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1.6. Cadre théorique

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Pour asseoir notre recherche sur une assise théorique, il nous a paru adéquat de la situer dans le cadre de la théorie générale de la tension (TGT) (General strain theory).

L’adoption de cette théorie nous a semblé d’autant plus défendable qu’elle a déjà servi de soubassement théorique à d’autres recherches ayant étudié la tricherie académique telles que (Brezina, 2000 ; Vowell et Chen, 2004). Pour expliquer la malhonnêteté académique, Vowell et Chen, ibid., p.229), croient ferment que « […] la théorie générale de la tension pourrait spécialement y contribuer ». (Notre traduction).

Bien que cette théorie ait été initiée pour analyser et expliquer la criminalité, elle a également été appliquée pour élucider d’autres comportements non criminels tels que, la délinquance juvénile (Agnew et White, 1992), la conduite en état d’ébriété (Capowich, Mazerolle et Piquero, 2001), le comportement du (binge/purge)(8) chez les filles (Sharp, Terting-Watt, Atkins, Gilliam et Sanders, 2001) et bien entendu la tricherie académique. En intégrant les modèles de ses prédécesseurs tels que celui de Merton (1938) et

Cloward et Ohlin (1960), Robert Agnew (1992), propose une théorie générale de la tension(9) pour expliquer les comportements déviants parmi toute la population notamment celle des adolescents. (Marsden, 2008) La TGT focalise sur les diverses sources de tension consécutive à des relations négatives(10) à autrui, et argue que les comportements déviants résultent de l’expérience de la tension ou « stresseurs » (Agnew, 2006, p.101) et l’échec à gérer de manière légitime les émotions négatives, plus spécialement la colère et la frustration. (Begue, 2004) Ceux qui, parmi les jeunes, expérimentent ces tensions, sont plus enclins à s’engager dans des conduites déviantes, telles que la tricherie académique, que les autres qui ne les ont pas vécues. (Siegel et Welsh, 2009) En fait, le recours au comportement déviant ou illégitime est une espèce d’exutoire pour réduire ou échapper aux tensions suscitées (vol, triche, vengeance…) ou atténuer les émotions négatives qui en résultent (drogue, vandalisme…). (Agnew, 2006)

1.6.1. Types de tension :

Agnew précise que les états affectifs négatifs (negative affective states) impliquant les comportements déviants sont générés par trois grandes catégories de tension (Strains) référant chacune à un type de relation négative à autrui :

– La première est l’échec dans l’atteinte de buts positivement valorisés (buts idéals). Cette catégorie de tension englobe elle-même trois sous-types de tensions : le premier sous-type est l’accomplissement des aspirations (Achievement of aspirations). La tension est ressentie lorsque l’individu se trouve incapable d’atteindre des buts culturellement prisés.

L’individu vit une rupture entre aspirations et accomplissements. (Siegel et Welsh, ibid.) Ainsi, un étudiant aspirant à étudier la médecine (but idéal) et qui entrevoit que son but risque de ne pas se réaliser, car ses notes ne le lui permettraient pas (accomplissement), peut réagir à la tension suscitée par un comportement déviant comme la triche en examen.

Le deuxième sous-type est l’accomplissement des attentes (achievement of expectations). En effet, les buts attendus sont beaucoup plus réalistes que les buts espérés ou à qui on aspire. Aussi les individus sont-ils fermement éperonnés pour les accomplir. En cas d’échec, l’individu, notamment quand il se compare aux pairs financièrement ou socialement avantagés, se voit submergé d’émotions négatives comme la colère, le ressentiment et la déception. (Marsden, op.cit.) Relativement à la malhonnêteté académique, un étudiant qui se voit échouer à atteindre des objectifs attendus, tels qu’avoir une très bonne note dans une matière ou module pour des raisons qu’il croit injustes, peut se résoudre à faire du copier-coller pour y arriver.

