Plusieurs femmes dans les films sont puissantes, des femmes de pouvoir, dans des positions où elles dirigent les hommes. Elles ont des qualités traditionnellement vues au Japon comme « viriles » : courage, force, capacité à se battre. Celles-ci sont représentées par des personnages tels que Nausicaä et Princesse Kushana dans Nausicaä de la vallée du vent, San, Dame Eboshi et les femmes du village des forgerons dans Princesse Mononoké, Dora dans Le Château dans le ciel, Gran Mamare dans Ponyo sur la falaise ou encore Yûbaba, dans le Voyage de Chihiro.
Plusieurs scènes permettent de voir un véritable renversement des rôles traditionnels : les femmes au lieu d’être dominées, sont en position de commandement, ou tout simplement, dans une position de supériorité dans leur couple, ou avec leurs enfants par exemple.
Nausicaä, héroïne de Nausicaä de la vallée du vent, fait partie de ces femmes de pouvoir. De nombreuses scènes la montrent dans ce rapport de domination sur les hommes.
Le personnage de Nausicaä, première héroïne féminine de la filmographie de Miyazaki, est un personnage fascinant car on pourrait la voir comme le porte-parole des femmes de l’époque de la sortie du film, les années 1980. Alors que la career woman fait son entrée dans le monde du travail, un personnage féminin porte sur ses épaules un film dont elle est la véritable héroïne, au milieu d’un monde d’hommes. Nausicaä est à elle seule le pilier d’une histoire située dans un monde apocalyptique, violent ; elle est la voix du réalisateur protestant contre la violence, contre les technologies.
Nausicaä est un personnage intelligent. Elle découvre seule comment sauver son peuple de la destruction, en étudiant les plantes de la forêt toxique. Lors d’une scène avec son mentor, maître Yupa, elle explique qu’elle a trouvé comment rendre aux plantes leur pureté, et qu’il est inutile de détruire la forêt. Seule à connaître cette vérité, elle doit affronter les désirs de destruction de son peuple et des peuples voisins. Tout son travail durant le film sera d’arriver à convaincre les autres. Maître Yupa est alors étonné qu’une jeune fille ait pu penser à prélever des échantillons de plantes, les analyser, et découvrir un antidote. Preuve qu’il est étonnant qu’une fille soit capable d’en savoir plus que ses aînés, et surtout, que les hommes du village, il s’exclame, admiratif : « Tu as découvert ça toute seule ? »
La première scène où nous découvrons Nausicaä est celle d’une de ses excursions dans la forêt toxique. Masquée, habillée comme un homme, nous voyons une jeune fille athlétique, prélevant des échantillons de plantes pour ses expériences botaniques. Elle parcourt la forêt avec agilité, manie l’épée.
Seule dans la forêt, habillée pour l’aviation et armée lors de ces excursions, dans Nausicaä de la vallée du vent (00 : 05 : 48)
Nausicaä étant princesse d’une vallée, elle a les responsabilités qui incombent à sa position, son père étant malade. Supposée être sous la tutelle de Mito, son oncle, c’est plutôt elle qui lui donne des ordres. En effet, Nausicaä, tout au long du film, se révèle capable de diriger ses hommes comme le ferait le chef d’une armée ; la mise en scène de Miyazaki permet également de la voir comme supérieure aux hommes, censés être plus expérimentés qu’elle. Elle est toujours représentée en mouvement, active, maniant les armes, sur les lieux d’action. Dans certaines scènes, elle donne des ordres, faiblement contestés, et se fait respecter par ses hommes. Elle est également souvent placée en hauteur dans les plans, ce qui lui donne ainsi une image de supériorité, de pouvoir. Ce type de mise en scène se vérifie par exemple lors de la scène de l’arrivée du vaisseau de Pejite au-dessus du village. Nausicaä est la première prévenue, avant Maître Yupa- pourtant figure importante du village- et se lance à la poursuite du vaisseau, seule. Nous la voyons placée en hauteur sur ce plan, observant le vaisseau et lançant l’ordre de préparer son planeur.
