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2-2) Communautarismes et crispations identitaires : des risques plausibles ?

ADIAL

Pour de nombreux auteurs et spécialistes du sujet, le communautarisme musulman n’existe tout simplement pas et le risque de repli identitaire est, chez les musulmans, minime. Ainsi, l’anthropologue John Bowen, professeur à l’université Washington de Saint Louis (Etats-Unis) affirme dans son livre Can islam be French ? (Princeton University Press, 2010) que les musulmans français sont « beaucoup moins isolés du reste de la société » en comparaison avec les musulmans d’autres pays, et que « le débat en France sur l’islam s’est construit sur une opposition de valeurs [alors] que la question des musulmans de France n’en est pas une ».

Il poursuit en écrivant qu’il n’y a d’ailleurs pas de « conflit de valeurs » tout court entre l’islam et l’occident puisque « prétendre que la civilisation européenne est la gardienne éternelle de l’égalité juridique, politique et sociale des femmes, tandis que les pays musulmans seraient le symbole de leur oppression, relève de la construction imaginaire. » Selon lui, les musulmans français développeraient au contraire énormément d’ « accommodements raisonnables » entre normes françaises et islamiques et, « contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les quartiers peuplés de musulmans qui sont homogènes mais [plutôt] certains quartiers peuplés uniquement de Blancs [comme] Neuilly ou le XVIème arrondissement de Paris, qui sont sans doute parmi les quartiers les plus communautarisés de France. »

D’ailleurs, une enquête internationale réalisée en 2006 montrait que les musulmans français étaient plus nombreux à placer leur identité nationale avant leur identité religieuse que les chrétiens américains. Pour John Bowen qui a analysé le sujet en profondeur, « il n’existe [donc] pas de communautarisme musulman en France ». Les musulmans côtoient tour à tour des espaces « spécifiquement islamiques » et d’autres neutres, comme leur lieu de travail ou des associations de quartier, ce qui invalide clairement la thèse du repli communautaire.

L’anthropologue ajoute également que la séparation de l’église et de l’Etat en France fonctionne comme une « névrose » qui produit une relation tourmentée entre le pouvoir, la société et les lieux de cultes. Une névrose qu’il juge inutile puisqu’en réalité cette séparation du pouvoir institutionnelle et du pouvoir religieux ne serait qu’illusoire.

Pour l’auteur, « l’Eglise et l’Etat ne sont pas séparés [et] « l’Etat aide le culte de multiples manières », notamment en subventionnant les écoles catholiques privées (par exemple bien plus subventionnées qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni). Ainsi, ce dernier pense que « certaines revendications musulmanes » viendraient en fait simplement raviver des vieilles douleurs, notamment chez certains Français restés convaincus que les institutions religieuses compromettent l’unité républicaine.

Figure 28 Les médias, vecteurs d’une image négative et stéréotypée des musulmans mythe ou réalité

« -Tu devrais mieux mesurer la chance que l’on a de vivre dans un pays laïque… » Dessin satirique dénonçant l’hypocrisie entourant la notion de laïcité française.

Un autre aspect crucial à prendre en compte quand l’on évoque un possible « communautarisme musulman » c’est l’histoire de l’immigration musulmane, qui explique justement que les musulmans se soient (et se retrouvent encore) « regroupés » dans les mêmes zones géographiques, ce qui peut effectivement laisser une impression de volonté de regroupement.

En effet, les musulmans maghrébins arrivés massivement en France dans les années 70 constituaient une immigration « de labeur », venue uniquement pour travailler, et qui fut donc accueillie en France sans aucun plan d’intégration puisque le retour au pays était envisagé. Ainsi, c’est le gouvernement français de l’époque qui a placé les immigrés dans certains quartiers, qui les a regroupés, sans intention de former une communauté mais plus pour « des raisons pratiques ». Il est donc important de garder en tête, qu’aujourd’hui, quelques quarante années plus tard, la concentration géographique de musulmans maghrébins en certaines zones n’est pas due à une volonté de leur part mais est simplement la conséquence des politiques françaises de l’époque.