Le troisième sous-type, est le sentiment d’injustice associé à une interaction sociale. Quand c’est le cas, particulièrement lorsque l’individu ressent qu’il n’a pas été suffisamment récompensé pour l’effort déployé, la colère s’installe. Par conséquent, il se voit pressé pour entreprendre une action corrective via l’acte déviant pour, optimiser ses gains, réduire ses pertes et réduire le gain des autres. Begue (op.cit., p.94) précise justement qu’ « […] une étude de K.R. Scherer (1997), réalisée dans 37 pays, a montré que la colère est l’émotion la plus fortement associée à l’injustice ». Elle stimule en effet le désir de représailles, pousse l’individu à l’action et amenuise l’inhibition. (Agnew, 1992) L’exemple d’une conduite académique malhonnête, associée à la tension (strain) du sentiment d’injustice, serait le cas d’un étudiant qui, devant un enseignant qui a la réputation d’être parcimonieux en notes envers les étudiants qui ne respectent pas sa méthode de rédaction ou un courant de pensée qu’il adopte, n’aurait pas de scrupules à faire un plagiat, tel que réutiliser un travail qui a déjà été fait, attendu qu’il réponde aux exigences du dit enseignant. Le sentiment de culpabilité généralement associé à la malhonnêteté académique est atténué quand l’étudiant pense que l’injustice essuyée justifie sa réaction. (Begue, ibid.)

– La deuxième catégorie de tension est la perte de stimuli positifs (loss of positively valued stimuli).Cette tension (strain) est connectée à l’enlèvement actuel ou anticipé d’un stimulus positif de l’individu. Cela peut être la perte d’un être aimé, le divorce des parents, le changement de ville ou d’école. (Begue, op.cit.) Dans le cas d’un étudiant, la dite tension serait le corollaire, à titre d’exemple, de la sortie du cocon familial vers l’environnement impersonnel de l’université. (Marsden, op.cit.)

– La troisième et dernière catégorie est la confrontation à des stimuli négatifs (presentation of negative stimuli). Dans cette catégorie peuvent figurer l’abus, la punition physique, l’insulte, l’échec scolaire, les conflits familiaux, conflits avec les pairs…(Siegel et Welsh, op.cit.) Dans le contexte universitaire, l’engendrement de cette tension pour un étudiant pourrait être attribué à une mauvaise note, l’échec d’un module ou pression occasionnée par la peur de l’échec ou encore une mauvaise relation avec le corps enseignant. (Godfrey et Waugh, 1998) Etre exposé à un stimulus négatif, augmente la colère de l’étudiant et le conduit à se conduire d’une manière inappropriée. Begue (op.cit.), souligne effectivement que « […] la colère apporte une incitation intense à agir, par exemple par la vengeance ».

Où, l’une ou l’autre des trois catégories de tension est présente, l’acte déviant pour se produire, pour atténuer l’acuité de la tension en cherchant à réaliser les buts positivement valorisés, à protéger et pérenniser les stimuli positifs et à mettre un terme ou échapper aux stimuli négatifs. (Agnew, 2001) Toutefois, force nous est de souligner que tous les étudiants universitaires n’expérimentent ni répondent aux tensions de la même manière. (Marsden, op.cit.). En effet, les stratégies de gestion de la colère engendrée par les tensions (strains) varient d’une personne à l’autre. Tandis que certains arrivent à faire face à la colère positivement, et dans ce cas, la déviance est éludée, d’autres n’arrivent pas à la canaliser et l’acte déviant prend place. (Tibbetts et Hemmens, 2010)

Figure 1.1. Ci-après une figure résumant la théorie générale de la tension

Ci-après une figure résumant la théorie générale de la tension

Modèle de la théorie générale de la tension (TGT). (Notre traduction).
Source : (Tibbetts et Hemmens, 2010, p.335)

Les effets de la tension sur l’acte déviant sont déterminés aussi bien par les caractéristiques de la personnalité de l’individu que par la nature de la tension ressentie.

Hoffman et Miller (1998), précisent à cet égard, que les individus ayant un niveau élevé d’estime de soi et de sentiment d’efficacité personnelle arrivent à atténuer assez facilement les effets des tensions, et par conséquent n’y répondent pas par des conduites déviantes.

Parallèlement, il a été démontré que la présence de pairs déviants est un facteur exacerbant les tensions et incitant à la déviance. (Agnew et White, 1992) La littérature sur la triche académique corrobore, par ailleurs, cette assertion en mettant en exergue l’influence des pairs quant à la décision de tricher. (McCabe et Trevino, 1993).