Nausicaä en première position, crie ses ordres aux hommes du village, dans Nausicaä de la vallée du vent
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L’une des dernières scènes du film montre également son courage, sa capacité à se servir des armes et intimider les hommes. Dans cette scène, Nausicaä tient en joue deux hommes qui l’ont auparavant attaquée, sans succès, elle les menace de les tuer s’ils interviennent dans sa mission.
Dans la première séquence, les hommes apparaissent comme totalement soumis et vulnérables devant l’arme de Nausicaä. Le plan 1, plan moyen, montre, au premier plan, l’arme tenue par la jeune fille vue de dos, puis au second plan, les deux hommes agenouillés devant elle.
Le plan 2 montre ensuite la scène sous un autre angle : les hommes vus de dos au premier plan, et en arrière-plan, Nausicaä en hauteur. Nous découvrons que cette arme est tenue par Nausicaä. Cette mise en scène permet de montrer le pouvoir de Nausicaä à cet instant précis, les deux hommes se trouvant en bas du champ.
Nausicaä peut avoir ce rôle de chef car elle est révérée par ses sujets. Lors d’une scène où l’une des villageoises présente son bébé à Maître Yupa, celle-ci dit : « Puisse-t-elle avoir autant de force et de courage que notre princesse ».
(01 : 41 : 01) Nausicaä menace deux ennemis ; sa position, en haut du cadre, montre sa position de supériorité et son pouvoir sur les deux hommes forcés de se rendre, dans Nausicaä de la vallée du vent
Un autre personnage de pouvoir, avec une capacité de domination sur les hommes, est Princesse Kushana, une rivale de taille pour Nausicaä. Elle est rousse, comme l’est Nausicaä ; athlétique également et à la tête d’une armée ; donc habile avec les armes et douée pour le commandement.
Il s’agit d’un personnage très puissant et d’une grande ténacité. Mutilée par les insectes de la forêt, elle leur voue une grande haine et assouvit son désir de vengeance en prétextant sauver la planète, avec la destruction de la forêt et des insectes. Sans pitié, ce n’est pas un personnage difficile à cerner puisqu’elle dévoile très vite son tempérament meurtrier, ses idées destructrices, et son manque de gratitude. En effet, après avoir été sauvée par Nausicaä, pourtant son ennemie, alors que son vaisseau partait en flammes, elle profite d’un instant de distraction de cette dernière pour la menacer de son arme.
Contrairement au personnage de Dame Eboshi, version plus complexe de ce type de personnage, Princesse Kushana n’a pas vraiment de facette plus positive ou complexe.
A l’instar de Nausicaä, la mise en scène montre Kushana comme un personnage puissant, puisque souvent placée en hauteur dans les cadres. Le plan en contre-plongée, la montrant en position de toute puissance, tout en haut du cadre, la positionne bien au-dessus de son général, Kurotawa. Le canon au-dessus duquel elle se tient symbolise également sa soif de destruction, sa volonté d’entrer en conflit. Elle est également montrée sous des angles donnant une impression encore plus négative sur son personnage : par exemple, l’une des scènes la montre en position à demi allongée, comme sur un trône, dans une pièce de couleur rouge. La couleur rouge met en valeur sa soif de sang, sa violence, sa négativité. L’allusion au trône, avec sa position et la place des « sujets », lui faisant face, dos à nous, montrant à la caméra uniquement le visage de Kushana, suggère un personnage avide, sans pitié, avec une grande soif de puissance.
Princesse Kushana est montrée comme une femme dure. Lors d’une scène où elle interroge de vieux villageois de la Vallée du vent, la mise en scène suggère une grande vulnérabilité chez eux ; Kushana au contraire, est placée au-dessus d’eux, dos à la caméra, maîtresse de cette vue plongeante sur les hommes.
Le rôle de femme de pouvoir « ennemie » de l’héros/héroïne semble avoir été repris dans Princesse Mononoké. Les films Nausicaä de la vallée du vent et Princesse Mononoké suivent en effet tous deux un scénario similaire : une héroïne forte face à une femme puissante, son ennemie. Dame Eboshi, que nous savons être notre anti-héroïne désignée dans Princesse Mononoké, est cependant difficile à détester totalement et à ranger dans la catégorie des « méchantes ». C’est un personnage plus complexe que celui de Kushana dans Nausicaä de la vallée du vent. Elle force l’admiration par sa beauté, son élégance, sa force, son pouvoir, sa témérité ; mais aussi par son côté humain, social.