Selon Bowen, cette séparation géographique, cette espèce de « ghettoïsation » des musulmans, a engendré l’ignorance et a permis à toutes sortes de « fantasmes sur les désirs et les finalités musulmanes » de s’insérer dans les esprits, d’où aujourd’hui l’idée si répandue que les musulmans ont une forte tendance au communautarisme.

Ainsi, toujours selon Bowen, si la France avait su éviter à l’époque cette ghettoïsation musulmane, les « gens [auraient pu se côtoyer simplement] », vivre ensemble et « se voi[r] d’abord comme des hommes et des femmes ordinaires, qui se préoccupent […] de leur famille, de l’avenir de leurs enfants, de leur boulot. »

Beaucoup d’autres spécialistes en sont arrivés aux mêmes conclusions que Bowen. C’est le cas par exemple de Roger Fauroux, ancien ministre et ancien président du haut conseil à l’intégration qui déclare qu’ « en faisant autant de cas de l’islam, en lui donnant autant d’importance, tout en mettant des obstacles à l’émergence d’une formation de théologie française de l’islam, la France fabrique littéralement du communautarisme par le sommet » et qu’« il faut rapidement remettre la religion à sa place pour enfin s’attaquer aux véritables sujets qui minent la société française. » Et en effet, selon la ligue des droits de l’homme de Toulon, si le « communautarisme musulman » est régulièrement dénoncé comme le symptôme d’un dysfonctionnement social majeur […], il est aussi très largement créé, sinon encouragé, par ceux-là mêmes qui le pointent du doigt » et « l’ambiguïté de formules politiques telles que l’” islam français ” ou l’” islam républicain ” […] expriment cette tentation paradoxale des responsables politiques de conduire progressivement les musulmans de France aux lumières de la laïcité et de la raison républicaine, tout en les maintenant dans leur spécificité islamique. »

De son côté, Laurent Bouvet, professeur en sciences politiques à l’Université de Nice Sophia Antipolis, affirme dans son article Le communautarisme, voilà l’ennemi ! (Laligue.org) que « dans le débat qui oppose en France ” la République” au “communautarisme”, flotte quelque chose d’irréel […] qui ignore la complexité sociale» et que le communautarisme « n’inspire aucune revendication sérieuse si ce n’est de la part de quelques groupuscules, [et qu’ainsi] l’on perçoit avec difficulté les tentations communautaristes qui toucheraient la “communauté musulmane”. »

Contrairement à l’idée que répandent souvent les médias, les musulmans auraient plutôt tendance à vouloir s’« intégrer » (dans l’hypothèse où l’on considère qu’ils ne le sont pas). D’ailleurs, encore une fois, il n’existe pas vraiment de « communauté musulmane ». Les études de terrain et la logique tendent à prouver que ce que l’on nomme « communauté musulmane » n’est en réalité qu’un terme vague qui permet de désigner un ensemble de personnes dont on ne désigne aucune caractéristique commune si ce n’est celle d’être musulmane. Le seul critère d’appartenance religieuse ne suffisant pas à définir un individu, difficile alors de parler de réelle « communauté ». La « communauté musulmane » au sens courant du terme ne veut donc rien dire. Une communauté étant censée être un groupe qui défend un ou des intérêt(s) commun(s), la « communauté musulmane » n’existe pas. Il y autant de façon d’être musulman que d’individus, et c’est en ce sens que la « communauté musulmane » n’en est pas une. Ainsi, si la communauté musulmane n’existe pas en tant que regroupement d’individus qui souhaitent défendre un intérêt commun, pourquoi craindre un « communautarisme musulman » en France ?

Comme le confirment Vincent Geisser et Aziz Zemouri dans leur ouvrage Marianne et Allah. Les politiques français face à la « question musulmane », « si l’on constate effectivement une montée de la religiosité musulmane et d’un activisme communautaire dans certains quartiers populaires de banlieue, ces phénomènes ne sont en rien identifiables à un communautarisme qui viserait à saper le modèle républicain français. Au contraire, les pratiques et revendications musulmanes se combinent volontiers à un conformisme social et politique ».

