Conscients que les nouvelles technologies font partie de l’avenir de l’enseignement, tous les enseignants insistent sur la nécessité de se former. Une seule raison à cela : les élèves qu’ils accueillent sont nés avec ces nouveaux outils. Le responsable de l’enseignement catholique interrogé évoque ce sujet en ces termes :
« Et vous avez toute une génération qui migre, c’est-à-dire, d’un seul coup, vous vous réveillez et vous vous dites que les jeunes qui sont en face de vous, vous ne le comprenez plus ! »
Cette considération « générationnelle » est importante car elle met l’accent sur le décalage qui pourrait naître entre les élèves et les enseignants si ces derniers ne prennent pas le virage des nouvelles technologies.
Mais de quelle formation parle-t-on ? D’une formation didactique sur leur matière ? D’une formation technique sur les matériels ? Je dirais que l’idéal serait une formation qui serait tout à la fois, car de nombreux enseignants se plaignent de ne pas connaître les innovations techniques qui pourraient leur permettre de faire évoluer leur cours. J’ai assisté, lors de réunions pédagogiques ou de réunions extérieures à des démonstrations vidéo de ce qui pouvait être créé grâce aux nouvelles technologies. Par exemple, un cours de géographie sur les mers et les océans durant lequel les élèves devaient à l’aide d’un stylet, placer les mers sur une carte projetée sur un écran. Les supports créés sont superbes et les élèves semblent adhérer à ce type d’enseignement pour toutes les raisons que nous avons évoquées précédemment. A la sortie de ces réunions de présentation, tous les enseignants trouvaient cela formidable et disaient qu’ils allaient s’y mettre. Mais, entre l’enthousiasme des enseignants et la mise en pratique, un fossé s’est creusé. Non parce qu’ils ne sont pas volontaires, mais parce qu’ils ne savent pas comment faire. Prenons ici témoignage du responsable de l’Enseignement Catholique :
« Qu’est-ce qu’un enseignant volontaire ? C’est un enseignant qui trouve que c’est super, qui aimerait bien se lancer mais qui n’a aucune idée par quel bout commencer. […] On peut vous la présenter, on peut vous la faire dans tous les sens que vous voulez, il n’empêche que : moi, prof de machin, dans mon collège, je ne sais pas par où commencer, parce que, parce que je n’ai pas ça comme type de matériaux. Moi, mon matériau, c’est un papier, un stylo, c’est ce que je sais… »
Nous sommes ici au coeur du problème car avec ces nouveaux outils, il ne s’agit plus nécessairement de bénéficier de formations qui se contenteraient de présenter les nouveautés à disposition. En effet, lors de formations sur ces sujets, les formateurs se bornaient à présenter le fonctionnement technique (présentation par ailleurs nécessaire) d’un logiciel donné. Or, les enseignants ont besoin de s’approprier un nouvel outil (au même titre qu’ils souhaitent connaître un programme ou un livre) avant de l’utiliser. Donc, il serait souhaitable que ces formations soient conçues davantage comme des accompagnements à la création d’une séquence. Le responsable de l’Enseignement Catholique interrogé est très clair à ce sujet :
« Les formateurs disaient que le cours c’était le problème du prof, pas du formateur. Non, il faut aller jusqu’à construire un cours ensemble. Une fois que vous avez amorcé la pompe, une fois qu’un prof, […] a fait son premier chapitre sur un système numérique, après, il se lance. Mais il ne se lancera jamais juste parce qu’on lui aura montré un super cours, des séquences faites par d’autres… C’est normal, parce que l’enseignant voudra s’approprier la séquence. »
Donc, il semblerait que la tendance se tourne vers une mutualisation des connaissances entre les enseignants sur un outil donné et des échanges sur des procédures pédagogiques efficaces. Deux sources confirment ce postulat. D’abord, Georges-Louis Baron et Eric Bruillard évoque des dispositifs de « mutualisation » et de « co-formation ».
« L’espace de partage numérique […] est vécu comme un espace de liberté ou chacun exprime et partage ses compétences particulières à travers les documents déposés. » (35)
Et de poursuivre à propos de ce qu’ils nomment la « co-formation » :
« Nous avons observé […] des phases fugaces de collaboration avec interaction, négociation et élaboration de solution commune. »(36)
Ensuite, le responsable de l’enseignement catholique présente la même chose en ces termes :
« Un Environnement Numérique de Travail(37) qui marche, je n’en ai pas vu 50, j’en ai vu un, où réellement, il y a un collègue qui arrive, et qui dit : « Ca, c’est mon prochain cours, de stats, 3ème, je le fais lundi… Le prend qui veut. » Et les autres se servent et un autre prof met le prochain cours à disposition. Cela fonctionne à tour de rôles… Et là, il y a une mutualisation qui commence.»
Ces trois extraits de diverses sources montrent bien que les enseignants semblent plus réceptifs à des formations par les pairs qu’à des formations très théoriques par des formateurs spécialistes de la question. Pour ma part, je constate dans l’établissement que les enseignants partagent effectivement des « trucs et astuces » sur des points particuliers. Par ailleurs, certains enseignants montrent à d’autres ce qu’ils ont créés grâce aux technologies et expliquent à leurs collègues comment faire s’ils souhaitent élaborer une telle ressource. Il est évident que le partage des ressources fonctionne, mais, le fait qu’une partie des enseignants ait franchi le cap, provoque une certaine émulation et incite les autres professeurs à tenter de faire de même.
Ce qui frappe dans cette réflexion sur les formations, c’est que les enseignants paraissent davantage réceptifs à des apports par des « amateurs éclairés » que par des spécialistes de la question, car, bien que les enseignants soient des spécialistes de leur matière, ils n’en restent pas moins des personnes qui, eux aussi, utilisent les nouvelles technologies dans leur quotidien et notamment lors de recherches sur Internet. Nous voyons fleurir des forums Internet sur tous les sujets possibles (médecine, coaching, conseils, etc.…) ; sur ces forums, des discussions entre internautes permettent aux visiteurs de se faire un avis sur un sujet ou trouver une réponse à une question. Ces réponses ne sont pas forcément données par des spécialistes des sujets, ce n’est pour autant que ces réponses sont fausses. Donc, dans la mesure où certains enseignants fonctionnent de cette manière dans leur vie quotidienne, il n’est pas anormal que ces derniers souhaitent fonctionner de la même façon pour apprendre à ce servir des nouvelles technologies dans leur domaine professionnel.
Nous avons évoqué dans cette partie la nécessité des formations afin que ces technologies trouvent une place accrue dans nos établissements. Cependant, les enseignants ne sont pas les seuls à devoir s’adapter. Nous allons maintenant détailler les autres adaptations nécessaires.
35 BARON G-L, BRUILLARD E. (sous la direction de), Technologies de communication et formation des enseignants, Paris, Institut National de Recherche Pédagogique, 2006, page 153.
36 Ibid. page 160.
37 Il s’agit d’une plateforme collaborative sur laquelle tous les enseignants peuvent déposer des documents (fichiers Word, Excel, etc…) pouvant intéresser d’autres enseignants. Ces derniers peuvent utiliser ce document et l’intégrer à leur cours, l’imprimer, mais aussi ne prendre que la partie qui les intéresse.
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