En effet, s’occupant des lépreux, ou en réintégrant des anciennes prostituées dans la société, elle rend à ceux-ci une utilité, une place dans la société. En leur rendant une raison de vivre et une identité, Dame Eboshi inspire le respect de valeurs positives et humaines. Mais il s’agit également d’une femme très puissante, dégageant d’ailleurs cette impression par son physique, mais aussi son comportement. Ses habits paraissent précieux, élégants, nobles. Elle inspire l’idée de richesse, de pouvoir. Mais son pouvoir se voit également par la position qu’elle occupe au sein du village des forgerons, village qu’elle a crée. De nombreuses scènes rendent compte de sa puissance, et surtout de sa domination sur les hommes du village.
La première vision que nous avons de Dame Eboshi est celle d’une femme froide, voire cruelle. On voit dès sa première apparition dans le film qu’il s’agit d’une femme de pouvoir. La première scène où nous la voyons est celle des coups de feu entre les hommes du village des forgerons et les Dieux loups de la forêt. Celle-ci mène sa troupe à travers un sentier à pic avec Gonzo, son second. Dans le premier plan de cette scène, nous avons une vue générale sur le sentier et les hommes accompagnés de bœufs, portant du riz. La pluie tombe fortement, rendant la scène sombre. Un homme et une femme se tiennent debout, sans bouger, du côté droit du sentier. Ils surveillent manifestement la troupe.
Dans le second plan, le plan américain sur ces deux personnages nous montre au premier plan, un homme à l’aspect bourru. Il semble être là en tant que bras droit, portant les lourdes armes sous la pluie, plutôt qu’en chef. En effet, il ne dit pas un mot, c’est la femme se trouvant au second plan qui donne un ordre : « Plus tôt nous ramenons ce riz, plus tôt nous aurons mangé, bougez ! ». Cette femme qui est, nous l’apprenons par la suite, Dame Eboshi, est le chef de ce convoi. Elle est très calme, donne les ordres d’un air détaché.
Dans le troisième plan, une alerte s’est fait entendre, annonçant l’arrivée des Dieux loups. Dame Eboshi et Gonzo, son bras droit, se tournent en direction de la menace. Sur ce plan, il est intéressant de noter que la position de Dame Eboshi indique clairement son statut de supériorité par rapport à l’homme qui l’accompagne. Cette position en hauteur dans le plan n’est pas sans rappeler les plans montrant Princesse Kushana et Kurotawa.
Dame Eboshi, tout au long de cette scène, est clairement en contrôle de la situation, d’un grand sang-froid. Alors que ses hommes paniquent lorsque les loups approchent, celle-ci dit, d’un air calme : « ne laissez pas les bœufs paniquer. Restez calmes. Gardez vos positions. ». Elle donne ensuite l’ordre de tirer. Il devient alors très clair qu’il s’agit d’une guerre entre les humains et les esprits de la forêt, et que Dame Eboshi souhaite tuer : en effet, c’est elle qui tire la première- avant ses hommes- sur Moro, la déesse louve.
A la fin de la scène, ayant réussi à faire fuir les loups et Moro, Dame Eboshi donne l’ordre de repartir. Des hommes ayant été précipités du haut de la falaise par Moro, Gonzo demande : « Mais que faisons-nous des hommes qu’elle a poussés dans le précipice ? » Dame Eboshi répond alors : « Ils sont morts. Ramenons ceux qui vivent à la maison. » Cette réponse montre le pragmatisme, le détachement de Dame Eboshi et sa capacité à rester en contrôle de la situation. Tout au long du film, Dame Eboshi montre un caractère très serein, très distant et froid.
