Il apparaît également nettement que les missions de réinsertion étaient au coeur de la pratique professionnelle et étaient à l’origine des vocations pour le métier d’éducateur de l’Administration Pénitentiaire ou de délégué à la probation :
H, 53 ans, CPIP, 27 ans d’ancienneté
: « Notre travail, c’était essayer de donner quelques atouts aux personnes qui nous étaient confiées pour essayer de faire en sorte qu’elles ne se noient pas dans une situation sociale qui, dans un premier temps, les faisaient réagir de manière frontale, comme ça, dans l’opposition avec la police, avec la récidive, ou de manière déjà un peu auto-destructrice, en prenant de la drogue ou tout autre produit. Enfin, qui était une manière réactionnelle de fonctionner, liée entre autre à l’âge et essayer de leur donner, de les aider à trouver quelques atouts pour ne pas se noyer complètement ».
H, 51 ans, CPIP, 25 ans d’ancienneté
: « Ce métier, il y a celui tel que je me le représentais en entrant, et puis il y a le métier qu’on a fait en 20 ans, mais disons que pour moi, ce métier, c’est une incarnation de l’État Providence pour permettre aux gens qui sont en difficulté d’insertion de raccrocher les wagons parce qu’on est en contact avec les personnes, la partie de la population française qui est dans la plus grande difficulté, on travaille avec de gens pauvres et évidemment des gens qui sont, non seulement, pauvres économiquement mais qui ont souffert de mille et une difficultés ; ce n’est pas une caricature de le dire, donc, je me vis comme une sorte de sauveteur, c’est le SAMU social, dans la chaîne pénale ; c’est le rôle que j’ai envie de jouer, on est dans ce circuit-là les premiers à manifester de l’attention et de l’humanité aux gens qui sont pris dans ce type de procédure et pour moi c’est important ».
Comme nous l’avons vu précédemment, cette représentation du métier comme essentiellement un métier d’aide qui se rapprocherait du travail social n’est plus portée par l’Administration Pénitentiaire depuis la circulaire de mars 2008, circulaire qui ne fait plus mention explicite aux missions relevant du travail social inscrits dans la circulaire de 2000. Il apparaît aussi que, sur nos 17 entretiens, neuf personnes ont passé d’autres concours, trois personnes seulement n’ont passé que le concours de CIP soit une proportion très faible (17,64%).
Les assistantes de service social ont, elles, passé un concours spécifique pour intégrer l’Administration Pénitentiaire, ce qui conforte l’hypothèse d’une vocation pour intégrer cette administration. Il semble donc que les motivations pour entrer dans l’Administration Pénitentiaire ne relèvent pas de la vocation mais d’autres choix rationnels pour beaucoup de CPIP :
F, 34 ans, CPIP, SNEPAP-FSU, 8 ans d’ancienneté
: « Je pense qu’aujourd’hui, il y a pas mal de gens qui passe pas mal de concours en espérant en avoir un, et en soit, ça se comprend, mais du coup, pas en se disant moi, je veux être ça, et donc je vais passer le concours ; c’est un peu une autre logique, maintenant j’ai tel niveau d’étude, maintenant, j’ai envie de travailler, je vais passer tel ou tel concours qui sont un peu sur la même forme, en espérant en avoir un ; on peut pas dire qu’ils aient la vocation, ils arrivent dans la pénitentiaire comme ils seraient arrivé dans les douanes ; après, il y a en un certain nombre qui le passent avec une vocation quasi-militante, qui se sont intéressés à la question de la prison, surtout, parce que souvent de l’extérieur, on connaît plus la prison et ceux qui arrivent dans une disposition un peu militante, parfois un peu utopique : je vais sauver le monde, je vais être du bon côté. Donc, il n’y a pas d’homogénéité ».
Quand la vocation est présente pour intégrer l’Administration Pénitentiaire, c’est toujours en lien avec la notion d’insertion des publics, qu’elle soit couplée à la probation ou non :
F, 29 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté
: « J’ai eu du mal à intégrer le nom de conseiller d’insertion et de probation, je me le suis approprié, puisque moi je suis arrivée sur une période où le contrôle et la probation étaient clairement instaurés ; enfin bon, j’étais déjà l’un des volets de la profession puisqu’avant, on appelait ça éducateurs ; moi, je vois bien, avec mes collègues plus anciens, que la probation n’était qu’une petite partie, finalement, du boulot alors que pour moi, c’est vraiment deux aspects. Moi, c’est pour ça que j’ai fait ce travail là, pour l’insertion et pour la probation, et je vois pas ce que pénitentiaire vient faire là puisque, quand je présente mes missions, je rappelle bien pour quelle administration je travaille, je pense qu’il n’y a pas de doutes vis à vis des personnes qu’on a en face, si on arrive à se situer».
Nous avons pu observer que, parmi les 8 personnes ayant plus de 10 ans d’expérience au sein de l’Administration Pénitentiaire de notre échantillon, 5 étaient des assistantes sociales ce qui laisse penser qu’avec le temps, une forme de fracture générationnelle se forme entre les personnes restées par vocation dans une éthique proche du service social et une génération pour qui l’entrée dans l’Administration Pénitentiaire s’intègre dans une stratégie professionnelle différente. Cela mériterait une étude plus poussée sur la base de données statistiques plus larges et étayées.
Une autre fracture se crée entre les personnes qui sont surdiplômées par rapport au niveau requis pour passer le concours et les autres :
F, 33 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté
: « Je trouve qu’on sent de grosses disparités entre les personnes qui ont dix ans d’expérience et, on va dire, celles qui sont arrivées récemment sur le terrain ; je trouve que les personnes qui sont là depuis pas mal d’années ont une fibre sociale beaucoup plus développée que celles qui sont arrivées récemment sur le terrain ; je dis pas qu’on a pas de fibre sociale, mais je veux dire quand même, voilà : je pense que la plupart des gens qui sont recrutés sont bac+4, je pense déjà que ça joue, je pense que beaucoup de gens qui sont là depuis quelques années, ils ont passé ce concours par hasard, j’ai pas l’impression qu’ils ont passé le concours par vocation, donc, effectivement, je trouve qu’il y a des disparités quoi dans la façon de voir les choses et puis peut être aussi des disparités générationnelles tout simplement ».
A titre indicatif, deux personnes seulement sur les sept dans notre échantillon, ayant plus de dix ans d’expérience, sont titulaires d’un diplôme de niveau bac +4, ce qui semble indiquer une évaporation importante des profils les plus diplômés, chiffre à confirmer à une échelle plus étendue toutefois.
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