Les différents types de supporters
Il existe au sein des spectateurs d’un match de football une pluralité des publics, et notamment différents types de supporter. Nicolas Hourcade a en effet identifié quatre types de supportérisme français.
Tout d’abord les supporters classiques, généralement installés en tribunes assises, ils chantent peu et ne se livrent guère aux insultes collectives et encore moins à la violence. En revanche, ils font part de leur satisfaction ou de leur déception quant aux prestations des joueurs et des arbitres ou à la politique des dirigeants par des applaudissements, des sifflets et des huées.
Les associations de supporters traditionnels ou officiels cherchent à nouer des relations étroites avec les joueurs et les dirigeants, à les aider sans entraver leurs actions. Ils s’investissent plus dans l’aide quotidienne au club que dans l’organisation de l’ambiance.
Les supporters autonomes, la plupart d’entre eux revendiquent le modèle ultra italien.
Ils sont situés au cœur du kop et structurés en associations, ils préparent et mettent en scène le soutien de l’équipe et développent une vision conflictuelle du football, parce qu’ils acceptent la violence verbale voire physique et parce qu’ils adoptent un positionnement de type syndical, de revendications et de défense de leurs intérêts. Les ultras forment aujourd’hui le pôle le plus actif du supportérisme français.
Enfin, ceux qui se définissent comme hooligans, hools, ou indépendants, ils forment des bandes informelles, recherchant régulièrement la violence et cultivant le secret.
Mais, dans le langage commun, les termes ultras et hooligans sont généralement considérés comme synonymes et désignent les supporters violents. Quand une distinction est établie, il est fréquemment affirmé qu’elle résiderait dans la moindre violence des ultras. En fait les divergences entre ultras et hooligans sont significatives et plus larges. Elles se marquent dans les modes d’organisation, les types de participation au spectacle, les relations avec le monde du football et la manière d’appréhender la violence. Par exemple concernant ce dernier point, les hooligans sont essentiellement préoccupés par la violence et s’investissent peu dans l’ambiance dans le stade et dans la vie du club et ne cherchent pas à être reconnus par les autorités. Au contraire, les ultras s’impliquent dans le soutien du club et dans son fonctionnement. Les responsables ultras expliquent qu’ils ne viennent pas au stade pour se battre et que les incidents ne représentent qu’une partie infime de leurs activités. Ils estiment que la violence vient à eux, et qu’ils sont parfois obligés d’en faire usage pour se « faire respecter ». Cette position révèle l’ambivalence structurelle des ultras. En effet, tout en reconnaissant que la violence puisse leur nuire, ils ne parviennent cependant pas à l’exclure complètement, parce qu’ils craignent de perdre alors toute radicalité et parce qu’ils sont conscients de ne pas toujours pouvoir maîtriser l’ensemble de leurs troupes. La violence est donc d’un côté provoquée et entretenue par les rivalités du groupe et, de l’autre, régulée et limitée par les responsables qui ne peuvent pas se permettre que la violence prenne trop d’importance au risque de perdre toute crédibilité. Les ultras refusent ainsi la violence planifiée prisée des hooligans. Au regard des critères socialement dominants, les ultras sont donc à la fois « bons » et « mauvais », car d’un côté ils participent activement à l’animation du stade, mais de l’autre ils peuvent se rendre responsables de violences, insulter de manière haineuse…(7)
La notion d’ambiance et le concept de sociabilité
Selon Pierre Bourdieu, l’ambiance désigne « une certaine qualité des rapports créés entre le public et les artistes »(8). En effet, depuis une vingtaine d’année, il y a eu une véritable création d’un « spectacle dans le spectacle » par les supporters (ultras essentiellement), fondé sur le sens du collectif et sur la participation active et créative (chants, banderoles, tifos, etc.) à la rencontre. Les supporters ont envie de peser sur cette dernière, et lors d’un match, les milliers de personnes qui se retrouvent dans le kop ne forment plus qu’une seule et unique personne, celle qui va encourager son équipe jusqu’au bout. Les associations de supporters s’organisent donc pour créer l’ambiance dans le stade et, à chaque match, ils préparent les banderoles, les tifos, les différentes animations, dans le but de soutenir le mieux possible leur équipe.