Des personnages importants pour étudier le rapport de domination sur les hommes sont les femmes du village des forgerons. Ce sont des femmes mariées, mais nous n’apercevons pas d’enfants dans le film, nous déduisons ainsi que ces femmes ne sont pas encore mères. Bien qu’elles soient mariées, au sein de ce village, elles disposent d’un certain pouvoir face aux hommes. Chacun tient un rôle bien défini, mais les femmes sont plus proches de la maîtresse du village, Dame Eboshi. Les femmes, toutes des anciennes prostituées que Dame Eboshi a racheté pour leur donner une vie meilleure et une utilité dans une société différente, ont un rôle clé dans le fonctionnement du commerce du village. Elles fabriquent le fer, qui est ensuite vendu par les hommes qui ramènent du riz.
Dans le village, les hommes mangent séparément des femmes : en effet, nous remarquons cela lors d’une scène où Ashitaka, après avoir ramené au village les survivants jetés du haut de la falaise par la Déesse Louve Moro, est invité à manger et passer la nuit. Les hommes mangent ensemble, les femmes viennent à la porte, en groupe. Nous réalisons alors qu’en dépit de cette séparation, les femmes sont loin d’être soumises à leurs maris : elles les moquent, appellent Ashitaka pour qu’il vienne les voir travailler, « flirtent » librement et ouvertement avec lui. Quand les hommes tentent de les renvoyer, elles leur répondent en leur faisant remarquer qu’ils mangent grâce à elles, grâce au fer qu’elles produisent. En groupe, ces femmes sont bruyantes, rieuses, moqueuses, forment un clan fort face aux hommes.
Lorsque Gonzo, le général et bras droit de Dame Eboshi tente de rassurer les femmes inquiètes de laisser leur maîtresse partir se battre seule contre les Dieux de la Forêt, en leur disant : « Ne vous inquiétez pas, je protégerai Dame Eboshi », l’une d’entre elles lui répond : « C’est bien ce qui nous inquiète ! Même si tu étais une femme, tu serais toujours un idiot ! ». Cette remarque montre bien que les femmes moquent leurs hommes, disposent d’une grande liberté à leur égard ; c’est un village résolument féministe, où la domination sur les hommes est assez flagrante.
L’une des scènes montre bien ce rapport de domination sur les hommes, et l’égalité qui existe cependant entre les femmes, même avec Dame Eboshi, maîtresse du village : il s’agit de la scène du retour des hommes abandonnés lors de la confrontation avec les Dieux-loups au bord de la falaise. Ces derniers ont été ramenés sains et saufs au village par Ashitaka. L’un d’entre eux, Kokuru, est accueilli par sa femme, Toki. Les plans de cette scène démontrent, entre autres choses, un rapport très clair de dominant/dominé en faveur de sa femme.
Dans le premier plan de cette scène, Koruku a été ramené vivant de la rencontre entre Dame Eboshi et ses hommes et Moro. Toki, sa femme, accourt pour le voir. Mais en arrivant devant lui, elle s’arrête et comme nous le voyons sur cette image, lui crie après : « A quoi vas-tu servir maintenant que tu es blessé ! ».
Dans le second plan, un plan rapproché de Toki la montre de face. Elle dit à son mari : « J’étais morte de peur ! J’aurais préféré que les loups te mangent ! Alors j’aurais pu me trouver un vrai mari ! » Les hommes autour hésitent entre la peur et le rire.
Dans le troisième plan, nous voyons Koruku en prise de vue en plongée, face à sa femme, « écrasé » par celle-ci et ses reproches. Totalement impuissant devant ses reproches, il est ridiculisé devant ses pairs, qui rient autour de lui.
Toki ne se contente pas de crier après son mari. Elle s’en prend également à Gonzo, le bras droit de Dame Eboshi, qui aurait dû ramener son mari sain et sauf, dans ce quatrième plan. Elle lui reproche d’être un paresseux, de n’avoir rien fait. Ces reproches sont relativement osés, étant donné que Gonzo est l’un des chefs du village ; mais la femme ne semble pas impressionnée par lui. Au contraire, Gonzo semble plus interloqué par ces critiques. En effet, il réagit comme un petit garçon face à sa mère : « C’est pas juste… et c’est faux ! » Il ne réagit pas comme une personne de pouvoir face à un inférieur, il semblerait qu’il réagisse plus comme un enfant.
