« L’islam est posé chez nous comme un problème », « Islam, médias et bidonnages ou la vision monolithique fantasmée », « Monde musulman, médias et préjugés », etc., voici quelques titres, parmi de nombreux autres, introduisant des travaux de professionnels des médias ou des sciences sociales.
L’apparition, assez récente, de cette question comme objet d’étude dans plusieurs corps de métiers laisse penser que le traitement médiatique de l’islam est une problématique qui prend de l’ampleur. Débordant sur quasiment toutes les sphères de la vie publique, sociale et politique, cette thématique passionne nombre de professionnels. Sociologues, chercheurs et autres penseurs semblent y prêter une attention accrue ces dernières années. Certains en ont même fait leur cheval de bataille.
C’est le cas de cet aumônier musulman, Abdelhak Eddouk, qui déclare lors d’un débat (Valeurs Actuelles, édition du 20 janvier 2011) que les musulmans sont mal perçus dans leur ensemble par la faute des médias qui « n’évoquent l’islam qu’à travers des situations problématiques ou dramatiques » et « qu’on ne présente […] l’islam qu’à travers les thèses d’une minorité radicale, qui ne représente pas du tout la communauté musulmane. »
De son côté, Marc Cheb Sun, journaliste autodidacte, explique à de nombreuses reprises dans ses articles que les analyses livrées par les grands médias concernant l’islam et les musulmans, manquent de discernement. Pour lui, il y a beaucoup d’amalgames, de confusions et, de manière générale, il y a création médiatique d’une catégorie de musulmans uniforme et « enfermante ».
Mais il n’y a pas que les musulmans eux-mêmes qui s’intéressent à la couverture médiatique de leur religion. Roland Pfefferkorn par exemple (chercheur au sein du laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » au CNRS et enseignant en sociologie à l’Université) dénonce avec vigueur et conviction les facteurs qui mènent à cette « méfiance » envers les musulmans.
Pour lui, plus qu’un simple phénomène médiatique, l’« islam est posé comme un problème » de manière générale dans la société, et en particulier par la classe politique et le gouvernement actuel. Ses recherches démontrent « une alliance politico-médiatique, qui va bien au-delà de la France, pour alimenter un sentiment anti-musulman et anti-arabe.».
Partant de cette même impression tenace mais difficilement « prouvable » que l’islam n’est pas un objet médiatique comme les autres, plusieurs colloques et débats sont organisés chaque année. A l’image du 4ème colloque du célèbre Institut Avicenne de sciences humaines (IASH) de Lille qui réunit les 7, 8 et 9 juin 2010 plus de deux cent spécialistes afin de chercher des solutions pour corriger l’image dégradante de l’islam et des musulmans dans les médias. Journalistes, chercheurs, islamologues, théologiens, imams, académiciens…tous s’accordent à dire que « l’heure est grave » en la matière. De ce colloque l’on retient un constat unanimement partagé : les médias européens font des islamistes « une chaude matière à forte valeur ajoutée politique [et] commerciale à servir à leurs lecteurs ».
Laurent Muchielli, chercheur au CNRS, partage ce constat dans La violence des jeunes : peur collective et paniques morales au tournant du 20ème et du 21ème siècle. Il y explique que le fruit de ses recherches l’amène à affirmer que les médias sont complètement à incriminer, si ce n’est dans l’origine, alors dans le développement et l’amplification de la peur par rapport à l’islam. Mais, selon lui toujours, cette « incrimination est […] trop générale et trop exclusive pour être satisfaisante [car] elle invite à tort à considérer ” les médias ” comme un univers clos, quand il s’agit au contraire d’un monde social perméable, influençable voire même manipulable. » Subtil dans son analyse, ce chercheur touche là un point capital : le traitement médiatique de l’islam est un phénomène extrêmement complexe car il s’inscrit dans plusieurs sphères (politique, sociologique, religieuse, médiatique, etc.).
Ce postulat, tout bonnement essentiel à la compréhension du sujet est cependant souvent occulté. Pourtant, il permet d’intégrer un paramètre majeur du traitement médiatique de l’islam : sa complexité.
Il permet de comprendre que, sans analyse attentive, il est difficile de percevoir en quoi les médias participent à une certaine stigmatisation, malsaine, de l’islam et des musulmans. Aussi, comprendre que l’islam dans les médias ne se résume pas qu’aux médias c’est faire un grand pas. Car chercher à expliquer le traitement médiatique de l’islam en ne parlant que des médias revient finalement à tenter de résoudre une équation à dix variables en n’en utilisant que deux, c’est absurde.
Dans la même lignée, Mouna Hachim (femme de lettres, écrivaine et chroniqueuse marocaine docteur en littérature française) pense qu’ « A tort ou à raison, de manière implicite ou manifeste, tous les sujets sensibles mènent désormais à l’islam dans les médias » et que l’on assiste à une « simplification outrancière des phénomènes religieux et culturels […] aboutissant au renforcement des stéréotypes et des amalgames ».
Pour elle aussi, les médias français contemporains procèdent à une « mise en oeuvre journalistique réductrice » qui jongle avec les extrêmes dans un style racoleur.
Ces quelques exemples de professionnels, dénonçant un traitement médiatique contestable de l’islam, sont disponibles par centaines et tendent à augmenter chaque jour un peu plus. Or si un nombre, aussi important, aussi croissant, de spécialistes critiquent le traitement médiatique majoritaire actuel de l’islam, c’est bien qu’il y a effectivement un problème.
Ce constat très largement partagé par ces experts, permet d’enterrer définitivement la thèse selon laquelle la stigmatisation de l’islam dans les médias est une simple vue de l’esprit, ou encore que les musulmans ont tendance à se placer en sempiternelles victimes.
D’ailleurs ces conclusions, les experts ne sont plus les seuls à les partager. De plus en plus de particuliers, anonymes et autres bloggeurs les expriment. Autrement dit, le constat effectué jusque là par une élite privilégiée (qui a le temps d’analyser, de décortiquer et de réfléchir) est désormais de plus en plus partagé par les citoyens.
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