La vision des assureurs de cette évolution juridique a pu être exprimée par Stéphane Pénet,
directeur des assurances de biens et responsabilité à la FFSA. Il a indiqué que la décision
du conseil a immédiatement suscité de nombreuses réflexions de la part des
assureurs. D’après lui, il est essentiel pour ces derniers de mesurer l’impact de la décision
sur les contrats d’assurance.
La première des conséquences pour les assureurs de cette évolution du régime de la faute
inexcusable de l’employeur fût sans conteste la perception d’une inévitable augmentation de
leur contribution (A). Cette refonte des principes régissant la réparation des accidents du
travail en cas de faute inexcusable entraîne parallèlement le besoin d’adapter les garanties
proposées par les assureurs au nouveau schéma ébauché par le Conseil constitutionnel (B).
A- Une inévitable augmentation du coût de la faute inexcusable
Au niveau du coût du risque « Faute inexcusable » deux aspects sont à prendre en
considération. Il faut tout d’abord envisager l’effet sinistralité sur les comptes des assureurs.
Se pose ensuite la question d’une inflation au niveau des primes d’assurance Responsabilité
Civile.
1) La hausse du coût moyen d’un sinistre Faute inexcusable
Il est tout à fait certain, dans tous les cas de figure (interprétation restrictive comme
maximaliste de la décision) que l’indemnisation à laquelle pourront prétendre les salariés
victimes de la faute inexcusable de leur employeur sera supérieure à celle qu’ils obtenaient
en application de l’article L.452-3 du CSS avant le 18 juin 2010. Ainsi la charge sinistre des
assureurs ne pourra qu’augmenter pour ce risque même si les sinistres « faute
inexcusable » sont considérés comme rares avec une fréquence d’un sinistre tous les trente
ans.
Compte tenu de la prise en compte additionnelle de postes de préjudices potentiellement
très coûteux, les assureurs de la faute inexcusable annoncent d’ores et déjà une
augmentation du montant moyen d’un sinistre sur ce risque. Les contrats seront
probablement impactés de plus en plus lourdement par une dégradation des sinistres
annoncée. Et si le risque Faute inexcusable pris à part va à coup sûr subir une
augmentation, il y a fort à parier que cela s’accompagnera d’une majoration globale de la
branche « Responsabilité Civile » avec vraisemblablement des nuances selon le secteur
d’activité de la société assurée. En effet, les assureurs spécialisés dans l’assurance
construction sont particulièrement concernés puisque le secteur du bâtiment et des travaux
publics est fortement touché par les accidents du travail et maladies professionnelles et donc
par les cas de fautes inexcusables d’employeurs.
Pour Marthe Durrenberger, directrice technique IARD entreprises et construction d’Allianz,
«Outre le BTP, le transport ou la chimie, par exemple, sont aussi en première ligne»(167).
L’article de l’Argus de l’assurance consacré à l’augmentation tarifaire de la faute inexcusable
et recueillant ses propos souligne que «pour les secteurs économiques les plus concernés
par les AT/MP, les entreprises doivent s’attendre à une forte augmentation du coût de la
FIE.»
Certains assureurs considèrent que les nouvelles conditions d’indemnisation vont impacter
les coûts définitifs des dossiers en cours d’instruction en fonction de l’interprétation adoptée
par les TASS de la notion de préjudice non indemnisé en vertu du livre IV du code de la
sécurité sociale. Un assureur a estimé que la revalorisation probable pourrait être entre 48 %
et 62 % des provisions actuelles. En général, les assureurs ayant communiqué sur le sujet,
s’attendent à des sommes demandées multipliées par 2, 3 ou 5 au titre de l’indemnisation
dans ce nouveau cadre juridique. L’Argus de l’assurance a consacré, dans son article
précité, un développement à la modification de la tarification du Groupe SMABTP pour sa
garantie faute inexcusable. Il relève que « La SMABTP a évalué que le coût moyen d’une
faute inexcusable de l’employeur, jusqu’ici de 50 000 €, va tripler. Pour les dossiers avec une
incapacité permanente élevée, il va même « exploser» ». De la sorte, « un dossier coûtait en
moyenne 50.000€ avant le 18/06/2010. Il atteint aujourd’hui le million d’euros, en fonction de
la gravité du cas et de l’importance de l’invalidité. »
Il convient de noter que plus le dommage est important, plus les conséquences financières
seront fortes, sauf en cas de décès. Le cas de figure le plus onéreux étant celui d’une
victime affectée d’un important taux d’incapacité nécessitant l’assistance d’une tierce
personne. Pour les accidents mortels, il n’y aurait à retenir que les frais divers, le cas
échéant un préjudice d’accompagnement et d’éventuelles pertes de revenus pour les
proches.
