La publicité s’est toujours nourrie de l’art : pour mieux communiquer, elle n’invente rien mais reconfigure des codes en messages. Il est donc logique qu’elle s’empare non seulement du street art, mais également d’une de ses manifestations, le détournement publicitaire. La publicité est très habile à s’approprier l’anti-pub, se dénonçant elle-même comme usine à rêve en misant sur la mode de l’altermondialisme. L’artiste français L’Atlas le constate : « On se nourrit de la pub, qui elle-même se nourrit de ce que nous faisons, et le reprend (4)».
Le détournement s’annule dans une mise en abyme au carré, aggravée du soupçon qui pèse sur les intentions autopromotionnelles des artistes, dont l’activité dans la rue fait grimper la cote. Jacques Rancière rend un verdict plutôt sévère sur cet art dénonciateur : « Ce choc de la réalité et de l’apparence se trouve annulé dans des pratiques contemporaines du collage qui font de la protestation politique une manifestation de la mode jeune au même titre que les marchandises de luxe et les images publicitaires (5).» Les images elles-mêmes, qui se veulent radicales et choquantes, sont tout à fait supportables ; ce qui est devenu intolérable, pour Rancière, c’est le « flux d’images », le « régime d’exhibition universelle ». Même les publicitaires le disent : ainsi David Ogilvy, dans ses Confessions d’un publicitaire, annonce qu’il ira libérer le paysage des panneaux qu’il a lui-même érigé dès qu’il prendra sa retraite, et défie les jurés de son procès hypothétique de trouver à redire à une telle action d’utilité publique (6).
A quoi le détournement peut-il donc encore servir ? La solution tient-elle dans l’éradication de tout signe publicitaire, comme le suggère Ogilvy ? Modifier une publicité, c’est en quelque sorte la faire parler, ou en tout cas amorcer une discussion autour d’elle : de message à sens unique, elle devient un élément du dialogue de la rue.
4 Cité in Stéphanie Lemoine, In Situ, p. 95
5 Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, p. 94 et citations suivantes
6 David Ogilvy, Confessions of an Advertising Man, 1963, cité in No Logo, p. 3
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