Le village semble fonctionner comme une société matriarcale, où les femmes ont le pouvoir et traitent les hommes comme des enfants, s’occupent d’eux. Elles prennent les véritables responsabilités. De plus, Toki ne le laisse pas finir sa phrase et se détourne vite de lui pour remercier Ashitaka.
L’intervention de Dame Eboshi dans le cinquième plan est symbolique et très révélatrice de la position de pouvoir de cette dernière. Dans ce plan général montrant les villageois, l’escalier et Dame Eboshi située à leur sommet, l’angle de prise de vue est très symbolique : en contre-plongée, Dame Eboshi semble très puissante, grandie par cet angle. Elle s’adresse tout d’abord à Gonzo : « Gonzo, amènes-moi l’étranger plus tard ». Puis elle s’adresse à Koruku : « Je suis contente de ton retour, et je suis désolée. »
Dans le plan suivant, nous avons un angle de prise vue en plongée très marqué. Koruku est impressionné par Dame Eboshi ; les hommes autour de lui le sont également, ils ne rient plus. Tous se taisent lorsque celle-ci parle. Koruku est même hésitant et bégaie lorsque Dame Eboshi lui présente ses excuses. Les hommes semblent très intimidés par cette femme.
Dans le plan précédent, nous avons vu que les hommes sont vus en plongée et donc montrés comme faibles par rapport à Dame Eboshi, impressionnés et silencieux. Ce dernier plan montre qu’au contraire, les femmes sont à un pied égal avec Dame Eboshi. Ici, Toki s’adresse avec familiarité à Dame Eboshi, en lui conseillant de ne pas s’excuser auprès de Koruku. Elle plaisante avec elle. Nous voyons que cette aisance et cette familiarité sont justifiées car Dame Eboshi les voit comme des égales, contrairement aux hommes, qui lui sont plus soumis. En effet, cet angle montre Dame Eboshi en plan américain, sans effet de contre-plongée comme il était le cas pour sa discussion avec les hommes.
Cette scène et sa mise en scène révèlent le fonctionnement du village et les rapports entre les hommes et les femmes y habitant : les femmes dans une position de liberté et de contrôle sur les hommes ; les hommes réduits à l’état de garçonnets face à elles. Les femmes sont égales entre elles mais aussi avec leur supérieure, Dame Eboshi ; elles n’ont pas de rapport de domination entre femmes.
Nous rencontrons également d’autres femmes exerçant le rapport de domination sur leurs conjoints comme celui de Toki sur Koruku : l’une d’elles est Gran Mamare. Gran Mamare, dans Ponyo sur la falaise, mère de Ponyo et ses petites sœurs, est une déesse de la mer de grande puissance. Gran Mamare est très grande, aux cheveux roux flamboyants ondulant comme des vagues, indiquant son appartenance au royaume de la mer. Son pouvoir lui permettra d’exaucer le rêve de sa fille Ponyo, en la rendant humaine. Gran Mamare est souvent représentée sous sa forme la plus grande, de plusieurs mètres de haut. Ainsi les angles de vue qui la montrent sous souvent en contre-plongée, représentant sa puissance, sa grandeur. Les couleurs mauves, blanches et rouges qui la caractérisent, par la couleur de ses cheveux, bijoux et vêtements, sont des symboles de chaleur et de pureté. Le message transmis est donc que Gran Mamare utilise sa puissance à des fins justes, dans le but de protéger les marins par exemple (il s’agit du pouvoir que les humains lui attribuent). Elle sert également de médiateur entre Ponyo et son père, Fujimoto, qui refuse de laisser sa fille partir. Finalement, la décision appartiendra à Ponyo et à Gran Mamare seulement, laquelle aura réussi à convaincre Fujimoto d’accorder sa liberté à leur fille.
Lorsque nous la voyons s’adresser à son mari, Fujimoto, les angles de prises de vues la montrent dans le rôle dominant : dans l’une des scènes où elle parle avec lui de l’avenir de leur fille, elle plus grande que son bateau, elle l’enveloppe, comme si elle l’envoûtait.
