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1. LE PAYSAGE ACTUEL DU DROIT BELGE

Si le droit de la responsabilité belge s’avère être un droit d’inspiration éminemment française (A), on ne manquera pas mettre en exergue les différences entre les régimes de responsabilité du commettant du fait de son préposé applicable en Belgique et en France (B). En outre, on constatera que la source principale du régime de responsabilité du fait d’autrui demeure le législateur (C).

A. UN DROIT D’INSPIRATION EMINEMMENT FRANÇAISE

Comme nous l’avons énoncé précédemment, le Code napoléon a constitué et constitue encore la base du droit civil belge. En effet, le droit belge fait encore preuve d’une grande fidélité envers les textes originaux du code civil de 1804 et plus encore, il est resté largement fidèle à leur esprit.
Ainsi, l’article 184 du Code civil belge énonce que « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l’on a sous sa garde.
Le père et la mère sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs. Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance. La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère, instituteurs et artisans, ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité », pendant que notre propre article 1384 dispose dans tous ses alinéas que «On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable. Cette disposition ne s’applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du code civil. Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ; Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance. La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu’ils n’aient pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l’instance ».
En outre, le droit belge maintient une conception subjective de la faute susceptible d’engager la responsabilité du fait personnel. La faute se constitue toujours d’un élément matériel et d’un élément moral, ce dernier se manifestant par une exigence de la capacité de discernement et par une absence de cause de justification. Sur ce point, le droit français n’a pas fait preuve de la même fidélité à l’esprit des textes issus du code napoléonien puisque, comme nous l’avons vu, notre régime de responsabilité se traduit par un fort courant d’objectivisation de la faute.
Cette fidélité se retrouve également en matière de responsabilité du fait d’autrui. En effet, le régime classique des présomptions de responsabilité du fait d’autrui consacrées à l’article 1384 du code civil belge susvisé est maintenu. A ce titre, le droit belge procède toujours par addition de responsabilité ce qui autorise la coexistence entre la responsabilité personnelle de l’auteur du dommage pour faute prouvée et celle de la personne civilement responsable pour faute présumée.

B. LA SITUATION DU PREPOSE EN DROIT BELGE

La présomption de responsabilité du commettant pour les faits de son préposé, consacrée par l’article 1384 alinéa 3 du Code civil belge, comprend une différence fondamentale avec le droit français. Rappelons que dans notre régime, il existe une différence de traitement évidente entre le préposé de l’administration et le préposé du secteur du privé, malgré les diverses tentatives d’harmonisation ébauchées par la Doctrine. En droit belge, et ce depuis la loi du 10 février 2003, la présomption de responsabilité des commettants s’étend à la responsabilité des pouvoirs publics en raison des fautes commises par les agents de l’administration.
En revanche, la Cour de Cassation belge a adopté un arrêt qui reprend les mêmes conditions constitutives de l’abus de fonctions que celles consacrées par la Cour de Cassation française. En effet, dans un arrêt du 26 octobre 1989, la Cour de Cassation belge a énoncé que « le commettant n’est exonéré de sa responsabilité que si le préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ». A ce titre, les deux régimes rencontrent la même difficulté : convient-il de considérer la première condition de l’abus de fonctions ci-dessus énumérée comme une condition autonome ou comme une condition accessoire qui se déduit de l’existence de deux autres ?
En règle générale, le régime de responsabilité belge a pour objectif de protéger le travailleur dont le patrimoine pourra se trouver atteint en raison d’une action en responsabilité engagée à son encontre par une victime. Cette protection est principalement l’oeuvre du législateur belge qui a consacré une véritable immunité civile au profit du travailleur.

C. LE ROLE PREEMINENT DU LEGISLATEUR BELGE DANS L’ELABORATION DU REGIME DE RESPONSABILITE DU FAIT D’AUTRUI

Alors qu’en droit français la Cour de Cassation joue un rôle primordial dans l’élaboration et l’évolution du régime de responsabilité du fait d’autrui, la Cour de Cassation belge fait preuve d’une plus grande sagesse. Certainement davantage soucieuse du principe de séparation des pouvoirs, elle ne se substitue guère au législateur, quand bien même les dispositions du code civil en vigueur s’avèreraient inadaptées à la réalité sociale. A titre d’exemple, alors que la Cour de Cassation française avait déjà rendu son célèbre arrêt Blieck, la Cour de Cassation belge, saisie pourtant d’une affaire similaire, refusa de déduire des dispositions de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil une présomption générale de responsabilité du fait d’autrui. Sur ce point, notre Juridiction suprême avait été nettement plus audacieuse et n’avait pas hésité à adopter une solution risquant de faire couler beaucoup d’encre.
La Cour d’arbitrage belge, jouant en réalité le rôle de Cour Constitutionnelle, a certainement davantage contribué à façonner le régime de responsabilité du fait d’autrui belge actuel et a pu parfois influencer le législateur à adopter une loi. Par exemple, la consécration d’une immunité civile légale au seul profit des salariés sous contrat d’emploi a suscité une importante vague de contentieux en raison de la discrimination. La Cour d’arbitrage a d’ailleurs systématiquement condamné cette différence de traitement contraire, selon elle, au principe d’égalité des citoyens devant la loi. Le législateur belge a ainsi été amené à adopter la loi du 10 février 2003 susvisée, alignant ainsi le régime de responsabilité civile de la puissance publique et des fonctionnaires sur celui des commettants et des salariés sous contrat d’emploi.
L’acteur principal de l’élaboration de ce régime est donc le législateur belge. Les principales réformes du droit de la responsabilité belge ont eu lieu par voie législative, et souvent d’ailleurs en dehors du Code civil. Cela a entraîné un phénomène de multiplication des immunités civiles, marquant ainsi le déclin de la responsabilité individuelle.
La source législative présente des avantages certains : l’immunité civile consacrée par le législateur belge au profit des travailleurs sous contrat d’emploi a le mérite de voir son domaine d’application limité aux seuls cas où le lien de subordination résulte d’un contrat d’emploi. Cet avantage ne se retrouve certainement pas dans le régime français prétorien issu de l’arrêt Costedoat puisque, nous l’avons vu, une nouvelle conception du lien de subordination a été élaborée, dépassant largement la seule hypothèse du contrat de travail.
Néanmoins, la Cour de Cassation a pu, à certaines reprises, combler certaines lacunes du législateur. Ainsi, dans un arrêt du 18 novembre 1981, elle est venue préciser que l’immunité légale profite uniquement au salarié, elle lui est strictement personnelle, et ne peut donc être étendue au profit du commettant qui demeure responsable des faits dommageables accomplis par son préposé même immunisé.

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