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§ 2. Des incertitudes liées à la définition contractuelle du dommage

ADIAL

La définition du dommage est essentielle dans la police d’assurance puisque c’est ce
qui va permettre de déterminer si l’assuré est ou non couvert lors d’un sinistre. Il convient
alors de faire une distinction entre les dommages accidentels et ceux qui ne le sont pas (A),
pour ensuite déterminer les trois types de dommages susceptibles d’être couverts (B).

A – Les dommages accidentels/non accidentels

C’est l’origine du dommage qui confère à celui-ci son caractère accidentel ou non.
« En matière d’assurance de responsabilité civile après livraison, si l’activité de l’assuré est
bien entendu susceptible de provoquer des dommages accidentels du fait des produits livrés,
elle fera intervenir la garantie des assureurs par des dommages le plus souvent à caractère
non accidentels, à réalisation lente et progressive, qu’il s’agisse de dommages corporels ou
de dommages matériels »(170). Le caractère accidentel qui auparavant était indispensable à la
garantie d’assurance n’est désormais plus essentiel et les assureurs de la responsabilité civile
après livraison acceptent de plus en plus de couvrir des dommages non accidentels. Il
convient donc de définir les dommages accidentels (1) ainsi que les dommages non
accidentels (2) pouvant être garantis.

1°. Les dommages accidentels

L’accident est traditionnellement défini comme « tout événement soudain, imprévu et
extérieur à la victime ou à la chose endommagée »(171). Le caractère soudain peut se traduire
par une survenance subite de l’événement source du dommage. L’imprévisibilité de
l’événement n’est autre que l’aléa. L’extériorité requise, quant à elle, signifie seulement que
le bien ou la personne victime doivent avoir un rôle passif dans la réalisation du dommage.

Le dommage accidentel recouvre une multitude de cas, comme par exemple explosion
de bouteilles, éclatement d’un pneumatique, rupture soudaine et inattendue d’un arbre de
transmission ou de pièces mécaniques.

La réalisation de l’événement et la constatation de ses effets dommageables peuvent
être très éloignés dans le temps, rendant ainsi difficile la preuve des différentes
caractéristiques de l’accident. Afin de faciliter cette preuve, certains assureurs prévoient la
concomitance entre la soudaineté de l’événement et la constatation du dommage.

2°. Les dommages non accidentels

Le dommage d’origine non accidentelle est celui qui ne se produit pas de manière
brusque mais de façon lente et progressive, les caractères d’extériorité et d’imprévisibilité
demeurant quant à eux nécessaires(172).

Ce sera par exemple une intoxication, des maladies dues à des produits chimiques ou
médicamenteux, l’usure prématurée de pièces, la fatigue anormale du matériel, la corrosion
chimique, l’oxydation, le dépôt excessif de rouille ou de tartre.

C’est une notion du dommage plus favorable à la victime du fait de son domaine plus
large et d’une preuve plus facile à rapporter. C’est d’ailleurs celle que retiennent
généralement les assureurs de responsabilité civile en matière de produits livrés. Cette
définition pose tout de même certaines questions notamment quant au caractère
d’imprévisibilité, indispensable à la mise en jeu de la garantie. Compte tenu de ses modalités
de réalisation, le dommage n’était-il pas prévisible ? « Dès lors, la garantie du contrat
d’assurance lui est-elle bien acquise ou faut-il considérer que l’aléa est absent, l’assuré ayant
laissé se développer une situation objectivement dommageable »(173) ? Ces problèmes sont
souvent difficiles à résoudre et ne trouveront de solution qu’au cas par cas en examinant la
cause du dommage grâce à une expertise.

B – Les dommages couverts

L’assurance de responsabilité civile produits livrés ne couvre que les dommages
causés par le produit livré à son environnement ou aux tiers. Ils peuvent être de trois natures
différentes : les dommages corporels(1), les dommages matériels(2) et les dommages
immatériels(3), et ils ne sont pas toujours tous couverts par la police d’assurance. Il convient
de se référer au contrat afin de connaître les dommages garantis.

1°. Les dommages corporels

Le dommage corporel est souvent défini comme tout préjudice pécuniaire résultant
d’une atteinte à l’intégrité physique d’une personne. Cette définition intègre le décès, les
lésions corporelles et tous les préjudices en découlant. Cela recouvre par exemple les frais
médicaux ou pharmaceutique ou encore les préjudices pécuniaires pour les ayants droit du
défunt(174).

