La question à résoudre ici, consiste à savoir s’il existe des liens juridiques à établir entre souveraineté économique et droit des peuples ?
En effet, les résolutions relatives à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles(100) parlent indistinctement du “ droit des peuples ”, des “ nations ”, ou du droit des “ Etats ”, ou encore du “ droit des pays insuffisamment développés ”de disposer librement de leurs richesses naturelles. Ces expressions se rencontrent parfois successivement dans le même texte (Rés.626 (VII) du 21décembre1952). L’emploi simultané de ces termes ne résulte cependant pas d’une confusion de langage. Il vient de la conception même que l’on se fait du droit de souveraineté. D’abord comme une application directe du droit de peuples à disposer d’eux-mêmes, ensuite un droit appartenant aux Etats.
I. Une application directe de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
En effet, la souveraineté sur les ressources naturelles est une application directe du droit de peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est de ce postulat qu’il faut partir si l’on veut comprendre pourquoi les résolutions désignent souvent les peuples ou les nations comme titulaire de la souveraineté.
On touche ici à un domaine(101) dans lequel la susceptibilité des pays en développement est très ombrageuse. Dans son acception classique le droit de peuples à disposer d’eux mêmes n’avait pas de portée juridique. Il ne comportait pas non plus de considérations économiques. L’évolution qui s’est produite depuis 1945 a fondamentalement transformé les données du problème. On admet aujourd’hui que ce principe a pénétré dans le droit positif(102) et que tout peuple soumis à une domination étrangère peut revendiquer le droit de s’en libérer. Par ailleurs, l’autodétermination a débordée du domaine purement politique dans lequel elle se cantonnait et elle s’étend désormais à toute la sphère de la vie économique.
Cette évolution trouve son fondement dans les articles 1§2 et 55 de la charte des Nations Unies ou le droit de peuple à disposer d’eux mêmes se trouve présenter comme un but que doivent viser les Nations Unies. Ce n’est évidemment pas cette formulation(103) qui permet de reconnaître un droit au droit d’autodétermination un caractère juridique, mais la pratique subséquente de l’O.N.U. et des Etats membres en matière de décolonisation. Abstraction faite de quelques situations délicates comme celle qui règne en Afrique Australe, on peut dire qu’à l’heure actuelle presque tous les membres de l’O.N.U. reconnaissent le droit des territoires coloniaux d’accéder à l’indépendance et de parfaire celle-ci. C’est admettre par là le droit à la souveraineté sur les ressources naturelles. Il existe donc un lien direct entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la souveraineté sur les ressources naturelles. Ce lien apparaît dans des nombreuses résolutions.
Dans la résolution 1314 (XIII) du 12 décembre 1958, il est dit expressément que le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes comprend un droit de souveraineté permanente sur leurs richesses et leurs ressources naturelles. Cette résolution visait les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, alors en voie d’élaboration. Depuis lors, ces pactes ont été adoptés par l’Assemblée générale (Rés.2200 (XXI) du 16 décembre 1966) et ils sont entrés en vigueur au premier trimestre de 1976. Or, ils contiennent chacun un article 1er qui affirme que tous les peuples ont le droit de disposer d’eux mêmes et que pour pouvoir atteindre les fins qui découlent de ce droit, c’est à dire déterminer librement leur statut politique et assurer librement leur développement économique, social et culturel, ils peuvent disposer souverainement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. La résolution 1803(XVII) présente la souveraineté sur les richesses naturelles comme un ‘‘élément fondamental ” du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Elle déclare en outre que le “ droit de souveraineté des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles doit s’exercer dans l’intérêt du développement national et du bien être de la population(104) de l’Etat intéressé ” : ainsi au droit des peuples s’ajoute aussi leur intérêt. De son coté, la 1ère C.N.U.C.E.D. a affirmé que tout pays a le droit souverain de “ de disposer librement de ses ressources naturelles dans l’intérêt du développement économique et du bien être de sa population ”. Ces affirmations se retrouvent dans les textes ultérieurs, par exemple dans la résolution 2692(XXV).
II. Un droit appartenant aux Etats
L’Assemblée générale et le conseil économique et social ont toujours présenté, en même temps, la souveraineté sur les ressources naturelles comme un droit appartenant aux États (voir par exemple les rés.1515, 3202, 3281).
Il y a donc dualité de formulation et on pourrait alors craindre la confusion ou l’ambiguïté. Mais que la double référence à l’Etat colonisateur, politiquement elle revenait à la population du territoire colonisé. On procédait donc à une affirmation(105) de type conservatoire.
On réservait en quelque sorte, contre l’emprise des métropoles et de leurs citoyens, les droits des peuples et des territoires appelés à former un jour des Etats indépendants. C’est ce qui explique que dans les textes plus récents, notamment la déclaration du 1er mai 1974 Rés.3201(S-VI) et la charte des droits et devoirs économiques des Etats, il ne soit plus question que du droit de souveraineté des Etats sur leurs ressources naturelles.
On considère en effet, que la décolonisation est pratiquement achevée et que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes fait l’objet d’une reconnaissance quasi-universelle.
La construction s’éclaire ainsi d’elle-même. La souveraineté sur les ressources naturelles se fonde sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme tous les éléments de l’indépendance nationale. Cette indépendance s’incarne dans la souveraineté de l’Etat autorité juridiquement constituée pour gérer les intérêts de la population(106). C’est donc l’Etat qui est apte à exercer toute action tendant à la conquête ou à la récupération du contrôle sur les richesses de la nation.
100 Dominique ROSENBERG, op. cit. p.330.
101 Dominique ROSENBERG, op. cit., p.331..
102 Ibidem.
103 Ibidem.
104 Guy FEUER. et Hervé CASSAN, Op. Cit. p. 235.
105 Idem, p. 236.
106 Idem, p. 237.
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