Dans ces plans, nous voyons Fujimoto tout d’abord accroupi devant sa femme, penché vers elle. Sa position ressemble à une position de supplication, ou une prière : ses mains sont jointes, montrant qu’il révère sa femme. Il est incliné devant elle.
Sur le second plan, nous voyons Gran Mamare dans un plan général, mettant en valeur sa grandeur par rapport à Fujimoto. Le troisième plan procède de la même façon, mais montre cette fois Fujimoto de face, de la façon dont sa femme le voit, c’est-à-dire très petit. Il paraît presque insignifiant devant elle.
Le quatrième plan suggère la même chose : nous voyons Fujimoto en plan rapproché, s’adressant à sa femme. Son expression montre qu’il est honteux ; la position de sa tête, enfouie dans ses épaules, traduit un sentiment de vulnérabilité, de soumission.
Enfin, le cinquième plan utilise une symbolique assez forte : sa femme le prend entièrement dans le creux de sa main. Gran Mamare use de ce geste afin de calmer son mari, ce qui l’aidera finalement à le persuader qu’elle a raison, et empêchera ce dernier de paniquer. Elle le tient au sens propre, comme au figuré, sous son emprise. Diverses expressions utilisent une métaphore similaire, pour exprimer cette même idée : « manger dans la main de quelqu’un » en français, ou encore, l’expression anglaise, très proche de cette image, « to have one wrapped around one’s finger » (tenir quelqu’un enroulé autour de son doigt). Cependant, notons tout de même qu’ici, le geste est également affectueux, sans méchanceté, mais révèle un certain pouvoir de manipulation de la part de Gran Mamare.
Les femmes magiciennes et les sorcières sont des personnages importants dans la filmographie de Miyazaki. Les hommes qui ont des pouvoirs sont plus rares : Fujimoto, dans Ponyo sur la falaise, ou Hauru dans le Château ambulant, en sont les rares exemples.
Nous trouvons encore d’autres femmes de pouvoir et surtout, ayant des pouvoirs magiques leur permettant de régner en maîtres dans leur monde : Suliman et la sorcière des Landes dans Le château ambulant, ainsi que Yûbaba et sa sœur Zeniba, dans Le Voyage de Chihiro.
Suliman et Yûbaba sont toutes deux des femmes très puissantes, avec de grands pouvoirs. Ces pouvoirs leur donnent la capacité de régner en reines sur des royaumes : Suliman est sorcière pour le prince du royaume imaginaire dans Le Château ambulant, et dispose des pleins pouvoirs. Recrutant les magiciens du royaume pour l’état de guerre, elle décide de leur sort. C’est aussi une personne très sage et clairvoyante, qui souhaite que justice soit faite. Les sorts qu’elle retire ou crée sont toujours régis par son sens de la justice. C’est elle qui retire à la sorcière des landes, sorcière pourtant très puissante, tous ses pouvoirs et lui redonne son véritable âge : cette dernière sera transformée en vieille femme inoffensive. Mais elle est capable de se montrer cruelle, poursuivant Hauru sans relâche pour qu’il lui rende service en temps de guerre, ou bien en plongeant son pays dans un état de siège à durée indéterminée. Elle semble avoir perdu son humanité, et sa pleine puissance lui fait perdre contact avec les gens plus vulnérables.
Yûbaba est également une femme qui semble loin des réalités et qui manque de compassion. Yûbaba est une sorcière cruelle : si on lui manque de respect -les limites étant très vite franchies- elle utilise ses pouvoirs pour transformer les malheureux. C’est ainsi que de nombreuses personnes se retrouvent changées en boules de suie, ou en porcs, comme les parents de Chihiro au début du film. Les premières images que nous voyons d’elle dépeignent un personnage cruel, puissant.
En effet, le premier plan montrant Yûbaba est un gros plan sur sa bouche, par laquelle elle ordonne d’une voix effrayante à Chihiro de rentrer dans l’immense hall au bout duquel son bureau est dissimulé. Sa bouche énorme montre des lèvres ridées, un nez immense et pointu plissé également. La voix est rauque, forte.