Une interprétation stricte de cette définition pourrait conduire à exclure les atteintes à
l’intégrité psychique de la victime(175). Cependant, il est possible d’admettre que les préjudices
découlant de cette atteinte à l’intégrité physique peuvent se caractériser par une atteinte à
l’intégrité psychique et ainsi être couverts par la police. Ces préjudices moraux ne sont malgré
tout pas faciles à garantir. Essentiellement subjectifs, leur vérification ainsi que leur
indemnisation n’est pas des plus aisées, ce qui peut pousser certains assureurs à refuser cette
garantie.

Certains professionnels de l’assurance, comme Gras Savoye par exemple, incluent les
atteintes morales dans les dommages corporels couverts par la police d’assurance(176). La
pratique n’est encore une fois pas uniforme. Il est indispensable d’être attentif à la définition
présente dans le contrat et à l’interprétation à laquelle elle peut donner lieu.

2°. Les dommages matériels

L’assureur doit apporter une grande attention à la définition de ce poste de préjudice
puisqu’en pratique c’est le plus fréquent. De plus, lorsque la garantie de se dommage se
fonde sur la loi de 1998(177), l’assureur doit se conformer à cette législation qui prévoit une
franchise obligatoire d’un montant minimum de 500 €.

Le dommage matériel est « tout préjudice pécuniaire résultant de toute détérioration
ou destruction d’une chose ou substance, toute atteinte physique à des animaux »(178). Cela
comprend la détérioration, la dégradation, la dénaturation(179) ou encore la perte de la chose.

Pour que ce dommage matériel, sous quelque forme qu’il soit, soit couvert, il est
indispensable qu’il touche un bien autre que le produit livré lui-même puisque les dommages
subis par ce dernier sont exclus du champ d’application de la garantie(180).

Deux de ces dommages peuvent poser des difficultés de garantie à l’assureur. Couvrir
la perte oblige l’assureur à prendre en charge des préjudices causés au tiers par la perte de
produits liquides ou gazeux contenus dans un récipient fourni par l’assuré, dont l’étanchéité
est défectueuse(181). Dans le cas de l’altération, le bien n’est alors pas réellement impropre à la
consommation mais il y a une inadéquation entre l’objet et l’usage que veut en faire son
utilisateur. Cette impropriété à l’usage du produit et le préjudice en résultant peuvent être
compris dans les dommages matériels dès lors qu’ils sont la conséquence directe d’une
destruction ou détérioration du produit. Cependant, lorsqu’elle n’est pas consécutive à un tel
dommage, l’impropriété à l’usage ne devrait pas pouvoir être réparée au titre d’un dommage
matériel. Certaines polices d’assurance prévoient l’altération dans le cadre des dommages
matériels sans distinction de la source de celle-ci, afin d’éviter toute discussion sur le sujet et
d’obtenir l’indemnisation la plus large possible(182). Mais cette incorporation n’est pas sans
conséquence puisque couvrir l’altération du produit lui impose la garantie des préjudices
commerciaux résultant de la mévente de produits non défectueux, en ce sens qu’ils ne sont pas
nocifs, mais que leur apparence est altérée parce qu’ils ont été traités par des composants
fournis par l’assuré(183). L’altération est également soumise à une appréciation plus subjective
du préjudice, rendant sa prétention plus aisée. Si l’altération ne peut être couverte par les
dommages matériels, l’assuré peut éventuellement être garanti au titre des dommages
immatériels.

3°. Les dommages immatériels

Traditionnellement, le dommage immatériel est défini comme « tout préjudice
pécuniaire résultant de la privation de jouissance d’un droit, de l’interruption d’un service
rendu par une personne ou par un bien ou de la perte d’un bénéfice »(184). C’est le cas
notamment de la perte d’exploitation. Cette définition-type recouvre différents préjudices qui
ne sont pas couverts de la même manière : les dommages immatériels consécutifs et les
dommages immatériels non consécutifs(185).

Les dommages immatériels consécutifs représentent tous les préjudices pécuniaires
subis par la victime dès lors qu’ils sont la conséquence directe d’un dommage matériel ou
corporel pris en charge par la police. C’est par exemple le cas d’un produit fourni par l’assuré
à un tiers et qui endommage un bien appartenant à ce dernier, le privant ainsi de sa jouissance.

Ce type de dommage est normalement couvert par l’intégralité des contrats d’assurance
circulant sur le marché. Lorsque ce dommage immatériel est consécutif à un dommage non
garantie par la police d’assurance, il est plus difficile pour les assureurs d’accepter de le
couvrir. En effet, la police ne prévoyant pas l’indemnisation du dommage direct, pourquoi en
garantirait-elle les conséquences ? Or, dans l’optique certainement de ne pas pénaliser les
victimes, de plus en plus d’assureur acceptent de les couvrir.