Le stade et les groupes de supporters sont des espaces au sein desquels se déploient des formes de sociabilité. Cette dernière peut être définie comme « l’existence au sein d’un groupe, d’échanges symboliques nombreux ; aptitude, pour ses membres, d’entretenir un commerce agréable »(9). Ces pratiques sont porteuses de liens sociaux particuliers : les regroupements de supporters se caractérisent, entre autres choses, par l’abolissement du contrôle émotionnel, des rapports plus chaleureux et plus directs entre leurs membres, et la création d’un sentiment d’appartenance commune à un collectif… En effet, dans ces associations de supporters, tout le monde se connaît ou presque, le groupe est solidaire et soudé, il y a de l’entraide, les membres les plus expérimentés encadrent les plus jeunes, on prend du plaisir à être ensemble, à être entre amis, etc. Et c’est grâce à cette sociabilité qui s’est créée au sein des supporters que l’ambiance dans le stade est possible.
« Et cette ambiance est devenue fondamentale pour les joueurs et dirigeants, parce qu’elle aide l’équipe, parce qu’elle attire en elle-même une partie du public et aussi parce qu’elle prouve que ce spectacle est tellement passionnant qu’il mérite d’être vendu cher aux sponsors et télévisions » (10).
Évolution de la lutte contre la violence en Europe
Comme nous l’avons vu précédemment, le hooliganisme est principalement perçu comme une menace depuis les années 1980. Aussi « l’intention d’une majorité des autorités du monde du ballon rond est évidente : rejeter une frange de “supporters” trop gênants afin de conserver une certaine pureté au football ». Cette politique de répression est notamment justifiée par le fait que les hooligans sont considérés comme totalement étrangers au football, comme l’atteste un rapport du Social Science Research Council en 1981: « inutile de comprendre et d’analyser les causes du comportement pour prendre des mesures »(11).
Cette politique de répression passe donc par un renforcement des contrôles de police dans et aux abords des stades ; une séparation des groupes de supporters rivaux ; un contrôle strict de la vente des billets ; une vente et une consommation d’alcool restreinte voire interdite dans le stade ; et la prohibition de l’utilisation d’engins pyrotechniques (depuis 1993 en France). Les moyens de surveillance dans les stades sont également accrus, il y a plus de caméras de vidéosurveillance avec le moins d’angles-mort possible. Mais la surveillance électronique restant d’une efficacité limitée, la police cherche également à infiltrer les groupes de « hooligans » afin d’identifier leurs principaux membres. Mais cette pratique manque de preuve, car elle se base uniquement sur des critères subjectifs, sur l’interprétation d’un comportement considéré comme « dangereux », et est donc souvent discréditée. Cette politique, tout en restant de finalité répressive (dans la mesure où elle facilite l’identification des fauteurs de troubles), obéit également à une logique proactive, qui implique un net contrôle de la déviance, puisque l’action policière est déterminée préalablement selon une certaine évaluation de la dangerosité d’une partie de la population. Anastasia Tsoukala, criminologue, estime que cela entraîne une confusion des pouvoirs législatif et exécutif, car ce sont les policiers qui sélectionnent les infractions qui seront recherchées(12).
Évolution de la lutte contre la violence en France
En décembre 1993, la loi Alliot-Marie recense les différents délits spécifiques aux manifestations sportives, passibles d’amendes et d’emprisonnement (introduction et utilisation d’objet dangereux, état d’ébriété, incitation à la haine et à la violence, racisme, envahissement de terrain…), elle autorise également les tribunaux à prononcer des interdictions judiciaires de stade (IJS) pouvant aller jusqu’à cinq ans. En 2003, un fichier des interdits de stade, dont le contenu peut être communiqué aux clubs, est créé. En 2006, les préfets, par l’intermédiaire des forces de l’ordre, se voient le droit de prononcer des interdictions administratives de stade (IAS) pour une durée de 3 à 6 mois (elles sont portées à un an lorsque la personne a déjà fait l’objet d’une interdiction dans les trois années précédentes). En 2006 également, un groupe de supporter considéré comme violent peut être dissous ou suspendu un an par décret. En 2009 est créée la Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme (DNLH), qui a pour objectifs principaux : une évaluation des risques avant chaque match, conseiller les autorités locales et exercer un suivi statistique des incidents et de leur traitement(13).