Le second gros plan montre la main de Yûbaba. Cette dernière nous informe bien sur le type de personnage qu’est cette sorcière. Les ongles vernis, les gros bijoux précieux et brillants, montrent une personne attachée aux apparences, mais qui souhaite surtout que sa puissance et sa richesse soient vues de tous. Il s’agit probablement d’une façon d’assurer que personne n’oublie qu’elle décide du sort de chacun, qu’elle a tous les droits.
Nous voyons ensuite le visage entier de Yûbaba, écrivant à son bureau. Elle paraît très calme, très froide. Lorsque Chihiro lui réclame un travail, elle l’empêche de parler, avec l’un de ses tours, toujours très calmement, avec malice.
L’angle de prise de vue du plan suivant permet de voir la différence de taille entre Yûbaba et Chihiro. La tête de la sorcière paraît énorme par rapport à la petite fille. Loin d’elle, au fond de la pièce, Chihiro, en arrière-plan, est rendue minuscule. Sa taille dans le cadre symbolise son impuissance face à la sorcière.
Les plans suivants de cette même scène, montrent que Yûbaba est un personnage laid, effrayant. Ses mains ressemblent à des pattes d’araignée, ses yeux et sa tête sont disproportionnés. L’effet voulu est de dégoûter le public, de la montrer sous un jour monstrueux, inhumain.
Images extraites du Voyage de Chihiro, de gauche à droite :
(00 : 36 : 59) (00 : 37 : 09)
(00 : 37 : 45) (00 : 38 : 07)
Nous pouvons ensuite analyser le personnage de Dora, une autre femme de pouvoir et surtout, qui exerce une réelle domination sur les hommes. Dora est un personnage du Château dans le ciel, femme pirate dirigeant son propre clan, le clan Dora. Il est révélateur de sa position de supériorité et de chef, que son clan soit nommé après elle. Dora est un personnage important dans l’histoire car elle se lance, avec ses fils, à la recherche de Sheeta, la jeune héroïne.
C’est aussi le premier personnage que nous voyons : en gros plan, en contre-plongée, elle paraît effrayante. Cette mise en scène et le fait qu’elle soit le premier personnage qui apparaît à l’écran montre qu’il s’agit d’un personnage de pouvoir. Cela se vérifiera par la suite, car nous verrons qu’effectivement, ses fils lui obéissent en tout et agissent comme des enfants face à elle. En effet, Dora dirige leurs actions ; ses fils étant vraiment idiots, elle ne manque pas de le leur rappeler à la moindre occasion : « espèce de crétin dégénéré », « imbécile », « la ferme, crétin », etc. Elle marque son autorité en les insultant, ou en leur donnant des ordres pour effectuer des tâches, auxquelles elle ne participe pas.
Par exemple, lorsqu’elle leur demande de jeter des wagons dans la vallée (scène de fuite de Sheeta et Pazu poursuivis par les pirates), elle donne le rythme, mais n’aide pas, les regardant travailler. Son personnage évolue : elle devient peu à peu attachante, une tante pour Sheeta et Pazu qui finiront par l’appeler « tantine ». Dora est une vraie féministe : lors de scènes d’action, où elle tire sur les agents du gouvernement, nous l’entendons dire : « vous allez voir ce que c’est qu’une femme ! », ou encore « C’est à pleurer ce qu’on est capable de faire pour sauver son homme », signifiant que les rôles de sauveur/sauvée sont ici inversés. Dora est loin du cliché de la ryosai kembo. Insoumise aux hommes, elle n’est pas l’esclave de ses fils, il s’agit plutôt du contraire. Mais en un sens, quand nous observons son comportement avec ses fils (dirigiste, autoritaire), Dora correspond à un certain aspect des mères japonaises, se mêlant des vies personnelles de leurs fils, étouffantes. Mais Dora en est une version beaucoup plus féministe, autoritaire, active, loin des sphères traditionnellement féminines.
Nous allons en effet aborder cette question de l’éloignement de ces femmes de pouvoir des sphères féminines traditionnelles, en nous intéressant à présent aux guerrières, qui sont nombreuses dans la filmographie de Miyazaki.
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