Les directives sur les fusions et les scissions internes accordent un rôle particulier à la
protection des actionnaires au moyen d’une information adéquate quant au projet de fusion ou
de scission et à la parité d’échange des actions. Cette exigence d’information n’est pas une fin
en soi, mais doit permettre aux actionnaires d’exprimer un vote éclairé lors de l’assemblée
générale appelée à statuer sur le projet de fusion ou de scission prévue par les articles 7 de la
troisième directive et 5 de la sixième directive(188).
En premier lieu, les organes d’administration et de direction de chacune des sociétés
participant à l’opération de transformation doivent établir un projet de fusion ou de scission,
lequel suppose nécessairement un accord entre les sociétés qui fusionnent(189). Ce projet
comporte certaines mentions obligatoires, parmi lesquelles figurent des informations
essentielles concernant l’étendue des droits des actionnaires tels qu’ils résulteront de la fusion
ou de la scission. Doivent notamment y figurer : le rapport d’échange des actions, les
modalités de remise des actions de la société absorbante, des sociétés bénéficiaires ou de la
société créée par l’effet de la transformation ainsi que les droits assurés par ces sociétés aux
actionnaires titulaires de droits spéciaux (art. 5 de la directive 78/855/CEE ; art. 3 de la
directive 82/891/CEE). Ce projet de fusion ou de scission devait en principe faire l’objet de la
publicité prévue par les droits nationaux conformément à l’article 3 de la directive
68/151/CEE. Cependant, la directive 2009/109/CE du 16 septembre 2009(190) dispense de cette
obligation les sociétés qui mettent gratuitement à la disposition du public le projet de fusion
ou de scission sur leur site internet pendant une certaine période. La directive vise donc à
assurer que les termes principaux de la fusion ou de la scission soient contenus dans un
document accessible aux actionnaires préalablement à la décision des assemblées générales,
ce qui correspond à l’état du droit français antérieur à la directive(191). Le contenu imposé par
les dispositions européennes relatives au projet de fusion n’est qu’un contenu minimum : en
effet, les législateurs des États membres peuvent exiger que des mentions supplémentaires y
figurent(192). Il faut noter à ce propos que l’article R. 236-1 C.Com. est allé au-delà des
exigences posées par la directive(193).
Les mentions figurant dans le projet de fusion n’étant pas suffisantes pour informer les
actionnaires de façon complète(194), les organes d’administration et de direction de chacune des
sociétés sont dans l’obligation d’établir un rapport écrit détaillé expliquant et justifiant du
point de vue juridique et économique le projet de fusion ou de scission et, en particulier, le
rapport d’échange des actions (et, pour les scissions, le critère retenu pour la répartition des
actions). Par ailleurs, ce rapport doit indiquer les éventuelles difficultés d’évaluation
rencontrées lors de l’établissement du projet de fusion ou de scission (art. 9 de la directive
78/855/CEE ; art. 7 § 1 et 7 § 2 de la directive 82/891/CEE).
Afin que le projet de fusion fasse l’objet d’un avis objectif(195), il doit être examiné par
un ou plusieurs experts indépendants, qui établissent un rapport écrit destiné aux
actionnaires. La désignation d’un ou de plusieurs experts communs sur demande conjointe
des sociétés est possible, à condition qu’elle soit autorisée par les législations nationales
auxquelles sont soumises les sociétés participantes (art. 10 § 1 de la directive 78/855/CEE ;
art. 8 § 1 de la directive 82/891/CEE). Le caractère restrictif de cette possibilité devait, dans
l’esprit originel des directives, permettre aux actionnaires de recevoir une information
objective et équilibrée(196). Les experts (ou « commissaires à la fusion ») doivent déclarer si, à
leur avis, le rapport d’échange des actions proposé est pertinent et raisonnable, indiquer la ou
les méthodes suivies pour sa détermination et indiquer si cette ou ces méthodes sont
adéquates en l’espèce, ainsi que mentionner les valeurs auxquelles chacune de ces méthodes
conduisent, un avis étant également donné sur l’importance relative donnée à celles-ci dans la
détermination de la valeur retenue(197). Le critère essentiel pour les actionnaires dans le choix
des experts est leur indépendance, ce qui explique que seules des personnes désignées ou
agréées par une autorité judiciaire ou administrative pour exercer l’activité d’expert peuvent
être chargées du contrôle du projet de fusion(198). Les sociétés doivent fournir aux experts tous
les renseignements et les documents nécessaires à leurs vérifications(199). Cependant, depuis la
directive 2007/63/CE du 13 novembre 2007 (modifiant les troisième et sixième directives)(200),
les exigences afférentes aux deux rapports cités ci-dessus ont, sous certaines conditions, été
totalement abandonnées : en effet, ces deux documents ne sont plus requis si « tous les
actionnaires et les porteurs des autres titres conférant un droit de vote de chacune des
sociétés participant à la fusion en ont décidé ainsi » (art. 2 et 3 de la directive 2007/63/CE).
Les articles 11 de la directive « fusions » et 9 de la directive « scissions » consacrent le
droit de tout actionnaire de prendre connaissance des différents documents établis
conformément aux dispositions précitées, ainsi que de certains autres documents
indispensables à un vote éclairé : ainsi, les comptes annuels et les rapports de gestion des trois
derniers exercices des sociétés ainsi que certains états comptables doivent être mis à leur
disposition au siège social de la société un mois au moins avant la date de la réunion de
l’assemblée générale. La directive 2009/109/CE permet aux sociétés de mettre les documents
requis à disposition sur son site internet, sous certaines conditions.
L’ensemble de ces informations est destiné à permettre aux actionnaires d’exercer leur
droit de vote en toute connaissance de cause lors de l’assemblée générale appelée à se
prononcer sur le projet de fusion ou de scission. Laissant aux droits nationaux le soin de fixer
les conditions de quorum et de majorité requises(201), la directive ne procède à aucune
harmonisation des dispositions relatives à l’assemblée générale, mais fixe seulement,
concernant la majorité requise pour l’approbation de la fusion, une « limite plancher »(202) : la
majorité requise ne peut être inférieure aux deux tiers des voix afférentes soit aux titres
représentés, soit au capital souscrit représenté (art. 7 de la directive 78/855/CEE ; art. 5 de la
directive 82/891/CEE).
Ces prescriptions ont été prises en compte par le droit français, qui exige que
l’assemblée générale satisfasse les conditions requises pour la modification des statuts de la
société posées par l’article L. 225-96 C. Com., auquel renvoie l’article L. 236-2 C. Com. : ces
dispositions exigent non seulement que la décision soit prise à la majorité des deux tiers des
voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés, mais encore qu’un certain
quorum soit constitué : en application de l’article L. 225-96, al. 2 C. Com., l’assemblée
générale extraordinaire ne délibère valablement que si les actionnaires présents ou représentés
possèdent au moins, sur première convocation, le quart, et, sur deuxième convocation, le
cinquième des actions assorties d’un droit de vote. Le droit allemand va au-delà de l’exigence
minimale posée par la directive : en effet, le § 65 I 1 UmwG, applicable tant aux fusions
qu’aux scissions, exige une majorité des trois quarts des voix afférentes au capital souscrit
représenté, ce qui va dans le sens d’un renforcement de la protection des actionnaires,
l’assemblée générale étant organisée dans leur intérêt exclusif(203).