Un autre point commun à la situation en Libye et en Côte d‘Ivoire, est que l‘intervention militaire étrangère y déclenche ou y nourrit une guerre civile. Celle-ci, comme son nom l‘indique, est la plus coûteuse en vies civiles, alors que l‘objectif proclamé au départ de l‘intervention est de protéger les populations. En Libye, comme en Côte d‘ivoire, les interventions se sont vite transformées en ingérence caractérisée au profit toujours d‘un camp, celui jugé pro-occidental par rapport à l‘autre. L‘ingérence fausse le jeu des rapports de forces internes à une société et rend toujours plus difficile la recherche du compromis et le dialogue entre les forces nationales d‘un pays.
En Libye, c‘est une insurrection, déclenchée dans des conditions obscures, qui a fourni le prétexte à l‘intervention puis carrément à l‘ingérence. Du coup, les véritables données sur la situation en Libye, s‘en sont trouvées brouillées et l‘intervention du peuple libyen paralysé. Celui- ci apparaît d‘ailleurs étrangement absent et silencieux comme s‘il était seulement l‘enjeu passif des combats. Chaque camp peut alors revendiquer le soutien du peuple sans que rien ne permette de contrôler la véracité de ce qui est proclamé. Que l‘intervention ait eu pour objectif de déclencher un affrontement interne, ou qu‘il en soit la conséquence, le résultat est le même : la guerre civile est installée et elle nourrit à son tour l‘ingérence, dans une situation où on ne peut plus alors distinguer les effets des causes. C‘était déjà la situation en Irak et en Afghanistan. La haine diffusée dans la société par la guerre civile rend alors le pays qui en est victime fragile et vulnérable pour longtemps.
En Côte d‘Ivoire, c‘est le non-respect du résultat des élections présidentielles qui a été la raison proclamée de l‘ingérence. Mais là, c‘est l‘ingérence qui a précédé l‘intervention militaire violente, bien que, selon plusieurs observateurs, la présence de troupes officiellement sous le contrôle de l‘ONU (mais dont l‘action dépend en réalité opérationnellement de celle des troupes françaises) soit plus ancienne. C‘est donc déjà la preuve que l‘ingérence peut aggraver les problèmes jusqu‘à provoquer et justifier à la fois une intervention militaire. Un engrenage s‘installe alors où l‘intervention a alimenté la guerre civile en Côte d‘Ivoire, alors, qu‘à l‘origine, elle était supposée vouloir l‘empêcher.
Pour le résultat des élections, dans les deux cas, que ce soit celui du comptage de la Commission de électorale en faveur de Alassane Dramane Ouattara ou celui du Conseil constitutionnel ivoirien en faveur de Laurent Gbagbo, le nombre de voix était proche et indiquait une population électorale répartie en deux camps d‘une importance à peu près égale. Dans de telles conditions, la pression faite par la France sur Alassane Ouattara pour qu‘il agisse militairement, puis l‘intervention militaire française masquée en sa faveur ne peuvent que pousser à la guerre civile, être un drame pour la société ivoirienne, et fausser les équilibres en son sein, tels qu‘ils ont été révélés par les élections. Il faut rapprocher cette fébrilité et cette impatience du Gouvernement français à intervenir, de l‘attitude et de la patience de l‘Union africaine et de la CEDEAO à rechercher une solution pacifique.