Le graffiti s’est rapidement exporté hors des Etats-Unis et a profondément influencé les jeunes générations des années 1980 et 1990. Encore bien vivant aujourd’hui, il s’est mélangé à des pratiques in situ plus explicitement politisées ou à vocation plus ouvertement artistique et a ouvert la voie à une nouvelle génération d’artistes « publics », d’horizons, de formation et de motivations variées.
14. OakOak, 2010
Si le graffiti « moderne » consiste à écrire son nom de plume à la bombe ad libitum (ou ad nauseam pour ses opposants), la pratique a évolué dans son contenu et sa forme. On parle désormais de post-graffiti, ou néo-graffiti, pour désigner ce que Nicholas Ganz caractérise comme un « développement récent du graffiti, caractérisé par la multiplication d’approches novatrices, manifestant une plus grande attention aux formes et techniques qui excède la perception traditionnelle du graffiti classique (6)».
L’évolution vient en partie de la saturation. Pour se démarquer parmi cette multitude de signatures, des artistes développent d’autres formes de représentation : logotypes, comme les premiers « nuages » de ZEVS, ou personnages, comme Monsieur A, qu’André extrait de ses graffitis réalisés jusqu’alors pour le répéter à la même fréquence qu’un tag. D’autres ex-graffeurs, suite à des condamnations judiciaires ou tout simplement par lassitude, prennent du recul, comme par exemple Olivier Stak, qui date de 1995 son passage à « une réflexion par rapport à l’espace (7)».
15. Swoon, New York, 2007 (affiche)
D’autres techniques et influences entrent en jeu : les pochoirs, hérités des punks, permettent à Miss.Tic et Blek de dessiner des silhouettes plus épurées aux côtés de graffitis de plus en plus denses et colorés. Banksy crédite son passage de la bombe au pochoir à sa lenteur d’exécution : un pochoir, préparé à l’avance, est bien plus efficace pour laisser sa marque. Les affiches, ou wheat-pasting, aux formats variés, sont un moyen plus rapide et délicat de changer le paysage urbain. Ernest Pignon-Ernest, vétéran du genre, déclare :
J’aime la fragilité du papier, le caractère éphémère que ça affirme et cette réciprocité qu’il permet : je m’octroie le droit de couvrir la ville de centaines d’images, mais chacun peut les refuser, les déchirer, leur dégradation porte du sens aussi (8).
Coller une affiche est également moins dangereux car peindre sur les murs est passible de lourdes poursuites judiciaires : c’est ainsi que Blek explique son passage du pochoir à l’affiche – ou plutôt au pochoir sur affiche (9).
Le post-graffiti mélange les techniques, les matériaux, les genres et les influences pour créer de nouvelles formes d’intervention en ville, sauvages mais considérées, illégales mais respectueuses. La mosaïque, la photographie, les autocollants, la craie, les ballons, les fleurs, le ruban adhésif ou même les crottes de chien… les moyens d’expression sont tirés aussi bien de l’histoire de l’art que du quotidien urbain.
Quelle influence le graffiti a-t-il réellement sur cette scène contemporaine et peut-être sur l’art contemporain en général ? S’il y a peut-être un apport à retenir, c’est celui de la reconnaissance de l’ « école de la rue » : certains artistes ont appris leur métier en graffant quotidiennement, en étudiant les styles et techniques trouvés sur les murs, mais aussi dans les livres et films sur le graffiti. Cette éthique autodidacte va de pair avec l’anonymat et l’utilisation de pseudonymes : l’artiste ne veut plus être reconnu en tant qu’artiste par son parcours institutionnel, mais uniquement par son art.
6 Nicholas Ganz, Planète Graffiti, p. 374
7 Cité in Stéphanie Lemoine, In Situ, p. 51
8 Ibid., p. 23
9 Ibid., p. 62
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