Paris, 5è ch 1è section, 3 novembre 2009, RG 09/08965, porté en ANNEXE aux présentes
67 (nous soulignons)
68 Article R132-1 3° du Code de la consommation, issu du Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009
69 R 132-2-1 a du Code de la consommation
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