Dès la première lecture des paroles du corpus, plusieurs champs lexicaux s’imposent d’eux-mêmes :
• mort/mourir et vie : « Balance ta vie Tu vis tu vas vivre Meurt le pouvoir » « La mort est
noire mais rions jaune » « De voir pleurer de voir mourir » « La mort est lente mon
général » « envie de m’faire sauter les plombs » « envie de crever ton chat » « Ils vendent la
mort » « Pour une mort infecte » « On est tous mort » « Trop pressé de mourir » « Une vie
pourrie » « s’ouvrir les veines » « La vie qui te tombe dessus »
• guerre/armes : « Sous les casques verts le sang rouge » « La mort est lente mon général »
« Des bombes brulant d’agent orange En étouffant de défoliant » « Sous les soleil rouge des
mortiers » « Un jeune soldat » « Techniques de combat, opérations de survie » « la folie
c’est la guerre » « ce sont des bombes au napalm » « Des coups de matraque » « Mais avec
un flingue à la main Il vit la guerre au quotidien » « Guerre des nerfs » «Victime complice
de l’acte terroriste. » « Bataille déjà perdue » « la mitraille »
• pleurer/pleuvoir : « De voir pleurer de voir mourir » « Il pleut des images » « il pleut sur
le Viêt-nam (Afghanistan, Liban, Nicaragua…) » « c’est une pluie de sang » « Il ne peut pas
pleurer » « Mais dans la ville tous les hommes sont pluvieux » « demain il pleut » «je fais
mon possible pour ne pas pleurer »
• télé : « Allume la télé » « Et regarder la télé » « Radio fourre tout télé immonde » « Devant
la caméra en direct » « Panique sur les écrans » « Qui va diffuser le premier Scoop à la
télé, l’info est plombée » « De son écran couleur éclairent son dos » « une putain
d’émission » « heureusement qu’y a la page de pub »
• grisaille/ville : « Tu agresses la ville » « Portillons, escaliers mécaniques » « Triste vie,
triste ville » « Mais dans la ville tous les hommes sont pluvieux »
• couleurs : « Rouge rouge rouge et noir » « Sous les casques verts le sang rouge » « bérets
verts » « La mort est noire mais rions jaune » « Des bombes brulant d’agent orange »
« Sous les soleil rouge des mortiers » « grosses lunettes noires » « Le ciel est-il noir »
« Carte orange » « De son écran couleur éclairent son dos »
• musique : « J’entends au loin les cris les chants Chants victorieux des plages Normandes »
« Des milliers de CD, des millions de chansons. Des concerts à qui, des qu’on sert à quoi,
des qu’on sert à rien. Des concerts dans des bouges »
Nous avons clairement affaire ici à des textes très négatifs qui ne respirent guère la joie de vivre…
on constate une tendance chez les musiciens punk/hardcore à dépeindre une réalité urbaine triste et
difficile. Des liens sont tissés entre le fait de vivre en ville, l’aliénation par la télévision, et la
tristesse puis finalement la mort. En ce sens l’analyse que nous avons faite en première partie sur les
textes des groupes qui ont joué le 19/03/2011 à l’Assommoir rejoint cette première constatation.
On remarque également un vocabulaire de la guerre qui, par contre, ne correspond absolument pas à
la réalité quotidienne de gens qui le chantent : on n’a ici que des groupes français, donc des
personnes qui n’ont jamais connu la guerre sur leur territoire. Sans doute faut il voir ici le souci de
s’ouvrir sur le monde et sur les gens vivant une situation plus dure qu’en France, à dénoncer les
injustices qui ont lieu loin de chez nous.
L’agressivité de la musique est donc renforcée par des textes pas forcément violents, ni insultants,
mais plutôt révoltés et pessimistes.
En ce qui concerne le niveau de langue, on a affaire à un français courant, voire familier par endroit
(« Comme envie d’me faire sauter les plombs »), mais certainement pas soutenu (pas de passé
simple ou de vocabulaire particulièrement recherché). Les paroles ne sont pas « codées » (pas de
verlan ou de vocabulaire particulier à un milieu social ou géographique) et compréhensibles par tout
le monde. Même si certaines sont plus opaques que d’autres au niveau du sens global de la chanson
(comme « What is my punk? »), chacun peut comprendre de quoi il s’agit dans tous les textes. Nous
nous trouvons donc face à un français populaire, standard de l’oral.
Il faut également remarquer que les 11 textes sont rédigés au présent de l’indicatif. Sans doute peut
on y voir là une volonté de décrire des réalités et des soucis quotidiens, dans une dynamique liée à
l’oralité. Certains passages donnent d’ailleurs l’impression de dialogue, comme si le narrateur
attendait une réponse : « La mort est lente mon général », « Comme envie de t’expliquer comme
ça/Que ton indifférence ne me touche pas ». D’ailleurs beaucoup de textes comportent des questions
: « La France est-elle fière de ses bavures policières ? » ; « Lequel des deux choisir ? » ; « Est-il fait
de bric ou est-il fait de broc ? » ; « Pourquoi n’es-tu plus le même ? ».
Tout cela confère aux textes la volonté de se rapprocher de l’auditeur, en parlant la même langue et
le même langage que lui, de thèmes qu’il connaît, avec des interpellations directes à son égard. Au
début du XXeme siècle, Maurice Chevalier et Charles Trénet utilisaient un vocabulaire populaire
pour raconter le Paris de la rue, comme le dit Michaël Abecassis dans son article « From sound to
music : voices from old Paris » :
« The popular speech they employed was often artificial and contrived, and used tonguetwisters,
puns, and non-standard vocabulary repeatedly for comic effect ; The various linguistic signals (body
movements, verbal tics, complicit laughter, etc.) used by the performer to facilitate interaction with
his public were a key part of the artistic recreation of popular speech. »
Aussi étonnant que cela puisse paraître si l’on se tient à une comparaison purement musicale, on
peut toutefois rapprocher le punk/hardcore de la variété des années 1920 et 1930, qui à l’époque
était aussi considérée comme un «art mineur » ou une « musique populaire » par opposition à
« musique savante » (Philippe Coulangeon, 2005), en cela que le but de chacune de ces musiques
cible un public qui lui correspond en employant le même langage que lui.