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§ 1 : Une notion soumise à la liberté contractuelle

ADIAL

La définition de la livraison fait face à un vide juridique. Concernant l’assurance de
responsabilité civile du fait des produits, cette absence peut s’expliquer par le fait que cette
dernière est issue de la pratique et que, naturellement, ses principaux éléments sont définis par
les professionnels de l’assurance. C’est donc au travers des contrats que l’on peut découvrir
les caractéristiques de la « livraison ».

Les polices d’assurance ne donnent pas toujours de définition de la livraison en tant
que telle mais y font toutes référence. Par exemple, les Conventions Spéciales Assurance
Responsabilité Civile Générale rédigées par Gras Savoye, courtier en assurance, ne
définissent pas la livraison mais les biens livrés(70). Soumis à la liberté contractuelle, les
professionnels peuvent laisser libre court à leur imagination. Cependant, ils doivent tout de
même encadrer leurs définitions. Mais à quoi se référent-ils pour cette tâche ?

Dans le langage courant, la livraison se comprend comme une remise matérielle du
produit à un tiers. Cette vision est-elle celle des polices d’assurance ?

La définition type de la livraison est la « remise effective du produit à un tiers,
l’assuré n’étant plus en mesure d’exercer un contrôle sur les conditions d’utilisation de celuici
», mais une multitude de définitions existe dans les différentes polices circulant sur le
marché. Gras Savoye, dans ses Conventions Spéciales(71), définit les biens livrés comme suit :
« Les biens, travaux ou prestations de service à compter de leur remise effective au tiers dès
lors que cette remise donne au nouveau détenteur le pouvoir d’en user hors de toute
intervention des Assurés. » De même, la compagnie d’assurance Chubb définit la livraison
comme la « remise par l’assuré d’un bien (produit, ouvrage ou travaux) dès lors que cette
remise donne au nouveau détenteur le pouvoir d’en user »(72). A quelques différences près, ces
définitions sont presque identiques. Le Comité Européen des Assurances sur l’assurance
Responsabilité Civile produits a d’ailleurs donné une définition similaire : « La livraison est
la remise effective du produit par l’assuré à une tierce personne. Elle est réputée s’effectuer à
partir du moment où l’assuré perd les moyens pratiques d’exercer un contrôle matériel direct
sur les conditions d’usage, ou de consommation du produit ou de modifier ces conditions »(73).

Juridiquement, la livraison pourrait être assimilée à la notion de délivrance : « le
transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur »(74). Cependant, les
définitions adoptées par Chubb et Gras Savoye se rapprochent plus de la garde telle que
prévue dans la responsabilité civile du fait des choses. Cette dernière se traduit comme le
pouvoir d’usage, de contrôle et de direction de la chose(75).

Si l’on admet que la livraison, comprise comme celle de l’assurance de responsabilité
civile du fait des produits, correspond au transfert de garde, cela signifie que les différentes
jurisprudences applicables à cette notion s’appliquent également. Ainsi, le transfert de garde
involontaire serait admis(76). En cas de vol du produit, la livraison serait donc considérée
comme étant intervenue. Le cas du transfert de garde volontaire, dans le domaine de la
responsabilité civile du fait des choses, est plus difficilement admis. La jurisprudence le
reconnait dans le cas des contrats de vente ou même de la location(77), mais elle se montre plus
réticente concernant le prêt(78). Enfin, la jurisprudence admet que ce transfert de garde ne soit
pas limité à la conclusion d’un contrat(79). La livraison pourrait donc intervenir en dehors de
tout domaine contractuel. La question à se poser serait alors simplement de savoir qui, au
moment des faits, exerçait concrètement les prérogatives inhérentes à la garde.

Admettre ce postulat de concordance entre la livraison, issue de l’assurance de
responsabilité civile produit, et la garde, tirée de la responsabilité civile du fait des choses,
serait ne pas respecter la lettre des polices. En effet, les définitions précédemment citées ne
reprennent pas tous les éléments de la « garde ». Seul le pouvoir d’usage est prévu, sans
référence au pouvoir de direction et de contrôle. En pratique, la livraison semble bien
correspondre à cette notion de transfert de garde, mais si ses caractéristiques ne sont pas
reprises telles quelles par les polices, les jurisprudences applicables à la « garde » ne peuvent
pas s’appliquer par assimilation.

