A la suite de la publication de la Communication sur les actifs dépréciés, l’attention de de la Commission se modifia, il ne s’agissait plus uniquement de « résister à la conjoncture mais d’envisager des solutions de sortie de crise et surtout d’après crise. Au centre de cette démarche se trouve la restructuration. Restructurer les banques pour éviter les faillites certes, mais aussi restructurer le secteur financier dans son ensemble. Selon la Commissaire Kroes, le seul moyen efficace de mettre fin à la crise était de modifier fondamentalement la manière dont les banques exerçaient leurs activités.
Cette approche est reflétée dans ses nombreux discours:
«We must replace unsustainable, overleveraged structures with simpler, less leveraged, more prudent and more transparent forms of banking. »(101)
Ou encore, pour bien ancrer la nouvelle détermination de la Commission :
« [les fonctionnaires de la Commission] are in a sense doing the work that banking regulators should be doing.»(102)
Des obstacles se dressent néanmoins face à la volonté de la Commission. Elle n’a pas de compétence régulatrice à l’égard des banques et des services financiers. Par ailleurs le rapport de Larosière, qui envisage des réformes du secteur financier, pointe bien la nécessaire participation des États membres et du parlement européen à la refonte du système (103). Il ne faut pas non plus négliger le rôle des banques, qui bien qu’économiquement affaiblies, restent politiquement influentes.
Si la Commission n’a pas de pouvoir explicite en matière de régulation bancaire, elle dispose néanmoins d’un instrument crucial pour encourager le changement : sa compétence exclusive d’autorisation des plans de restructuration. Que les aides soient approuvées sur la bases les lignes directrices relatives au sauvetage et à la restructuration, ou sur la base des communications de crise, toute entreprise bénéficiant d’une mesure de sauvetage doit soumettre à la Commission un plan de restructuration dans les six mois suivant l’aide.
Un élément central sur lequel la Commission européenne s’est concentrée fut celui de la prévention de l’aléa moral. Il ne faut pas laisser penser aux institutions financières que les ressources de l’état constituent un filet de sécurité permanent pour contrer leurs conduites commerciales à risque. Bien que la Commission ne soit pas compétente pour sanctionner une entreprise uniquement à raison de sa taille (trop importante) ou de son comportement dangereux (pour le système financier), elle peut par l’intermédiaire de son rôle de gardien du marché intérieur (qui implique de prévenir les distorsions de concurrence), superviser les réorientations fondamentales des grandes banques européennes. Cette action s’appuyant sur les compétences expressément accordée par les traités européens, la Commission est ainsi protégée de toute interférence ou influence.
A titre d’exemple, l’affaire Commerzbank illustre bien la manière dont la Commission est parvenue à imposer d’importants changements dans la structure et le comportement des banques via sa politique de concurrence.
A la suite de la faillite de Lehman Brothers, La deuxième plus grande banque allemande Commerzbank, faisant face à un manque de liquidités, s’est vu accordée une mesure de recapitalisation de 18 Milliards d’euros (104). En retour, était requis sur la base de Communication relative aux recapitalisations, un plan de restructuration exhaustif. La Commission insista pour que la restructuration intègre les problèmes qu’elle considérait comme fondamentaux, quant à son modèle commercial (105). Au terme d’intenses négociations, des changements dont l’ampleur et la profondeur sont remarquables furent imposés: la Commerzbank s’engagea à recentrer ses opérations sur des activités de banque de détail et d’entreprises, et à abandonner les services bancaires d’investissement ainsi que le domaine des biens immobiliers commerciaux. La banque allemande s’engagea également à respecter de fortes contraintes comportementales : suspension du versement des dividendes, prohibition pendant trois ans d’acquérir un concurrent et interdiction d’exercer une influence dominante sur les prix. Au final, les coûts engendrés par le plan de restructuration représentent une réduction impressionnante de 45 % (500 milliards d’euros) du bilan en comparaison du niveau pré-crise.
Une démarche similaire fut mise en œuvre dans l’affaire ING, à tel point que le journal the economist titrait : « A dramatic restructuring for ING. Which big European bank is next? » (106). Si la stratégie de la Commission en début de crise consistait à « autoriser d’abord et évaluer après », le temps de « l’après » et de l’évaluation était venu. La Commission avait néanmoins conscience que son action ne devait pas paraître arbitraire ; pour asseoir sa légitimité, ses méthodes devaient être transparentes. A cette fin, elle publia le 23 juillet 2009 la quatrième communication de crise (107) décrivant l’évolution de sa pratique en matière de restructuration.