1.6.2. Caractéristiques de la tension pouvant conduire à l’acte déviant :

Agnew (1992), énumère quatre caractéristiques associées à la tension pouvant engendrer l’acte déviant :

– La tension est perçue comme injuste : l’individu la perçoit comme telle quand elle implique la violation volontaire et délibérée d’une certaine norme de justice. C’est le cas d’un étudiant qui se voit accordé une mauvaise note par un enseignant pour un devoir fait à l’identique par un camarade qui, lui, en reçoit une meilleure note. La dite note comme le dit Begue (op.cit., pp.49-95), « […] n’aura une incidence sur le sentiment d’injustice que si la notation est perçue comme inéquitable ».

– La tension est perçue comme intense : Elle renvois à l’amplitude(11) perçue de la tension. L’impact d’une tension intense n’est pas aisément minimisable et inhibe la capacité de l’individu à gérer la tension ressentie. L’amplitude de la tension est stérée par son intensité (un sévère abus physique par exemple), sa durée, sa récence, sa fréquence et sa centralité(12) (Agnew, 2010)

– La tension est associée à un faible contrôle social(13) : une tension associée à un contrôle social faible ou relâché aura plus de probabilité à aboutir à un comportement déviant qu’une autre associée à un contrôle ferme ou élevé. La tension issue d’une discipline parentale erratique (contrôle relâché) sera plus incitative à la déviance qu’une tension relative à un blocage inhérent à la réalisation d’une tâche scolaire, car le contrôle social qui lui est associé est fort élevé. (Begue, op.cit.) Par ailleurs certains individus, s’abstiennent de la déviance, nonobstant la tension, parce qu’ils ont de forts liens affectifs
avec leur proche entourage (leurs parents ou enseignants). Ils craignent de mettre en péril ses liens via l’acte de déviance. (Agnew, 2010)

– La tension peut inciter à s’engager dans une conduite déviante : les pressions à opter pour une résolution déviante varient selon les tensions. Certaines sont facilement résolues par l’acte déviant que d’autres. Parmi un large éventail de tensions incitatives à la déviance (le plagiat électronique par exemple), figurent les expériences universitaires négatives, telles que des notes médiocres, traitement négatif des enseignants, sentiment d’ennui ou de perte de temps. (Agnew, ibid.)

Il ressort donc que la théorie générale de la tension (TGT), peut être appliquée au plagiat électronique lorsque l’étudiant fait l’expérience d’émotions négatives consécutives à l’une des catégories de tensions susmentionnées, notamment quand elle est associée à des caractéristiques incitatifs à l’acte déviant. Le plagiat électronique peut alors être un raccourcis pour l’étudiant, pour atteindre ses objectifs quand les canaux légitimes échouent de le faire, ou sont perçues comme tels.

8 Binge/purge : c’est une espèce d’anorexie avec crises de boulimie. La personne peut, durant les crises de frénésie boulimique, s’empiffrer de grandes quantités d’aliments (Binge), puis tout de suite après, elle régurgite ce qui a été mangé ou prend des laxatifs pour se vider complètement (Purge).
9 La tension (strain) : réfère aux énervements et aux conditions non aimés de l’individu. Ce sont des relations négatives à autrui du point de vue de la personne. Sous cet angle, les relations négatives sont tout ce que les individus disent qu’elles sont. En d’autres termes, il y’a autant de relations négatives que de personnes. (Agnew, 1992).
10 Relations négatives à autrui (negative relationships with others) : ce sont des relations où les autres ne traitent pas l’individu expérimentant la tension comme il aurait aimé être traité. (Agnew, 1992)
11 L’amplitude (Magnitude) : quand il s’agit du non atteint des buts positivement valorisés, elle réfère à l’écart entre les buts de l’individu et la réalité, quand il est question de la perte de stimuli positifs, elle réfère à la quantité perdue. Par contre quand il s’agite de la confrontation aux stimuli négatifs, elle renvoie à la masse de peine ou d’inconfort infligés. (Agnew, 1992)
12 Centralité : C’est-à-dire elle menace les objectifs centraux, essentiels et importants de l’individu, comme ses valeurs, ses besoins, ses activités, son identité sociale. (Agnew, 2010) 13 Contrôle social : réfère aux facteurs sociaux qui empêchent les individus à s’engager dans des actes répréhensibles et illégaux. (Agnew, ibid.)

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