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§ 2. Contenu.

100. Outil d’évaluation technique.

– Un barème médical est constitué comme une sorte de grille d’évaluation (A). Son application en pratique
soulève plusieurs remarques (B).

A/ Grille d’évaluation.

101. Principe.

– Le barème médical avait pour fonction de fixer un taux d’incapacité permanente partiel (IPP)
comme dans celui retenu par le Concours médical. Cette notion a été remplacée par l’atteinte permanente
à l’intégrité physique et psychique (AIPP) de la victime. À travers ce taux, le régleur du dommage va
pouvoir traduire un fait juridique en une indemnisation chiffrée. On peut craindre une évaluation forfaitaire
pour apprécier les pertes subies et les gains manqués de la victime ; mais faute de certitude, le régleur doit se
baser sur les éléments certains en sa possession.

102. Exemples de critères.

– Le barème fixe donc un taux d’atteinte en fonction de l’acception du corps humain retenu.
La prise en compte de l’âge doit être important, un jeune enfant n’a pas le même vécu qu’une personne
en fin de vie. Le travail de l’expert médicolégal est conditionné par l’expertise réalisée en amont
concernant la liste des postes de préjudices que la victime a souffert. Le barème donne une fourchette
d’indemnisation en fonction des éléments présents. Il donne une première approche du montant de
l’indemnisation avec la prise en compte de la gravité des préjudices subis. La fixation du taux
d’AIPP est donc primordiale pour appliquer le barème. Les modes de calculs en cas de lésions
multiples est soumis à plusieurs possibilités(136). L’expert doit toujours appliquer le même pour
arriver à une indemnisation juste et équitable. Le retentissement professionnel et la pénibilité
de son travail doivent également faire partie des critères retenus. L’activité professionnelle de
la victime est à prendre en considération dans l’évaluation de son préjudice.

B/ Application pratiques.

103. Critique liée à l’âge.

– Des auteurs ont reproché aux barèmes existant de proposer des taux indépendamment de l’âge du blessé(137).
Cela entraîne des solutions parfois absurdes entre les victimes. L’exemple suivant est bien illustré : « Une
septuagénaire peut être plus handicapée par des séquelles dont l’évolution reste faible, mais retentissant
cependant de manière importante sur son existence de tous les jours, à une époque où
l’espérance de vie est prolongée »(138). Ainsi, une personne âgée après l’accident devient
dépendante et se voit dans l’obligation de quitter son environnement existentiel pour vivre en
maison de retraite jusqu’à la fin de ses jours. Elle passe d’un mode de vie autonome à un
milieu collectif. La justification de la prise en compte de l’âge parait fondée. Il est de plus en
plus courant de nos jours que les seniors conservent une activité en même temps d’une
retraite. L’âge du départ à la retraite étant de plus en plus long, les tables de capitalisation
prévues jusqu’à soixante ans sont devenues inadéquates.

La même remarque vaut quant à la réparation accordée aux enfants. Leur
indemnisation fait l’objet de grands débats au sein de la doctrine et la pratique a du mal à
réparer au plus juste les préjudices futurs d’une personne en devenir. Plus la victime est jeune,
plus l’indemnité allouée sera difficile à fixer. Par exemple, l’indemnisation d’un étudiant à
l’université permettra de déterminer plus facilement ses intentions professionnelles
contrairement à un enfant inscrit à l’école primaire. La pratique relève avec effroi la difficulté
à établir la perte de gains futurs, le préjudice scolaire et universitaire et l’incidence
professionnelle.

Des praticiens avouent ne pas avoir de repères et déclarent que « c’est une
mission impossible d’indemniser au plus près de la réparation intégrale les pertes de gains
futurs ou les incidences professionnelles chez un jeune enfant »(139). Sans pouvoir prédire
l’avenir, la pratique a pour postulat que la jeune victime aurait travaillé. Les critères
habituellement utilisés tels que la prise en compte du milieu socioculturel dont est issu
l’enfant ou encore le niveau d’étude des frères et soeurs et du milieu d’activité est
« extrêmement élitiste et discriminatoire ». « Pourtant, nous sommes obligés d’adopter ces
critères-là, en sachant pertinemment qu’ils sont imparfaits, et c’est pour cela que
l’indemnisation des jeunes victimes, totalement hypothétique, constitue une énorme
frustration ». Ce témoignage continue : « finalement, c’est une mission quasi impossible car
l’inconnu n’est pas indemnisable, mais il doit l’être. Ce qui fait toute la différence par
rapport à une indemnisation classique des pertes de gains futurs, c’est que nous allons
raisonner en termes d’estimation, et non en termes de valorisation, à partir d’éléments
extrêmement objectifs, de progression de carrière, etc. »(140).

