Dès l’école primaire, la différenciation entre la sphère masculine et la sphère féminine confirme la longue tradition visant à enseigner aux petites filles la place qu’elles auront à tenir en tant que futures mères et épouses. Jusque dans les années 1980, il n’existe pas de ségrégation à proprement parler, mais de légères différences dans le type d’éducation. Les garçons se voient enseigner avec des méthodes plus « viriles », tandis que les filles se voient au contraire reprendre lorsqu’elles sont trop turbulentes, caractéristique considérée comme virile.(41)
A la fin de la dernière année d’école primaire, la tradition veut que les petites filles réalisent leur propre kimono d’été en coton ; preuve que l’on pense déjà au trousseau de mariage. Le mariage est en effet l’aboutissement de toute l’éducation.(42) L’accent est mis sur les arts ménagers à partir de l’école secondaire pour les filles ; on prépare la petite fille à « son vrai métier ».(43) Dans la sphère familiale, la différence d’éducation se ressent également : Les adjectifs qu’on attribue aux enfants sont aussi révélateurs. Lorsque la petite fille, l’o jôchan, est qualifiée d’otonashii, c’est un compliment sur son caractère calme. Tandis que ce même adjectif constituera un reproche pour le petit garçon, l’o bochan, car on lui reprochera son manque d’énergie. Cet exemple démontre bien à quel point les attentes selon le sexe sont différentes. Dès le début de leur vie sociale, on privilégie donc les qualités de vivacité, d’audace chez les garçons, tandis que l’on attend de la petite fille le silence, l’obéissance, la passivité, la tendresse.(44)
Les valeurs de groupe et l’enseignement des valeurs de chaque sexe est ainsi enseigné au sein de la famille, mais aussi à l’école. La lecture de contes traditionnels renforce les stéréotypes : le héros, généralement un homme doté des qualités viriles que l’on attend des petits garçons (courage, force, sagesse, bonté) attise l’amour des princesses, qui ont toutes les qualités féminines : gentillesse, beauté, obéissance, piété filiale, grâce, dévotion, etc.
Dans les manuels scolaires, on note également un favoritisme pour le sexe masculin, le plus souvent pris comme exemple dans les exercices de lecture ; de plus, les textes et illustrations dans les manuels tendent à représenter les stéréotypes : l’homme au travail, la mère à la maison.(45)
Durant toute leur scolarité, jusqu’à l’université, les filles vont se soumettre à ce que l’on pourrait voir comme des rôles prédéfinis : dans l’inconscient collectif, les filles s’intéressent plus aux études littéraires, aux arts ; tandis que les garçons sont meilleurs en sciences, en mathématiques. D’ailleurs, ce sont les femmes elles-mêmes qui admettent ces différences. L’exemple d’une jeune Japonaise interrogée dans l’ouvrage de Nilsy Desaint en est un exemple parlant : « les filles n’aiment pas les cours scientifiques, de biologie, de technologie » ; quand on lui demande pourquoi il y a plus de garçons que de filles dans les filières scientifiques, notamment en médecine, celle-ci répond : « Il y a plus d’hommes parce que travailler comme docteur, c’est très dur. Il faut porter les patients. Pour une femme, c’est trop difficile » ainsi que « parfois il faut rester la nuit pour surveiller l’évolution de l’expérience en cours, pour faire ça, la force est nécessaire ».(46)
On retrouve très souvent cette idée de force comme atout exclusivement masculin, et source d’incapacité de la femme dans les domaines dits « masculins ». La femme n’est pas assez forte pour certains métiers, ou pour effectuer de longues heures de travail, comme nous l’avons vu précédemment : « Les hommes sont bons pour travailler beaucoup. Les hommes ont plus de force que les femmes et c’est bien. »(47)
Cette éducation stéréotypée mène à l’acceptation par les femmes de leurs propres soi-disant « faiblesses » ; les femmes sont ainsi conscientes de leurs lacunes vis-à-vis de l’homme, de la place féminine par rapport à l’homme. On constate qu’aujourd’hui encore, ces stéréotypes persistent, ce que l’on observe dans les médias par exemple : en effet, « les jeunes filles entre 18 et 24 ans s’identifient aux héroïnes des chansons créées pour elles(…) qu’elles puissent s’émouvoir lorsqu’on les chante comme des filles mignonnes, aux cheveux longs, qui pleurent, qui sont aimées, qui font des câlins, qui ne disent rien quand on les trompe, qui souhaitent servir l’homme (…) mais lorsqu’elles-mêmes se mettent en scène en se décrivant comme stupides, faibles, inconscientes, on ne comprend plus et l’on reste sidéré à l’écoute des formules les plus employées : « je ne suis rien du tout », « une femme est une femme » et surtout : « après tout, je ne suis qu’une femme » ».(48)
Avant la Constitution de 1946, la femme reçoit une éducation élémentaire, mais l’on ne juge pas nécessaire qu’elle se spécialise ; les femmes ne sont également pas admises dans la prestigieuse Université de Tokyo, d’où la création d’universités réservées exclusivement aux femmes, les tandai, ou tanki, qui connaissent leur heure de gloire dans les années 1950.(49)