Outre ses conséquences directes, la décision du Conseil va entraîner une multiplication des
demandes de reconnaissance en faute inexcusable qui contribuera à augmenter la charge
des sinistres de cette garantie qui pourrait doubler voire au-delà. Pour se prémunir face à
ces conséquences financières et économiques, des assureurs jugent indispensable pour les
affaires en cours et à venir que leurs assurés ou sociétaires fournissent des informations sur
les conséquences corporelles des accidents et qu’ils leur déclarent, à titre conservatoire,
tous les accidents du travail qui ont justifié l’intervention de la police ou la gendarmerie.
Il convient d’illustrer cette augmentation de la charge sinistres pour le risque faute
inexcusable par un tableau comparatif des indemnités versées avant et après le 18 juin 2010
selon le degré d’incapacité.
Tableau comparatif des indemnités versées avant et après le 18 juin 2010 (source : document communiqué par le groupe SMABTP)
2) La hausse des cotisations
La hausse de la sinistralité par un nombre croissant de demandes en reconnaissance de
fautes inexcusables et la hausse annoncée du coût moyen d’un sinistre laissent logiquement
présager une augmentation des primes et cotisations de la branche Responsabilité Civile qui
englobe le risque faute inexcusable.
A ce titre certains assureurs ont étudié la problématique et ont pu retenir que la hausse de
tarif à appliquer à l’ensemble de la branche RC serait de 15 à 20 %. Parmi ceux ayant
programmé cette augmentation tarifaire, certains prévoient de la lisser sur plusieurs
exercices afin de ne pas impacter les primes des contrats concernés de manière brutale sur
une année. D’autres ont décidé de ne pas appliquer de majorations tarifaires au 1er janvier
2011 compte tenu de provisions dont l’objet est la prise en charge d’évolutions
jurisprudentielles défavorables et de provisions de sécurité. Cependant ces mêmes
assureurs remarquent qu’il sera à l’avenir indispensable d’adapter progressivement le tarif
de la branche RC compte tenu des charges supplémentaires.
D’autre part, comme se pose la question d’un gonflement du niveau de la garantie « faute
inexcusable », il est évident que cela entraînera, le cas échéant, une majoration des primes.
La FFSA quant à elle, dans un communiqué du 8 décembre 2010, a annoncé que « la nature
des risques et l’exposition des assureurs n’étant alors plus la même, il y aura naturellement
un effet sur le prix de la garantie, puisqu’il faut que ce prix soit connecté à la réalité du
risque. » Pour Frédéric Gudin du Pavillon, sous-directeur à la direction des assurances de
biens et de responsabilité : « s’il est difficile de connaître à ce jour le pourcentage de hausse
qui sera appliqué, il est fort probable que celle-ci soit significative dans certains secteurs,
comme celui du bâtiment ».(168)
B- L’adaptation des garanties
En raison de ces bouleversements la question de la modification des garanties proposées
pour la faute inexcusable se pose inévitablement. Le champ de l’indemnisation ayant été
étendu, il est légitime de se demander si les garanties proposées par les assureurs doivent
être étendues d’autant (1) et il conviendra de déterminer dans quelles conditions cette
modification des garanties pourrait intervenir (2).
1) Des garanties étendues de fait ?
Les données de la problématique sont les suivantes : le Conseil a élargi le périmètre de
l’indemnisation, ainsi les assureurs qui garantissaient les conséquences pécuniaires
résultant de la faute inexcusable se voient-ils, de fait, contraints d’indemniser leurs assurés
dans les termes de cette extension de réparation ?
Pour la FFSA, « La décision du Conseil constitutionnel s’imposant à tous, les garanties
proposées par les assureurs se retrouvent étendues de fait. »
Ainsi, une première réponse peut être celle de l’autorité erga omnes de la chose interprétée
par le Conseil que nous avons étudiée précédemment. De la sorte, la décision s’impose aux
assureurs comme à tous et leurs garanties s’étendraient donc à l’ensemble des préjudices
non couverts par le livre IV du CSS. Ainsi, la décision de Conseil s’imposerait aux assureurs
à partir du 19 juin 2010 date de sa publication au Journal Officiel. Mais il faut bien rappeler
que la Constitution ne prévoit un effet contraignant des décisions du Conseil qu’à l’égard des
autorités administratives et judicaires et que l’effet erga omnes est allégué par la seule
doctrine.
