« Le jour où la Maison quitterait ses murs, elle perdrait son âme’’, avait coutume de dire François Michelin »(73), PDG de la firme de 1955 à 1999. Pour Pierre-Gabriel Gonzalez, auteur de Michelin et sa ville, il s’agit « d’une histoire humaine et sociale qui concerne une ville jusqu’au plus profond d’elle-même et ce depuis au moins quatre générations »(74).
En 1889, les frères Michelin (André Michelin, centralien et Édouard Michelin) fondent Michelin et Cie près de la place des Carmes à Clermont-Ferrand sur un terrain de douze hectares. Cinquante-deux personnes travaillent alors dans l’entreprise. Soulignant qu’aujourd’hui, le siège social est toujours installé sur le même emplacement. En 1907, une nouvelle usine Michelin s’ouvre à Clermont-Ferrand, Cataroux, et en 1916 la première piste cimentée pour l’aviation est construite à Clermont-Ferrand par Michelin. Cette piste permettait le décollage par tous les temps des avions Breguet-Michelin produits pour la Première Guerre Mondiale dans leurs usines. Ainsi, entre 1915 et 1918, ce sont ainsi 1884 avions qui y ont été construits. En 1927, Michelin emploie déjà 10 000 personnes à Clermont-Ferrand. La Manufacture y a employé jusqu’à 30 000 personnes dans les années soixante-dix. Elle y emploie encore aujourd’hui 13 000 salariés environ en janvier 2010. Bien que ce chiffre ait été divisé quasiment par trois, ce qui est conséquent, Michelin reste néanmoins de nos jours l’acteur entrepreneurial et social majeur de la région clermontoise.
Tout au long de leur histoire, la ville de Clermont-Ferrand et ses environs ont été fortement marqués par les activités de Michelin. L’entreprise a également été très influente dans l’évolution urbaine et culturelle de la ville. Le paternalisme que l’entreprise Michelin a longtemps exercé a fortement marqué la physionomie de la ville ainsi que le mode de vie de nombreux clermontois. Par exemple, les « cités Michelin » construites pour héberger les ouvriers ont été restaurées et sont caractéristiques de certains quartiers clermontois. Les anciennes coopératives Michelin (SOCAP) ont été réaménagées comme par exemple la très active Coopérative de Mai, salle de spectacle bien connue des Clermontois. De même, les anciennes rampes d’essai des pneumatiques sont toujours visibles et restent emblématiques de la ville bien qu’elles ne soient plus utilisées. Les noms de rues et de monuments témoignent également de l’importance de la manufacture, notamment, nous l’avons mentionné, comme le temple du rugby clermontois qui porte le nom de Stade Marcel Michelin mais il existe également l’avenue Édouard Michelin, qui est l’une des artères importantes de la ville pour la relier à sa périphérie.
Le cas particulier du Stade Marcel Michelin est également à penser à travers le prisme de la stratégie d’aménagement du territoire de l’entreprise Michelin. En effet, lorsqu’une entreprise locale décide en 1910 de construire un stade et de lui donner son nom, une réalisation ayant vocation à perdurer et à accueillir chaque weekend plusieurs milliers de locaux, on peut considérer qu’elle souhaite marquer fortement et durablement le territoire sur lequel se trouve cette infrastructure, ainsi que sa population. Par ailleurs, Michelin est l’une des rares grandes entreprises françaises, avec Lactalis (Laval), Auchan (Croix, Nord-Pas-de-Calais) ou le Groupe Casino (Saint Etienne), à ne pas avoir son siège social en Île-de-France, et la seule cotée au CAC 40.
Aujourd’hui, près de 13 000 personnes sont employées par Michelin dans la région et bien plus encore si l’on considère les personnes dont l’emploi est indirectement lié à la Manufacture (prestataires, fournisseurs). Manuel Armand, journaliste au quotidien La Montagne spécialiste de Michelin et du tissu économique et social de l’Auvergne, nous éclaire : « Aujourd’hui Michelin emploie 110 000 personnes dans le monde entier, dont la moitié en Europe. Sur ces 55 000 personnes, la moitié est employée en France et enfin sur ces 23 500 personnes environ, un peu plus de la moitié est employée en Auvergne : cela représente donc un huitième de la masse salariale totale de Michelin. Cela signifie que Clermont-Ferrand est un site très important, (…) il faut bien voir qu’à Clermont-Ferrand se trouve le siège de Michelin France, le siège Europe mais aussi le siège Monde ! D’autre part, le principal centre de recherche et développement est à proximité de Clermont »(75).
Il est par ailleurs intéressant de constater que si l’histoire officielle ne raconte pas comment Michelin a adopté le jaune et le bleu comme couleurs emblématiques, de nombreux de témoignages sur Internet pensent que la firme aurait tout naturellement repris les couleurs des armes de Montferrand, autrefois ville rivale de Clermont avant qu’elle ne lui soit rattachée. C’est notamment ce qu’explique le site Histoire Maillot en parlant des premiers maillots de l’AS Michelin : «Les couleurs officielles de Michelin sont le jaune et le bleu, couleurs prises sur le blason de Montferrand »(76).
Ainsi, lorsqu’il y a quelques années, la ville de Clermont-Ferrand décida de se doter d’un tramway, « elle annonça urbi et orbi qu’il serait le premier dans le monde à rouler sur pneus »(77) explique Manuel Armand dans l’ouvrage de Pierre-Antoine Donnet La Saga Michelin. Il explique en effet qu’il eut été impensable dans la capitale mondiale du pneumatique d’y faire circuler un tramway sur rail. Une nouvelle fois, Michelin pose son empreinte sur le territoire, au sens premier du terme, en y conférant même l’idée d’innovation puisque, comme le souligne Manuel Armand, il s’agit du premier tramway au monde à rouler sur pneumatiques.
Le lien qui unit Michelin au territoire auvergnat, et plus particulièrement à la ville de Clermont-Ferrand, bien qu’hérité d’une longue histoire, est aujourd’hui symbolique à bien des égards.