Ces écoles et universités privées réservées aux femmes, qui constituent pour elles la seule possibilité d’accéder au cycle supérieur avant la Seconde Guerre, offrent une formation en deux ans seulement; leur but étant d’apprendre les qualités nécessaires pour être une épouse accomplie.(50)
La Convention de 1946 cherche à lever toute discrimination à l’encontre des femmes. Mais nous pouvons constater que dans le Japon d’aujourd’hui, les stéréotypes persistent, divisant toujours les études féminines et les études masculines. Malgré leur baisse de popularité, les tandai existent toujours, permettant ainsi aux jeunes filles de faire deux ans d’études seulement, avant de se marier. En effet, les femmes représentent seulement 37,5% des étudiants en cycles longs, sur quatre ans. En 1980, les femmes constituaient un faible pourcentage des étudiants en universités mixtes les plus réputées, celles de Tokyo ou Kyoto par exemple. Or, au Japon, pour intégrer le milieu professionnel et obtenir un travail en entreprise, le nom de l’université d’origine est essentiel. Il faut être issu de l’une des meilleures universités mixtes et publiques pour espérer obtenir un emploi ; ce qui n’est donc pas le cas pour les femmes issues des cycles courts.(51)
Cependant on constate une évolution : auparavant, les filles privilégiaient des études en tandai afin d’obtenir un emploi sur une courte période avant de se marier, en tant qu’office lady, mais ces offres sont de moins en moins nombreuses depuis une vingtaine d’années .(52)
De plus, les filles cherchent aussi à rester plus longtemps dans le cycle supérieur ; en effet, en 1986, elles sont 14% en master et 12% en doctorat, contrairement à 9% et 5% en 1960. Mais on constate une différenciation sexuée selon les filières : les femmes restent le plus souvent dans des filières littéraires et sociales, et les hommes en droit, en sciences ; les femmes dans ces dernières filières sont encore de nos jours extrêmement rares (20 femmes dans la fac de physique de Kyoto).
Cette répartition stéréotypée des sexes dans leurs filières respectives est entrée dans les mœurs ; il parait normal pour tout Japonais et Japonaise d’admettre que les professions telles qu’enseignante des petites écoles, pharmacienne, aide de maison de retraite, secrétaire, par exemple, sont des professions féminines ; et que le travail de médecin, d’avocat, de politicien, haut fonctionnaire, sont des professions masculines. En effet, les professions qu’exercent la majorité des femmes sont cantonnées aux domaines « considérés comme compatibles avec leur féminité ».(53) Ainsi, les filières littéraires, artistiques, de l’éducation et du travail social sont majoritairement féminines.
De plus, pour les femmes étudiant en milieu scientifique, il est dur de faire ses preuves. Une femme médecin citée dans l’ouvrage Rising Suns, Rising Daughters de Joanna Liddle et Sachiko Nakajima, explique ainsi : « Les professeurs masculins ne font preuve d’aucun enthousiasme pour enseigner aux filles (…) ils pensent que les filles ne peuvent de toute façon pas comprendre. »(54)
Ainsi le système universitaire s’est ouvert aux femmes après la Seconde Guerre Mondiale, mais les stéréotypes de genre ont encore une forte emprise sur les différenciations dans l’éducation à l’école et à la maison, mais aussi jusque dans le milieu universitaire, où le choix des filières est toujours répartis de façon sexuée dans l’inconscient collectif.
Ces stéréotypes sont issus de l’image traditionnelle de la femme, de son appartenance à des domaines spécifiques de la sphère féminine privée et de l’image de la femme confinée « à l’intérieur ». Le rôle de la mère et épouse traditionnel est ainsi intéressant à étudier pour mieux comprendre comment se répartissent les rôles masculins et féminins dans le Japon contemporain.
41 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p.301
42 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, Hatier, Paris, p.11
43 Ibid, p.11
44 Ibid, p.10
45 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p. 67
46 Desaint Nilsy, « Entretien avec Fumiko », in Mort du père et place de la femme au japon, op.cit., p. 195
47 Ibid, p. 198
48 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, Hatier, Paris, p.32
49 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.78
50 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p. 300
51 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p. 90
52 Beauchamp, Edward, Windows on Japanese Education, Greenwood press, Westport, 1991, p. 239
53 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.97
54 Liddle Joanna et Sachiko Nakajima, Rising Suns, Rising Daughters : gender, class and power in Japan, Zed books, London, 2000, p.247
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