A cet argument s’oppose directement la liberté contractuelle. A ce titre, un article de l’Argus
de l’assurance a retenu que « l’assureur n’est pas tenu par la loi d’élargir ses contrats à ce
nouveau périmètre. »(169) En effet, le contrat d’assurance reste une convention régie par la
volonté des parties et il semble que cela prime l’autorité de la chose jugée par le Conseil
pour ce qui concerne les assureurs et assurés qui ne sont pas directement visés par l’effet
normatif des décisions du Conseil dans l’article 62 de la Constitution. La décision du Conseil
lie bien évidemment les juridictions, en revanche, un assureur qui souhaiterait s’en tenir aux
termes de l’indemnisation qu’il offrait jusqu’au 18 juin 2010 semble libre de le faire.
Il semble donc que malgré l’opinion de certains, rien en droit n’oblige à ce jour les assureurs
à étendre leurs garanties pour se conformer à la réserve d’interprétation du 18 juin 2010.
Mais il faut bien admettre que cela ne sera vrai que tant que la Cour de cassation n’aura pas
clairement tranché la question. Lorsqu’elle aura posé les conditions d’application de la
réserve, la liberté des assureurs sur ce point disparaîtra, ces derniers devant se conformer à
l’interprétation donnée par les juridictions judiciaires elles-mêmes liées par la décision du
Conseil. Dans les faits, les assureurs sont donc liés par cette décision qui a dores et déjà été
appliquée par la Cour de cassation et certains juges du fond. Outre les arguments juridiques,
l’adaptation des garanties assurantielles aux nouvelles règles indemnitaires va s’imposer
d’elle-même pour des raisons plus pragmatiques, les assureurs se devant de répondre aux
besoins de leurs clients qui voient leur charge financière augmenter.
C’est pourquoi – extension de fait des garanties ou non – les assureurs ont déjà envisagé
l’adaptation de leurs contrats.
2) Les modalités de la modification des garanties
Se sont posées deux questions : du point de vue de l’assuré employeur, existe-t-il des
« trous de garantie » qui doivent rapidement être comblés en raison de l’application
immédiate de la décision ? Du côté de l’assureur, en quoi son engagement doit-il être
modifié ?
En premier lieu, il n’y aurait pas de « trous de garantie » induits par la décision du Conseil, si
le contrat de RC exploitation couvrait déjà de manière générale les conséquences de la faute
inexcusable. En revanche des « trous éventuels de garantie » peuvent exister au sein de
contrats qui peuvent viser uniquement le livre IV du CSS. Au vu de la rédaction de beaucoup
de contrats d’assurance aujourd’hui sur le marché, les nouveaux postes d’indemnisation ne
sont pas assurés. C’est notamment le cas si le contrat fait référence aux articles L.452-1 à
L.452-4 du CSS comme condition d’application de la garantie. On peut donc dans ce dernier
cas, résoudre le problème par l’émission d’un avenant ou la correction du contrat au moment
de son échéance.
En second lieu, M. Penet de la FFSA considère que les contrats prévoyant des libellés
spéciaux relatifs à la faute inexcusable devront être revus. Il s’interroge également sur
l’éventualité de proposer une nouvelle offre assurantielle pour les employeurs, spécifique à
l’indemnisation des AT/MP dans la mesure où le coût de ce type de sinistre et leur fréquence
va augmenter. Il s’agirait « d’une offre d’indemnisation complémentaire de manière à se
rapprocher du droit commun ». Selon lui, cela permettrait « d’une part, de mieux protéger les
salariés et, d’autre part, de désengorger les tribunaux et d’éviter une explosion des
demandes de faute inexcusable ».
Plus précisément, sur la modification de l’engagement de l’assureur, celle-ci doit intervenir
selon deux aspects :
– l’aspect « étendue de la garantie » : l’assureur doit envisager d’étendre
l’indemnisation prévue par sa garantie faute inexcusable si celle-ci ne correspond pas
à l’étendue de l’indemnisation telle qu’elle résulte de la décision du Conseil.
– L’aspect « montant des garanties » : l’assureur devra envisager de délivrer un
montant de garantie spécifique à la faute inexcusable plus élevé si celui offert par son
contrat s’avère insuffisant face au coût moyen croissant d’un sinistre « faute
inexcusable » et au périmètre désormais étendu des préjudices indemnisés.
En toute hypothèse, les assureurs du risque « faute inexcusable » doivent être
particulièrement attentifs à ces évolutions et soit renégocier leurs polices avec leurs assurés
soit constituer des provisions supplémentaires.
167 L’Argus de l’assurance, 4 mars 2011, « Faute inexcusable de l’employeur, la SMABTP modifie sa
tarification »
168 Indemnisation des accidents du travail : les assureurs réfléchissent à une nouvelle garantie, Lettre
Assurer n° 165, 8 décembre 2010, FFSA.fr
169 Stéphane Tufféry, L’Argus de l’assurance, 4 mars 2011, « Faute inexcusable de l’employeur, la
SMABTP modifie sa tarification »