1.3.3.1-L’interactivité du geste : la pensée du clic
Nous avons mentionné cette interactivité du geste fondée sur la pensée du clic. Le webdocumentaire est envisagé comme un espace au cœur duquel l’internaute peut se mouvoir à sa guise.
Ce déplacement s’effectue par le biais de l’action qui consiste à cliquer des éléments. Dès lors il y a une véritable mise en scène des possibilités d’interaction. Cette mise en scène se matérialise selon différents procédés. Nous pouvons en distinguer cinq principaux : les couleurs, le changement d’état d’un signe lorsque le curseur passe sur ce signe, les flèches, le mouvement des images et ce que nous avons nommé ”l’appel au clic”
Dans le webdoc Adieu Camarades, l’appel au clic est explicite(67).Par le biais de cet appel au clic s’instaure un dialogue entre l’internaute et l’auteur. L’auteur se manifeste et incite l’individu à entrer de le web-documentaire. Au cœur du web-documentaire, d’autres éléments prennent le relais. Dans le cas de Adieu Camarades, un système de couleurs attire l’attention de l’internaute sur la frise chronologique(68). Ce type de dispositif repose sur la curiosité de l’internaute ainsi que sur sa culture du web. Tout élément n’est pas nécessairement cliquable. Ce sont certains codes qui dirigent le regard de l’internaute. Le web-documentaire historique a la particularité de générer des codes qui lui sont propres. En effet, la frise chronologique et la carte sont deux supports récurrents des webdocumentaires historiques. Ces supports sont généralement cliquables et permettent d’accéder à d’autres contenus ou pages. Le web-documentaire 17.10.61 offre un exemple d’une carte interactive(69) qui permet d’accéder aux différents récits en fonction des lieux cliqués. Tout comme la frise chronologique, la carte devient un élément naturellement cliquable. Aux dimensions didactique et esthétique se surimpose une dimension technique. Le web-documentaire naturalise cette dimension. Il en va de même pour les flèches. Ces dernières sont un élément essentiel du balisage du web-documentaire. Elles sont dotés d’une triple fonction : établir un contact voire un dialogue avec l’internaute, générer une sensation de profondeur ou d’étendu du webdoc et dynamiser la lecture. Nous pouvons parler d’un dialogue ou d’un contact avec l’internaute car chaque flèche(70) représente une promesse, faite au lecteur, de découvrir d’autres éléments et d’autres contenus. C’est seulement l’action de l’internaute qui va activer cette promesse. Cela nous amène à faire un lien avec la notion d’entéléchie pensée par Aristote. La distinction entre puissance et acte permet d’illustrer le processus en cours dans un webdoc. Tout est possibilité, potentialité, puissance. Seul l’internaute active. Bien que ce processus soit identique pour la littérature, le web-documentaire matérialise et permet de visualiser ce passage entre puissance et acte. Enfin, les images sont l’ultime élément sur lequel repose la pensée du clic. Dans le cas du webdoc Berlin 1989, souvenirs d’un monde d’hier, la mise en scène particulière se construit sur un mouvement perpétuel(71) des contenus vidéos. Ce mouvement se réalise sur un axe perpendiculaire à l’écran. Ces mouvements continuels d’apparitiondisparition font que l’internaute a l’impression que les images se dirigent vers lui. Ce sont donc autant d’appels au clic, à l’action. D’autant plus que lorsque l’individu glisse le curseur sur ces images, le flux interrompt. Ainsi chaque lecteur a un certain pouvoir sur ce mouvement et par conséquent sur le dispositif.
Les cinq dispositifs cités ci-dessus sont les éléments les plus récurrents qui permettent de comprendre cette pensée du clic. Ils engagent l’internaute dans une démarche interactive fondée sur l’action puisque chaque geste de l’internaute aura une conséquence sur le dispositif et sur le parcours de lecture.
Toutefois, l’interactivité n’existe que si l’internaute a conscience que son action peut engendrer une modification. La difficulté réside ainsi dans le fait d’expliciter de manière subtile la démarche. D’autres formes d’interactivité sont à l’œuvre dans le web-documentaire historique.
1.3.3.2-L’interactivité intellectuelle
Le web-documentaire historique est une succession de contenus et de silence. Dans un article(72) consacré au web-documentaire, Thomas Constant livre l’idée selon laquelle la figure du journaliste est vidée de sa substance pour que l’internaute comble. L’internaute doit ainsi pallier à un manque du fait de la délinéarisation du récit. Il a à sa disposition certains outils que nous venons de citer.
Dans le cas du web-documentaire historique, une autre dimension de l’interactivité est à l’œuvre : l’intellect. Ce type de production mécanique nécessite une pensée associative. Devant la quantité et la diversité des contenus proposés, l’internaute n’a d’autres choix que de développer une pensée associative. Certains web-documentaires inscrivent ce mode de pensée au sein même du dispositif.
Le webdoc Les combattants de l’ombre met en évidence cette pensée en proposant une carte(73) des contenus. Ce dispositif est une sorte de carte mentale de la pensée associative. Chaque contenu est classé selon les thématiques ou selon les pays et les contenus ayant été visionnés sont signalés. L’association des documents est ainsi matérialisée.
Nous estimons que la pensée associative fait partie de la démarche interactive car sans elle le webdocumentaire historique ne peut être visionné. La dimension technique (la pensée du clic) ne peut à elle seule suffire à mobiliser l’internaute. En cela réside une autre différence vis à vis du documentaire historique télévisé où le récit linéaire ne stimule pas de pensée associative ou du moins la stimule dans une moindre mesure.
A travers l’analyse de discours, nous avons décelé trois promesses majeures sur lesquelles reposent la création et la production de web-documentaires historiques. Ainsi, ce triple constat nous a amené à penser notre objet d’étude, à savoir le web-documentaire historique, par le prisme de ces promesses. Notre hypothèse avançait que les web-documentaires et en particulier ceux qui ont trait à l’histoire proposent un contrat de lecture inédit. Malgré les nuances que nous avons souligné, nous pouvons affirmé que le web-documentaire repense en partie l’usage du documentaire et du média en général. D’une part, il y a une véritable volonté de proposer une nouvelle approche du documentaire historique par le biais de la déconstruction des formes narratives et de l’interactivité. Ensuite, nous soulignons l’intention de repenser les structures narratives du documentaire. Enfin, et cela est liée aux deux précédent constats, le web-documentaire est un dispositif médiatique qui implique des pratiques médiatiques inédites.
Nous émettons l’idée qu’il s’agit essentiellement de promesses et d’imaginaires qui découlent de la création de web-documentaires. Ces promesses s’incarnent dans des dispositifs concrets tels que les web-documentaires qui composent le corpus. Toutefois, nous préciserons que la réalisation de ces promesses n’est pas complète. Ce constat découle de l’observation, dont nous avons fait état, des divers web-documentaires historiques. Une telle réalité s’explique en partie que ce genre médiatique est en phase d’expérimentation. Nous ajouterons que bien que ces promesses ne soient pas entièrement réalisées, il n’en reste pas moins que les pratiques médiatiques subissent des modifications profondes. La réalité et la nature de ces bouleversement des pratiques médiatiques induites par le web-documentaire vont être l’enjeu de la deuxième partie de ce travail de recherche.
67 Annexe 4
68 Annexe 5
69 Annexe 8
70 Annexe 7
71 Annexe 6
72 CONSTANT, Thomas, Web-documentaire, jouer au petit journaliste,
[Disponible en ligne : http://webdocu.fr/webdocumentaire/2012/01/16/webdocumentaire-jouer-au-petit-journaliste/]
73 Annexe 9
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