Le système scolaire québécois de la fin des années 50 portait déjà le clivage des deux langues en présence, le français et l’anglais. Mais le Québec d’avant la Révolution tranquille(8) ne s’était pas encore affirmé culturellement et affranchi économiquement du pouvoir anglophone. Linteau, dont nous allons synthétiser ici les propos, nous explique dans son « Histoire de Montréal depuis la confédération » pourquoi les écoles francophones de Montréal étaient bien moins « dotées » que les écoles anglophones (Linteau, 1992 : 230-236). Le système scolaire québécois s’accordait en effet avec les lois religieuses avec d’un côté les écoles catholiques annexées à la CECM(9) qui comportait des écoles francophones et anglophones, et de l’autre, les écoles protestantes anglophones de la MPCSB(10). La première pâtissait alors d’un grand manque de financement malgré un nombre d’élèves bien plus important que la seconde. La MPCSB recevait en effet les taxes de la population protestante économiquement dirigeante de Montréal. À cela s’ajoutait le réseau des écoles anglophones de confession catholique. Ainsi, tout en étant inscrits à la CECM, les enfants des populations immigrantes catholiques pouvaient profiter d’un enseignement en anglais que les parents préféraient à celui en français:
« Les immigrants, voyant que le succès dans l’économie montréalaise passe par l’anglais, choisissent de plus en plus d’inscrire leurs enfants au réseau anglais. » (Linteau, 1992 : 477)
Cette immigration était par ailleurs de plus en plus importante depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il n’y avait alors pas de contraintes quant à la langue d’enseignement comme ce sera le cas plus tard. Ces immigrants grossissaient les rangs de la population anglophone du Québec, et en particulier à Montréal :
« Au milieu des années 50, 70 % de tous les élèves néoquébécois inscrits à la CECM fréquentent le réseau anglais, où ils forment 40 % de la clientèle. » (Linteau, 1992 : 477)
La Révolution tranquille du début des années 60 changera la donne et touchera tous les secteurs de la société à travers « le néonationalisme et la croissance de l’État québécois » (Levine, 1997 : 84). Résumons les propos de Levine qui, dans son ouvrage dont le titre évocateur est « La reconquête de Montréal », explique l’origine économique des débuts de ce qui sera une profonde transformation de l’apparence de la ville jusqu’alors totalement anglophone et de la vie quotidienne des Montréalais francophones. Les commissions scolaires francophones trouveront aussi dans le gouvernement de Jean Lesage(11) un nouvel élan grâce à la création du ministère de l’Éducation et un budget inégalé. L’objectif était de reprendre d’abord la main sur un secteur jusqu’alors dirigé par les autorités religieuses.
Mais la langue d’enseignement n’était pas encore inscrite dans la loi. Ce vide politique provoquait une insécurité linguistique et culturelle insupportable pour la population montréalaise d’expression française en majorité : « Le principal aspect à la survie culturelle, celui qui fit descendre les francophones dans la rue et força le gouvernement du Québec à agir dans les années soixante et soixante-dix, concernait la langue d’enseignement dans les écoles de Montréal » (V. Levine, 1997 : 84). Deux manifestations majeures lanceront les futurs projets de loi concernant le programme scolaire québécois en général et la langue d’enseignement en particulier.
8 Période de changements rapides vécue par le Québec de 1960 à 1966. (L’encyclopédie canadienne)
9 Commission des écoles catholiques de Montréal
10 Montreal Protestant Central School Board
11 Premier ministre du Québec de 1960 à 1966
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