Il est important de noter que la livraison ne correspond pas toujours au transfert de
propriété parce que certains contrats comportent des clauses de réserve de propriété ou parce
que la livraison peut ne pas intervenir en exécution d’un contrat. Elle est même admise « en
cas d’erreur de destination du produit, c’est-à-dire si le tiers en possession du produit n’est
pas celui à qui il était destiné »(80), ou en cas de vol.

La livraison, ce moment si important dans l’assurance de responsabilité civile produit
livré, « est donc essentiellement une situation de fait »(81) et non une situation juridique. C’est
une notion liée à la détention matérielle du produit qui n’est au final dépendante d’aucune
définition légale, même s’il est admis par de nombreux auteurs que la livraison peut
correspondre à la notion de garde juridique. Finalement, « ce qu’il convient de retenir, c’est
que la livraison est un fait et que la seule question à se poser est : « le produit a-t-il été remis
matériellement et effectivement à un tiers? » »(82).

Ainsi, aucune norme ne peut être prise en référence dans le droit commun. Cependant,
la mise en circulation, prévue dans le cadre de la responsabilité civile du fait des produits
défectueux, ne correspond-elle pas à la notion de livraison de l’assurance de responsabilité
civile produit livré ?

70 Intercalaire Gras Savoye, Conventions Spéciales Assurance Responsabilité Civile Générale, 25 mai 2011,
(Annexe n°2).
71 Intercalaire Gras Savoye, Conventions Spéciales Assurance Responsabilité Civile Générale, 25 mai 2011,
(Annexe n°2).
72 Conventions Spéciales Avantech de Chubb, Novembre 2006, p.19 (Annexe n°3)
73 Rapport du Comité Européen des Assurances sur l’assurance responsabilité civile produits, 1972, p.23 ; Voir
aussi la définition contractuelle proposée par l’Assemblée Plénière des Sociétés d’Assurance de Dommage : « La
remise effective par l’assuré d’un produit, soit définitivement, soit à titre provisoire et même en cas de réserve de
propriété, dès lors que cette remise donne au nouveau détenteur du produit le pouvoir d’en user hors de tout
intervention de l’assuré ou de ses préposés ».
74 Article 1604 du Code Civil.
75 Arrêt Franck, Cass. Ch. Réunies, 2 décembre 1941, GAJC, 11ème éd. N°194 ; DC 1942. 25, rapp. LAGARDE,
note RIPERT ; S. 1941. 1. 217, note H. MAZEAUD ; JCP. 1942. II. 1766, note MIHURA
76 Arrêt Franck, Cass Ch. Réunies, 2 décembre 1941, op. cit note 75 ; Cass. Civ. 2ème, 5 avr. 1965, n° 64-10.593 ;
D. 1965. 737, note AZARD
77 Cass. Civ. 2ème, 12 déc. 2002, Bull. civ. II, n°288 ; D. 2003. 454, note DAMAS
78 Cass. Civ. 2ème, 15. déc. 1986 ; Gaz. Pal. 1988. 1. Somm. 40, obs. CHABAS
79 En cas d’intervention d’un tiers commandée par l’urgence : Cass. Civ. 2ème, 7 oct. 2004, Bull. Civ. II, n°448,
GROUTEL H., RCA 2004, n°365 ; En cas d’entrée en possession d’un objet abandonné : Cass. Civ. 2ème, 11 fév.
1999, n° 97-14.810, RCA 1999, n°96
80 KULLMANN J., Lamy Assurance, n°2233, Editions Lamy, 2010
81 KULLMANN J., Lamy Assurance, n°2234, Editions Lamy, 2010
82 CHAUMET F., Les assurances de responsabilité de l’entreprise, 4ème édition, l’Argus de l’assurance, 2008,
p.257

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