104. Critique envers l’état antérieur de la victime.

– L’appréciation de la notion d’état antérieur de la victime avant son accident reste l’un
des problèmes majeurs de l’évaluation du dommage réellement subi. L’accident peut révéler un
état antérieur inconnu jusque lors par la personne ou bien cela l’aggravera. De plus, le secret
professionnel médical ne lève pas forcément le voile de mystère autour du concept d’état antérieur.

L’état antérieur de la victime est une notion floue que la doctrine a essayé de définir.
M. le professeur PIERRE souligne les difficultés liées à la tentative de définition de ce concept
ainsi que la complexité technique de la matière. Il est « entendu lato sensu comme l’”état
anatomique”, “physiopathologique” ou “psychique” précédant le fait générateur de l’atteinte,
il ne peut pas compromettre la prise en compte de l’état postérieur de la victime »(141).

La Cour de cassation rappelle que « le droit de la victime à obtenir l’indemnisation
de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition lorsque
l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable »(142).
Ainsi, l’état antérieur de la victime, même s’il est patent, n’aura pas réellement d’incidence
sur le calcul de l’indemnité allouée à la victime par le biais du barème médical unique(143).

105. Critique de l’appréciation de la douleur physique ou morale.

– Mme le professeur LAMBERT-FAIVRE remarque très justement qu’il est « indispensable de donner à la
victime une juste indemnisation des préjudices qui n’ont pas de prix : la souffrance, la perte
d’autonomie qui est perte de liberté »(144). La réparation de la souffrance n’est pas toujours
simple car premièrement la souffrance peut être inclue dans l’indemnisation d’autres postes
de préjudice.

En suivant le principe de la réparation intégrale, la victime ne peut pas s’enrichir
avec l’indemnisation qu’elle reçoit. Néanmoins, établir un poste de préjudice concernant les
seules souffrances endurées peut porter à confusion. Ne vaut-il pas mieux prévoir une
majoration du taux d’atteinte par poste de préjudice en fonction de la douleur ressentie plutôt
que de laisser un poste aussi vaste et si peu mesurable ? L’organisme en charge de
l’élaboration d’une nouvelle nomenclature des postes de préjudice devra réfléchir sur ce point
et accorder le barème médical unique en fonction de son choix.

La création d’un barème médical unique devrait répondre à l’objectif
d’uniformisation de l’indemnisation du dommage corporel. Avec la nomenclature, ces deux
instruments permettent d’évaluer les préjudices subis et leur gravité. Désormais, il faut
envisager l’évaluation monétaire du dommage corporel.

135 H. GROUTEL, Un Guide barème médical européen, RCA 2006, n° 10, repère 10.
136 A. LADRET, Étude critique des méthodes d’évaluation du préjudice corporel, coll. d’études sur le
droit des assurances, L.G.D.J., 1969, p. 95 et s.
137 Ph. BOURDIER et C. MICHELET, L’expertise médicale, les barèmes et l’indemnisation à « prix unic »,
Les Echos Judiciaires Girondins, Journal n°5310 du 28 novembre 2006.
138 Ph. BOURDIER et C. MICHELET, art. préc.
139 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 : Table
ronde âge et réparation, Gaz. Pal., 2011, n°99, p. 43 et s.
140 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 : Table
ronde âge et réparation, Gaz. Pal., 2011, n°99, p. 43 et s.
141 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 ; Ph.
PIERRE, Le passé de la victime : l’influence de l’état antérieur, Gaz. Pal. 2011, n° 99, p. 15.
142 Cass. Civ. 2e, 8 juill. 2010, n° 09-67592.
143 Pour aller plus loin, V. N. MARTIAL-BRAZ, L’indifférence des prédispositions médicales de la
victime dans l’indemnisation du préjudice : appréhension critique, RCA, 2010, n° 2, étude 3.
144 Y. LAMBERT-FAIVRE, Dommage corporel. Mieux réparer l’irréparable. L’article 25 de la loi du 21
décembre 2006, Mélange VINEY, LGDJ, 2008, p. 567 et s.

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