Dans la lignée des autres communications, celle relative aux restructurations reprend les principes établis dans les lignes directrices sur le sauvetage et la restructuration : les entreprises faisant l’objet d’une mesure de restructuration doivent (1) prouver leur viabilité à long terme, (2) supporter la plus grande partie des coûts, (3) prendre des mesures pour éviter les distorsions de concurrence.
Dès lors qu’un établissement de crédit a reçu une aide publique, l’état doit soumettre, soit un plan attestant de sa viabilité à long terme, soit un plan plus profond de restructuration, la différence dépendant du montant de l’aide accordée. Ce critère a déjà été prévu par les précédentes communications : un plan de restructuration doit être établi quand l’aide reçue excède 2% du total des actifs pondérés en fonction des risques de la banque en question (sauf pour les garanties) ; ou quand la banque a fait l’objet d’une mesure de sauvetage via une recapitalisation. Néanmoins, pour les établissements qui sont « fondamentalement sains », dont les difficultés résultent uniquement de la situation exceptionnelle des marchés financiers, et qui bénéficient d’une aide au montant limitée, seul un plan de viabilité sera requis.
De la même manière que les communications précédentes, la quatrième communication de crise prend en compte le contexte économique particulier et les spécificités du secteur bancaire :
« La présente communication explique comment la Commission examinera les aides à la restructuration consenties aux banques dans le contexte de la crise actuelle, en tenant compte de la nécessité d’adapter la pratique antérieure à la lumière de la nature et de la portée mondiale de la crise, du rôle systémique du secteur bancaire pour l’ensemble de l’économie, ainsi que des effets systémiques susceptibles de résulter de la nécessité de restructurer plusieurs banques simultanément. »(108)
Par exemple, pour établir la viabilité du nouveau modèle commercial, la Commission impose aux banques faisant l’objet d’une restructuration, de conduire une batterie de simulations de crise (stress tests)(109) .
La Commission se réserve également une marge de flexibilité dans l’exécution du plan de restructuration en fonction des circonstances économiques :
« — Vu l’objectif prioritaire de stabilité financière et les mauvaises perspectives économiques actuelles dans l’ensemble de la Communauté, une attention particulière sera accordée à l’élaboration d’un plan de restructuration, et notamment à l’établissement d’un calendrier suffisamment souple et réaliste pour les mesures d’exécution requises. Si les conditions du marché ne permettent pas la mise en œuvre immédiate de mesures structurelles, il convient d’envisager des garde-fous provisoires en matière de comportement.
— La Commission appliquera le principe fondamental d’une juste répartition des charges entre les États membres et les banques bénéficiaires compte tenu de la situation générale du secteur financier. Si une telle répartition est impossible dans l’immédiat en raison de la situation du marché lors du sauvetage, elle doit être opérée à un stade ultérieur de l’exécution du plan de restructuration. »
Sur la base de cette communication, la Commission s’est impliquée dans le processus de réforme des plus grandes institutions financières européennes. Outre Commerzbank et ING, les plans de restructuration ont pour effet de réduire les bilans de 50% pour WestLB et Hypo Real estate, de 40% pour la Royal Bank of Scotland et LBBW, de 35% pour Dexia, et de 20% pour le Lloyds Banking group en comparaison des niveaux d’avant crise. Cette approche a néanmoins fait l’objet d’un certain nombre de critiques et notamment l’idée que la Commission allait trop loin.
101 KROES, Neelie. Time for Banks to Shoulder Their Responsibilities, discours du 14 mars 2009, SPEECH/09/117.
102 KROES, Neelie. Banks Must Reform and Restructure, discours du 23 juin 2009, SPEECH/09/306.
103 Rapport du groupe de haut niveau sur la surveillance financière dans l’Union européenne publié le 25
février 2009. Le groupe était présidé par Mr Jacques de Larosière, disponible sur : http://ec.europa.eu/internal_market/finances/docs/de_larosiere_report_fr.pdf.
104 Décision de la Commission du 7 mai 2009, aide d’État N 625/2008 – Germany Rescue package for financial institutions in Germany, JOCE C/143/2009, disponible sur :
http://ec.europa.eu/competition/state_aid/cases/228814/228814_961037_27_1.pdf.
105 DOLEYS Thomas p.23, op. cit.
106 « A dramatic restructuring for ING. Which big European bank is next? »,the economist, 27 octobre 2009
107 Communication de la Commission sur le retour à la viabilité et l’appréciation des mesures de restructuration prises dans le secteur financier dans le contexte de la crise actuelle, conformément aux règles relatives aux aides d’État, op. cit.
108 Ibid. § 7.
109 Ibid. § 7.
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