Dans Les bienfaits des images, le psychanalyste Serge Tisseron propose de considérer l’image comme un pharmakon : ni bonne ni mauvaise, elle est cure et poison à la fois, selon l’utilisation qu’on en fait, la dose utilisée, la sensibilité du patient et le moment de l’administration. Toute fiction – et la fiction publicitaire, en théorie, n’en est pas exclue – fonctionne comme une respiration psychique, en nous permettant de « suspendre provisoirement le sentiment de la réalité » et de « le réintroduire à volonté (7)». Cette respiration implique-t-elle qu’il faut encore pouvoir distinguer fiction et réalité ? Serge Tisseron dit pourtant que nous créons nous-mêmes cette confusion, cet « aller-retour entre y croire et ne pas y croire », pour que les images servent nos projets. Pour que ce mouvement soit fonctionnel, pour conserver la distance nécessaire, il est essentiel de percevoir le cadre de l’image. Lorsque ce cadre n’est pas visible, ou que sa perception est brouillée par la juxtaposition d’images fictives et réelles, trois mécanismes peuvent nous aider à comprendre l’image plutôt qu’à en être victime : la prise en compte du contexte ; la capacité du spectateur à transformer les images, à les apprivoiser et à gérer ses propres émotions ; et le lien social autour de l’image, le dialogue avec d’autres.
29. Epoxy, Mr. Talion, Baveux & Kone, Don’t forget…, Berlin, 2009 (barre d’outil Photoshop collée sur affiche)
Le soupçon que le détournement fait peser sur la publicité, s’il peut se retourner contre lui-même, n’en est pas moins effectif ; et si l’on considère que son objectif n’est pas de démolir entièrement la machine capitaliste mais plutôt de normaliser le discours publicitaire en dénonçant les mensonges perçus comme insultants ou dangereux par des artistes-consommateurs vigilants, il n’est probablement pas loin d’être atteint.
Recadrer l’image peut en faire apparaître la fiction : par exemple en ajoutant les barres d’outils du logiciel Photoshop autour du portrait promotionnel d’une chanteuse pop, on démontre ou rappelle qu’elle n’est qu’un produit, visuel et sonore, une entité imaginaire, qui peut faire rêver, mais à la manière d’une princesse de conte de fée, et non comme un idéal humainement atteignable [29].
L’intérêt de l’intervention, c’est donc sa dimension de réponse, quelque soit le moyen choisi pour l’exprimer ; et le résultat espéré, faute d’une réduction des signes publicitaires dans les lieux publics, est à la fois une sensibilisation du reste du public et un rappel à l’ordre pour les publicitaires. C’est la conclusion de Serge Tisseron sur le rôle des images humoristiques comme médicament social : « Apprendre à rire et plaisanter des images qui malmènent est un moyen de choix .(8)» L’image détournée est destinée à être commentée, « c’est-à-dire à créer une forme de socialisation ».
7 Serge Tisseron, Les Bienfaits des images, p. 16
8 Serge Tisseron, Les bienfaits des images, p. 221-222 et citation suivante
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