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1.Un besoin immédiat de coordination

Bien que la faillite de Lehman ne fût pas la cause unique de la crise, il semble clair que la décision du gouvernement américain de ne pas intervenir ajouta de l’huile sur un feu de longue date. Avec la chute de l’établissement de crédit Lehman Brothers, l’idée de banques trop importantes pour être abandonnées (« too big, too fail ») se répand. La panique chez les investisseurs s’installe. Le crédit interbancaire s’assèche. Les entreprises dont le modèle commercial repose sur des fréquents refinancements des dettes à court terme font alors face à un manque de liquidités.

Les États membres, confrontés à la perspective de faillites en cascade, réagissent rapidement. Des plans de sauvetage et des recapitalisations d’urgence sont annoncés, ainsi que d’autres mesures plus larges (mécanismes de garantie des dépôts). Or dans le contexte d’intense dépendance du système bancaire européen, une mesure de sauvetage prise par un gouvernement risque d’être perçue par un autre gouvernement comme une mesure protectionniste. Ce danger est parfaitement illustré avec la tempête déclenchée par l’introduction par l’Irlande d’un système de garantie bancaire (59).

Le premier octobre 2008, à peine deux semaines après la chute de Lehman Brothers, le parlement Irlandais autorise une garantie d’État de 400 milliards d’euros sur les actifs bancaires incluant les dépôts des particuliers et les dettes des établissements de crédit. Alors que les marchés financiers à l’intérieur et à l’extérieur de l’Irlande accueillirent favorablement cette annonce, les autorités politiques en dehors de l’Irlande ne firent pas de même. Les protestations ne concernaient pas la garantie per se, mais la décision d’étendre cette garantie seulement aux banques dont le capital détenu était majoritairement Irlandais ; les opérations en Irlande des banques étrangères n’étaient donc pas couvertes.

La réaction fut immédiate : les fonds des institutions étrangères opérant en Irlande commencèrent à migrer vers les institutions protégées par le système de garantie, mais également les fonds situés à l’étranger se mirent à traverser la mer irlandaise. En retour, le Premier Ministre britannique Gordon Brown annonça l’intention de son gouvernement de restreindre les flux financiers en direction des institutions irlandaises couvertes par la garantie.

Conscients du défi collectif posé par les mesures prises pour remédier à la crise, les ministres des finances de l’UE dans une réunion du 7 octobre, insistèrent sur le fait que les interventions doivent être mises en œuvre dans un cadre coordonné et sur la base de principes communs (60) . Ils appelèrent la Commission à agir rapidement à cette fin, tout en mettant l’accent sur la nécessité d’appliquer les règles concernant les aides d’état de manière « flexible ». En réponse, la Commission publia le 13 octobre, la « communication concernant le secteur bancaire » (61) indiquant comment la Commission appliquerait ces règles aux interventions étatiques d’urgence.

Cette communication se fonde sur l’article 107(3)b. En effet dès le 6 octobre 2008 N. Kroes, la commissaire européenne en charge de la concurrence avait fait savoir (62) son intention de s’appuyer sur cet article en raison d’un changement de nature et de magnitude de la crise afin de remédier « à une perturbation grave de l’économie ». La seule utilisation des lignes directrices sur les aides au sauvetage et à la restructuration n’était plus suffisante : celles-ci étaient considérées trop strictes et mettant en œuvre des procédures trop longues pour affronter une crise de telle ampleur.

59 DOLEYS Thomas, Managing State Aid in Times of Crisis: The Role of the European Commission, Kennesaw State University, 2010, disponible sur : http://www.jhubc.it/ecpr-porto/virtualpaperroom/084.pdf.
60 Réaction immédiate aux turbulences financières, ECOFIN conclusions du Conseil, 7 Octobre 2008, C/08/279, Disponible sur: http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/fr/misc/103223.pdf.
61 Communication de la Commission — Application des règles en matière d’aides d’État aux mesures
prises en rapport avec les institutions financières dans le contexte de la crise financière mondiale (dite « communication concernant le secteur bancaire ») op. cit.
62 KROES N., Dealing with the current financial crisis, discours devant le Commission des affaires économiques et monétaires , Parlement Européen, Bruxelles 6 octobre 2008 (SPEECH/08/498).

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