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§1 – L’essence de l’assurance

Le contrat d’assurance vie moderne est-il de l’assurance ? Et s’il l’est, la gestion des unités de
compte procède–t-elle de la nature de l’assurance ?

A/ La formule moderne du contrat d’assurance vie arbitrable : contrat d’assurance ou
contrat d’épargne ?

Au regard de la faculté d’arbitrage commune aux contrats de gestion de portefeuille et aux
contrats modernes d’assurance vie, le contrat multisupport conserve-t-il la qualité de contrat
d’assurance ?

1 – Le contrat d’assurance, incompatible avec les qualités d’un contrat d’épargne ?

Le développement de la pratique des contrats d’assurance vie multisupports a été l’occasion
d’un débat brûlant relatif à la qualification contractuelle, qui a conclu à l’existence d’un aléa
dans les assurances vie modernes croisant garantie d’un risque de vie et d’un risque de décès.
Aujourd’hui, les protagonistes continuent de souffler des arguments vigoureux pour raviver
les braises d’un débat encore vif.
Si l’article L131-1 du Code des assurances fait une utilisation malheureuse de la terminologie
d’”épargne investie”, la solution jurisprudentielle a désormais été posée avec solennité au
débat relatif à la requalification des contrats d’assurance vie en contrats de capitalisation(57). Si
la doctrine distingue les deux notions par une appréciation téléologique58, le conseiller
rapporteur devant la Chambre mixte de la Cour de cassation, Mme CREDEVILLE énonçait
ainsi les données du problème :
« Il est vrai que l’assurance-vie est devenue au fil du temps un placement mais ne l’a-t-elle
pas toujours été ? Seul l’objectif de ce placement a changé en passant de la prévoyance à
l’épargne, qui n’est rien d’autre qu’une sorte de prévoyance compte tenu de l’allongement de
la durée de la vie. Cet objectif a fait évoluer ces contrats au point qu’ils ont changé de
dénomination et sont passés de celle de contrat d’assurance décès à celle de contrat
d’assurance-vie, en réalité d’assurance de survie. »(59)

2 – Le critère qualifiant de l’assurance : l’aléa viager

Techniquement, l’objet du contrat d’assurance vie, même dans sa formule moderne, demeure
la couverture d’un risque. La question qui se posait pour qualifier le contrat « le problème de
la nature de l’aléa » : qui Aux termes de l’article R. 321-2-20, le critère opérant pour
distinguer contrat de capitalisation et contrat d’assurance vie, est l’aléa viager, le premier en
étant dénué (son échéance est certaine)60, contrairement au second. En résumé, il s’agissait de
savoir si les deux cocontractants doivent subir un risque de gain ou de perte du fait du contrat,
ou s’il peut exister du chef de l’un seul d’entre eux. A ce titre, sont envisageables le risque de
taux d’intérêt, lié à la stipulation d’une garantie de rendement, le risque de rachat du contrat, le
risque de résiliation unilatérale, le risque financier, l’incertitude sur la personne du
bénéficiaire. La conclusion du conseiller rapporteur se résume en ces termes :
« La loi distingue […] les opérations d’assurance vie où non seulement le terme du contrat
mais son exécution (versement des primes et paiement des prestations) est liée à la durée de
la vie humaine et les contrats de capitalisation où, aux termes mêmes de la loi, l’assureur
recueille l’épargne en vue de sa capitalisation et s’engage à restituer à l’échéance une somme
déterminée, sans que l’exécution du contrat soit liée à la durée de la vie humaine. Sans doute
cette distinction n’est-elle pas évidente dès lors que l’assurance fait elle-même fructifier
l’épargne par la technique, commune aux deux opérations, de la capitalisation. La différence
n’en est pas moins réelle car la première est une opération d’assurance liée à la vie humaine
alors que la seconde ne l’est pas. »

C’est par un « attendu » de principe que la Haute juridiction énonce : « le contrat d’assurance
dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa au sens des
articles 1964 du Code civil, L. 310-1,1° et R. 321-1,20 du Code des assurances et constitue
un contrat d’assurance sur la vie. »
L’incertitude demeure jusqu’au dénouement sur la nature de la prestation (en cas de survie ou
en cas de décès) et sur sa valorisation, d’autant plus que désormais les contrats multisupport
sont généralement assortis d’une clause de garantie de capital en cas de décès. Qu’importent
donc les modalités du contrat d’assurance vie, qu’importe son caractère multisupport, dès lors
qu’il couvre un aléa viager.

B/ La faculté d’arbitrage, cause subjective du contrat d’assurance ?

La pratique de l’arbitrage entre unités de compte s’inscrit au coeur du débat relatif à la
qualification de l’assurance vie : à défaut d’en être l’objet, l’arbitrage en est-il la cause61 ? La
souplesse de la gestion, la multiplicité des supports, le développement des solutions pilotées
d’arbitrage par l’assureur sont devenus des “arguments de vente” au profit des opérateurs
commercialisant les produits d’assurance vie. Dès lors, la faculté d’arbitrage serait-elle
devenue la cause subjective du contrat d’assurance vie multisupport, plus que la couverture
d’un risque lié à la durée de la vie humaine ?
Si la jurisprudence laconiquement a pu admettre dans certains cas l’annulation d’un contrat sur
le fondement de la cause subjective62, le recours à la notion de cause subjective (outre le
contrôle de sa licéité) sert essentiellement à définir l’équilibre du contrat tel que les parties
l’ont voulu. La jurisprudence pourra lire les clauses limitant la faculté d’arbitrage en regard de
la cause subjective qui aura motivé le souscripteur à conclure la contrat multisupport.

58 pour le critère de l’intention portée par ces deux actes : « A la prévoyance l’infortune, à l’épargne la fortune
faite » Ph. PIERRE, Traité du contrat d’assurance terrestre, sous la direction de J. BIGOT, Litec, 2008, n°2076
59 Rapport devant la Chambre mixte de la Cour de cassation, 4 arrêts du 23 novembre 2004, pourvois n° 01-
13.592, 02-11.352, 02-17.507, 03-13.673
60 Le rapport fait état d’une exception relative à l’existence à l’aléa dans certaines opérations de capitalisation :
« dans l’hypothèse où un tirage au sort est stipulé mais cet événement incertain est d’une nature différente
puisque l’aléa n’affecte pas un événement contre lequel l’assuré souhaite se prémunir mais est un pur effet du
hasard (on ne se garantit pas contre un tirage au sort, en revanche on se garantit contre les conséquences d’un
décès) »
57 “L’assurance vie est-elle soluble dans la capitalisation ?”, L. MAYAUX, Rep Defresnois 2001 p.3

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