Le droit d‘ingérence est la reconnaissance du droit des États de violer la souveraineté nationale d‘un autre État, en cas de violation massive des droits de l‘homme. Le devoir d‘ingérence, quant à lui, est conçu comme plus contraignant. Il désigne l‘obligation morale faite à un État de fournir son assistance en cas d‘urgence humanitaire. Ni le droit, ni le devoir d‘ingérence n‘ont d‘existence dans le droit humanitaire international. L‘ingérence elle-même n‘est pas un concept juridique défini. Au sens commun, il signifie intervenir, sans y être invité, dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d‘un État(25).
La notion d‘ingérence humanitaire est ancienne. Elle reprend et élargit la notion d‘intervention d‘humanité qui, au XIXème siècle autorisait déjà une grande puissance à agir dans le but de protéger ses ressortissants ou des minorités (religieuses par exemple) qui seraient menacées. Dans De Jure Belli ac Pacis (1625), déjà, Hugo Grotius(26) avait évoqué un ―droit accordé à la société humaine‖ pour intervenir dans le cas où un tyran ―ferait subir à ses sujets un traitement que nul n‘est autorisé à faire‖.
L‘idée d‘ingérence humanitaire a été ranimée au cours de la guerre du Biafra (1967-1970) au Nigeria pour dénoncer l‘immobilité des chefs d‘États et de gouvernements face à la terrible famine que le conflit avait déclenchée, au nom de la non-ingérence. C‘est sur cette idée que se sont créées plusieurs ONG, dont Médecins sans frontières, qui défendent l‘idée qu‘une violation massive des droits d‘homme doit conduire à la remise en cause de la souveraineté des États et permettre l‘intervention d‘acteurs extérieurs, humanitaires notamment.
La théorisation du concept date des années 1980. Le philosophe Jean-François Revel fut le premier à évoquer le « devoir d‟ingérence » en 1979 dans un article du magazine français l‘Express en 1979(27) consacré aux dictatures centrafricaine de Jean-Bedel Bokassa et ougandaise d‘Idi Amin Dada. Le terme fut repris par le philosophe Bernard-Henri Lévy l‘année suivante à propos du Cambodge et reformulé en « droit d‘ingérence » en 1988(28), au cours d‘une conférence organisée par Mario Bettati, professeur de droit international public et Bernard Kouchner, homme politique français, ancien représentant spécial des Nations Unies au Kosovo et l‘un des fondateurs de Médecins sans frontières. Bernard Kouchner en a été le principal promoteur et Mario Bettati a participé à la diffusion de ce concept dans les cercles onusiens notamment(29).
Le concept de droit d‘ingérence entend dépasser les définitions restrictives traditionnelles de la souveraineté pour imposer un « devoir d‘assistance à peuple en danger ». Ainsi la doctrine du « droit d‘ingérence » entend subordonner la souveraineté des États interprétée comme « une sorte de mur à l‟abri duquel tout peut se passer » selon Bernard Kouchner à une « morale de l‟extrême urgence » visant à protéger les droits fondamentaux de la personne. Le droit d‘ingérence s‘inscrit dans un cadre plus large de la redéfinition d‘un ordre mondial idéalement régi par des principes de démocratie, d‘État de droit et de respect de la personne humaine. Il tend à une moralisation des relations internationales.
Le droit d‘ingérence a placé sur le devant de la scène politique les questions humanitaires. Il a eu un large écho auprès des ONGs, dans les médias et auprès du grand public. Mais il a aussi de nombreux détracteurs et ont alimenté un vif débat parmi les humanitaires et les juristes.
C‘est pour la première fois au nom du droit d‘ingérence que plusieurs États occidentaux sont intervenus au Kurdistan irakien en avril 1991 après que le Conseil de sécurité ait invoqué une « menace contre la paix et la sécurité internationales » (résolution 688 du Conseil de sécurité). Cependant, les interventions humanitaires qu‘il s‘agisse de l‘opération « Restore Hope », menée en Somalie à partir de la fin 1992 (résolution 794), l‘opération Turquoise menée par la France au Rwanda en 1994, ou encore les interventions armées en Bosnie-Herzégovine en 1994-1995, au Liberia, en Sierra Leone, en Albanie en 1997 ou l‘envoi d‘une force d‘intervention de l‘OTAN au Kosovo en 1999 révèlent également l‘ambiguïté et la complexité d‘interventions parfois autant militaire qu‘humanitaire
25 Operationspaix.net.- Droit et Devoir d‘Ingérence.- http://www.operationspaix.net/Droit-et-devoir-d-ingerence, déjà cité
26 Hugo Grotius.- Droit accordé à la société humaine.- http://www.lonang.com/exlibris/grotius/
27 Operationspaix.com.- Devoir et droit d‘ingérence.- http://www.operationspaix.net/Devoir-et-droit-d-ingerence,7285
28 Voila.vorum.fr, Altermondialistes.- Devoir et droit d‘ingérence.- http://forums.voila.fr/messages/index/28000/altermondialistes-devoir-et-droit-d-ingerence.html
29 Vuesdumonde.forumactif.com.- Le droit d‘ingérence s‘installe.- http://vuesdumonde.forumactif.com/t6715-quai-d-orsay-kouchner-le-droit-d-ingerence-s-installe
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