Enfin, la dernière catégorie de dommages immatériels concerne les dommages
immatériels non consécutifs ou encore dommages immatériels purs qui consistent dans tous
les préjudices pécuniaires subis par l’assuré sans que ces derniers soient en lien avec un
quelconque dommage. Les assureurs se montrent très réticents à couvrir ce type de préjudice
puisque, sans limitation, cela les expose à un risque d’une trop grande ampleur, notamment du
fait de son domaine très large(186). Ils sont donc exclus des garanties de base de la police
d’assurance de responsabilité civile après livraison. Dès lors qu’il prévoit cette exclusion,
l’assureur prendre garde à l’emplacement de la clause pour savoir si elle s’applique
uniquement à la garantie de la responsabilité civile exploitation ou s’étend à la garantie
responsabilité civile produits livrés, lorsque ces deux garanties sont prévues par la même
police(187). Une extension peut malgré tout être prévue par l’assureur mais elle n’aura pour
objet que de « soulager l’assuré des indemnisations mises à sa charge au titre de ces
dommages »(188).

Certaines polices ont une vision plus large et définissent le préjudice immatériel par la
négative : « tout dommage ne répondant pas à la définition des dommages corporels ou
matériels »(189). Cet élargissement de la notion ne se conçoit que s’il est assorti de garde-fous,
au niveau des exclusions notamment, sous peine de donner au contrat d’assurance de
responsabilité civile produits livrés une extension qui ne fait pas nécessairement partie de son
champ d’application(190). L’assureur devra également prendre des précautions, comme des
plafonds de garantie ou des franchises spécifiques aux dommages immatériels.

170 CHAUMET F., Assurance de responsabilité de l’entreprise, 4ème édition, l’Argus de l’assurance, 2008, p. 270
171 KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2239, Editions Lamy, 2010
172 KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2239, Editions Lamy, 2010
173 KULLMANN J., op. cit. note 172174 KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2240, Editions Lamy, 2010
175 ASTEGIANO-LA-RIZZA A., Cours Magistral sur la Responsabilité et les Assurances des entreprises,
Institut des Assurances de Lyon, promotion 2010/2011.
176 Intercalaire Gras Savoye, Conventions Spéciales Assurance Responsabilité Civile Générale, 25 mai 2011,
(Annexe n°2).
177 Loi n° 98-389 relative à la responsabilité des produits défectueux du 19 mai 1998, J.O. du 21 mai 1998
modifié par la loi n°2004-1343 du 9 décembre 2004, J.O. du 10 décembre 2004, et par la loi n°2006-406 du 5
avril 2006, J.O. du 6 avril 2006.
178 KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2242, Editions Lamy, 2010
179 KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2243, Editions Lamy, 2010 : « cette notion vise notamment la situation
créée par des produits miscibles dont le mélange, irréversible, a pour effet, en modifiant les caractéristiques de
leurs substances, de les rendre totalement impropres à toute utilisation ultérieure ».
180 Pour l’exclusion des dommages subis par le produit lui-même voir infra Titre 2 p.51
181 BIGOT J., Les ambiguïtés de la responsabilité et de l’assurance du fait des produits défectueux, La semaine
juridique, Edition générale, n°41, octobre 2010, 1014
182 Intercalaire Gras Savoye, Conventions Spéciales Assurance Responsabilité Civile Générale, 25 mai 2011,
(Annexe n°2).
183 BIGOT J., Les ambiguïtés de la responsabilité et de l’assurance du fait des produits défectueux, La semaine
juridique, Edition générale, n°41, octobre 2010, 1014
184 KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2245, Editions Lamy, 2010
185 Voir annexe n°5
186 COURTIEUX G., RCA, fasc. 581-40, Editions du Juris-Classeur, 25 juillet 2004 ; Voir également,
KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2248, Editions Lamy, 2010
187 Cass. Civ.2ème, 18 mars 2010, n° 08-21.775 ; JurisData n° 2010-002168 ; RGDA 2010, p. 424, note J. Bigot.
188 GIRERD B., Les exclusions dans l’assurance « RC produits livrés », Institut des Assurances de Lyon,
mémoire dirigé par Axelle ASTEGIANO-LA-RIZZA, promotion 2004/2005.
189 Intercalaire Gras Savoye, Conventions Spéciales Assurance Responsabilité Civile Générale, 25 mai 2011,
(Annexe n°2).
190 KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2249, Editions Lamy, 2010

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