Le 21 décembre 2010, l’Assemblée nationale a adopté la toute nouvelle loi sur la sécurité intérieure, la Loppsi 2. La principale mesure de cette loi tient au fait que le ministre de l’Intérieur pourra dorénavant interdire un déplacement collectif ou individuel de supporters en cas de graves troubles à l’ordre public, et le préfet restreindre leur liberté d’aller et venir.
En outre, l’allongement de la durée des interdictions administratives de stade est prévu : elles seront portées à un an, voire deux en cas de récidive.
Problèmes posés par les dispositifs répressifs
Certes, cette politique de lutte contre le hooliganisme a eu des effets bénéfiques, la sécurisation des enceintes étant notable, mais elle pose aussi plusieurs problèmes. En effet, cette politique a été essentiellement conçue en réaction à des incidents exceptionnels (la mort d’un supporter par exemple). C’est donc uniquement quand les incidents deviennent trop visibles que des mesures sont prises, afin de « rassurer » les spectateurs. Et cela entraîne un autre problème, car cette politique se construit sur des chocs émotionnels et sur un sentiment d’insécurité plus que sur une connaissance précise des comportements des supporters. Cela favorise donc des mesures rentables à court terme, mais peu efficaces sur la durée. Et, troisième problème relevé par Nicolas Hourcade, « elle ouvre la voie à une politique du chiffre censée attester de la volonté politique » (par exemple atteindre un certain nombre d’interdits de stade). Cette politique entretient également les tensions entre supporters et forces de l’ordre. En effet, ces derniers constituent un « ennemi » pour bon nombre de jeunes supporters. Et, de l’autre côté, du fait de la stigmatisation des hooligans, cela entraîne un mauvais traitement de l’ensemble des supporters par la police(14).
La focalisation des autorités sur la dimension répressive, la multiplication des interdictions de stades ou même la possibilité (saisie à plusieurs reprises ces dernières années) de dissoudre des groupes de supporters sont autant de facteurs qui génèrent des incompréhensions chez les supporters. En effet ces derniers se sentent lésés, car on les considère comme responsables de tous les incidents qui surviennent dans et aux abords du stade. De fait, certains en viennent à boycotter les matchs de leur équipe favorite pour manifester leur indignation, leur mécontentement vis-à-vis de la politique des dirigeants du club, des autorités sportives nationales ou des pouvoirs publics. Ces aspects ont retenu notre attention et nous en sommes donc venus à nous intéresser particulièrement aux conséquences de la lutte contre la violence. Aussi notre question de départ pourrait se formuler ainsi : la gestion de la sécurité et des supporters lors des matchs de football peut-elle se faire sans altérer l’ambiance dans le stade ? Autrement dit, nous nous posons la question de savoir comment concilier, aujourd’hui dans les enceintes sportives, sécurité et ambiance. Est-ce qu’assurer la sécurité implique nécessairement de sacrifier l’ambiance ?
7 Ce passage s’appuie sur : N. Hourcade, L. Lestrelin, P. Mignon, op. cit., pp. 26-30.
8 Pierre Bourdieu, « La Distinction. Critique sociale du jugement », Paris, Les éditions de Minuit, 1979, p. 35.
9 P. Ansart, « Sociabilité », in A. Akoun, P. Ansart (dir.), Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert / Seuil, 1999, p 480-481.
10 N. Hourcade, L. Lestrelin, P. Mignon, op. cit., p.37.
11 R. Chatard, op. cit., p.27.
12 Ce passage s’appuie sur : A. Tsoukala, « La gestion policière du hooliganisme : Angleterre, Italie, Pays-Bas »
in J.-C. Basson (dir.), op. cit, pp. 159-175.
13 Ce passage s’appuie sur : N. Hourcade, « Principes et problèmes de la politique de lutte contre le hooliganisme en France, Archives de Politique Criminelle, n°32, 2010, pp. 124-125.
14 Ibidem, pp.130-131
Page suivante : 2. Un éclairage par le prisme de la sociologie
Retour au menu : SÉCURITÉ ET AMBIANCE DANS LES STADES : Un compromis possible ?