Cette affirmation, comme toutes celles du même ordre, se base sur des enquêtes sociologiques sérieuses (dont celles d’Amel Boubakeur, Moussa Khedimellah, Samir Amghar, Franck Frégosi, Omero, etc.) dont les résultats prouvent de façon indiscutable que les musulmans n’ont pas besoin de « s’assimiler », de « s’intégrer » puisqu’ils le font/sont déjà et qu’ils ne cherchent de toute façon en aucun cas à menacer la République ou la laïcité française.

Mais comme le concluent les auteurs, « en l’espèce, la réalité sociale compte bien moins que la “force du préjugé” et des idéologies. »

Finalement quand l’on s’intéresse de plus près à la question du prétendu « communautarisme musulman » dont les médias semblent vouloir entretenir et prouver l’ « existence », l’on se rend compte que la réalité est bien différente de celle que nous montrent les médias.

Encore une fois, les médias ne s’intéressant qu’ « aux trains qui n’arrivent pas à l’heure », la mise en exergue de certaines revendications communautaristes musulmanes ultra-minoritaires a pu donner cette impression d’un repli identitaire généralisé chez les musulmans.

Dans la réalité, les musulmans sont tout aussi conformistes que n’importe qui et, socialement, ils devraient même parfois faire preuve d’un conformisme encore plus exacerbé afin de se rendre plus « admissibles » aux yeux de ces « autres » qui font de cette appartenance religieuse une différence fondamentale.
Enfin, une approche plus originale mais tout aussi intéressante du sujet, est celle à laquelle procède l’Observatoire du communautarisme (NDA : observatoire indépendant d’information et de réflexion sur le communautarisme, la laïcité, les discriminations et le racisme) dans son article intitulé Le communautarisme et la lutte des classes datant du 29 novembre 2003.

Selon cet article, ce que l’on prend pour du « communautarisme musulman » ne serait en fait que la sempiternelle expression de la lutte des classes. L’histoire de la France, l’histoire de l’immigration maghrébine auraient conduit à ce que beaucoup de musulmans se retrouvent dans la « classe prolétaire », ce qui produit aujourd’hui une impression de « communautarisme musulman » qui ne serait en fait qu’une sorte de « communautarisme prolétarien ». D’ailleurs, pour les auteurs de l’article, ce qu’il est important de comprendre c’est que le communautarisme n’est pas le danger en lui-même, puisqu’il s’applique à toutes les franges de la société, mais qu’il ne faut pas faire de cette notion quelque chose qui s‘applique uniquement aux « prolétaires », aux couches sociales défavorisées.

Car celui-ci prend également des formes « bourgeoises » et que « la focalisation dans le discours médiatique et politique sur le communautarisme musulman n’est pas étranger à la “stratégie de détournement” des autres communautarismes ». En bref, cette théorie veut que, quand bien même un certain « communautarisme prolétaire » comprenant une majorité musulmane existerait, cela n’est pas une menace puisque le communautarisme s’applique à l’ensemble des groupes sociaux qui ainsi « s’affrontent », chacun défendant ses intérêts.

Par là-même, les élites « bourgeoises » sociales et politiques, détenant les médias et traditionnellement opposées aux « prolétaires » auraient, sous couvert de soi-disant « bonnes intentions » instauré un discours médiatique peu favorable à la classe « prolétarienne » contre laquelle ils « sont en lutte ».

Finalement, d’après cette théorie, il n’existe pas de communautarisme musulman puisqu’en fait ce sont plutôt les « rapports de production (qui n’ont pas grand-chose à voir avec la confession) » qui s’expriment sous cette « question sociale ».

Figure 29 Les médias, vecteurs d’une image négative et stéréotypée des musulmans mythe ou réalité

« Deux grand hommes autour d’un café ». Dessin satirique publié par Le Nouvel Observateur illustrant une discussion imaginaire entre Nicolas Sarkozy et Karl Marx sur la notion de lutte des classes.

Ainsi, que l’on préfère cette dernière explication « marxiste » ou les autres, toutes les études sérieuses abondent dans le même sens : il n’existe pas de communautarisme musulman.

En conséquence, on assisterait encore en la matière à un grossissement médiatique du trait, à une caricature qui ne tient nullement compte des réalités du terrain.

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