Institut numerique

2. Etude des données planimétriques

2.1. Cartes et cadastres

Pour cette première approche de cartographie historique, le travail est basés sur la Mappe Sarde (ou cadastre sarde), document spécifique à l’ancien royaume de Savoie, daté du XVIIe s. L’apport des données spatiales par le biais des documents planimétriques et cadastraux est depuis longtemps reconnu en archéologie et en histoire médiévale. À notre connaissance, la mappe sarde n’a pas encore été utilisée dans ce domaine. Aussi, nous ignorons donc quels types d’informations elle peut apporter, et par conséquence leurs pertinences et l’utilisation possible de celles-ci pour notre questionnement.

Après s’être familiarisé avec ce document, son histoire, et les recherches dont il a fait l’objet, il apparaît que le cadastre sarde jouit d’une très grande notoriété. En effet, il s’agit du plus ancien cadastre généralisé sur le territoire français actuel, réalisé avant le cadastre dit napoléonien. Il est à l’origine de documents cartographiques aquarellés, impressionnants par leurs tailles(49) et leurs qualités, qui font la fierté des archives départementales et l’admiration du grand public(50). Cette notoriété a longtemps éclipsé les documents cadastraux et planimétriques antérieurs, qui commencent juste à attirer l’attention des chercheurs(51).

La mappe sarde a concentré le travail de cette année, mais d’autres documents planimétriques sont disponibles. Ils ont été utilisés ponctuellement, mais n’ont pas fait l’objet d’étude approfondie ou de géoréférencement précis.

La carte de Mathieu Thomassin (1436) est conservée aux Archives départementales de l’Isère, cote B 3274 (figure 30). Ce document a été réalisé pour figurer la frontière entre Savoie et Dauphiné au XVe siècle. Difficile à appréhender en raison de l’écriture médiévale, ce document sur parchemin se retourne pour se lire dans les deux sens. Il s’agit plus d’une carte schématique sans échelle, mêlant vue semi-plongeante et en perspective. On y reconnaît les routes et le réseau hydrographique figurés schématiquement par des traits parallèles.

La carte anonyme du XVIe siècle (figure 31), conservée aux Archives départementales de l’Isère, est dans un bon état de conservation sauf pour son centre où le pli a effacé le dessin. Le contexte de réalisation de ce document est inconnu. Il ne s’agit pas d’une vraie carte, mais plutôt de ce que l’on pourrait appeler une « carte mentale ». L’auteur y a représenté l’espace au pied du Granier en mélangeant « vue à vol d’oiseau » et schéma. Les principales routes sont figurées entre les villes. Le réseau hydrographique est représenté, les lacs importants sont nommés, les moulins et ponts sont dessinés. Des étiquettes signalent ponctuellement vignes, lieux dits, ou bois. La pierre hachée et le mollard de Saint André sont placés. Enfin une succession de petits mollards sont dessinés dans la plaine.

La carte du Sieur Roussel de 1711 (figure 32), conservée à l’IGN, est un très beau plan en couleur à usage militaire pour les troupes stationnées sur la frontière entre la Savoie et la France. Les données hydrographiques et le relief y sont donc très précisément figurés ainsi que les routes et habitats, si bien que des informations précises pourront en être tirées.

A l’échelle qui nous intéresse la carte de Cassini (royaume de France) est assez peu précise (figure 33), elle dessine juste la cluse de Chambéry. On peut cependant y repérer les points importants du paysage des Abîmes, mais leurs emplacements sont assez aléatoires. Par exemple le hameau de Chacusard est placé à l’ouest d’Apremont alors qu’il se trouve en réalité à l’est.

La carte d’état-major en couleurs (figure 34), est notamment très précise pour le relief. La jonction entre les différentes cartes se fait malheureusement au niveau de la vallée de l’Isère. Y sont figurés un grand nombre des accidents topographiques que forment les mollards. Il serait intéressant d’approfondir l’étude de cette carte, afin de savoir s’il s’agit d’un simple remplissage ou bien du relevé fidèle du relief des Abîmes.

Le cadastre réalisé dans la seconde moitié du XIXe siècle dit « premier cadastre français » (figure 35) a servi de base à la réalisation du cadastre rénové du XXe siècle. Les tableaux d’assemblages des communes des Marches, Myans et Apremont permettent de relever les informations de reliefs, réseaux hydrographiques et d’organisation générale (routes, habitats), c’est pourquoi ce sont les seuls que nous ayons géoréférencé.

Dans cette étude des données planimétriques, seule la mappe sarde a donc été analysée en détail (suite page 66).

Figure 30 : La carte de Mathieu Thomassin (1436) conservée aux Archives départementales de l’Isère, cote B 3274.

Figure 31 : Carte anonyme du XVIe siècle, archives départementales de l’Isère.

Figure 32 : Carte du Sieur Roussel 1711, conservée à l’IGN.

Figure 33 : Extrait de la carte de Cassini, site internet géoportail, le point rouge est à l’emplacement du village des Marches.

Figure 34 : Carte d’Etat-major en couleurs, site internet géoportail.

Figure 35 : Les tables d’assemblages du premier cadastre français géoréférencées sur l’extension de l’éboulement du mont Granier.

2.2. La mappe sarde

2.2.1. Histoire de la mappe sarde(52)

Au début du XVIIIe siècle, pour la première fois en Europe, un projet de cadastration moderne est mené. A cette époque, les rois européens ont voulu améliorer leurs systèmes fiscaux dans le but de répartir égalitairement l’impôt, ce qui signifiait notamment réduire les avantages dont bénéficiaient le clergé et la noblesse. C’est dans ce contexte que le roi du Duché de Savoie, Victor-Amédée II, a ordonné la réalisation d’un cadastre sur l’ensemble de son territoire. Cet ambitieux projet concernait donc la Savoie, la Haute-Savoie, la vallée d’Aoste et le Piémont, soit plus de quatre millions de parcelles. Ce cadastre devait fournir la superficie de chaque commune, ainsi que l’étendue et la description précise de tous les biens possédés, qu’il s’agisse de propriétés individuelles ou communes, afin de calculer les taxes au plus juste. Les parcelles sont donc dessinées selon leurs propriétaires, leurs types de cultures mais aussi leur « rendement », désigné par un « degré de bonté » (ce degré s’échelonne de 0 à 3 selon la richesse de la terre). Le cadastre sarde est conçu en une dizaine d’années, ce qui est très rapide pour l’époque, grâce à un système d’équipes extrêmement efficace.

Une vingtaines d’escadres sont formées, chacune se composant de six équipes de trois hommes : un géomètre, un mesureur et un estimateur. Une escadre est chargée de cadastrer six communes voisines en même temps, ce qui permet d’harmoniser d’une part les frontières communes, et d’autre part l’estimation des natures de sols et de cultures. Dans cet objectif politique d’égalité, des auxiliaires communaux désignés par les habitants sont adjoints aux équipes afin d’éviter tout préjudice. Ce travail réalisé entre 1728 et 1738 aboutit à la réalisation d’une « mappe » (terme savoyard désignant le cadastre) pour chaque commune à l’échelle 1/24 000 en une seule pièce, à laquelle s’ajoute tout une série de registres (voir figure 36 ).

Ces livres, au maximum dix, comportent des informations spécifiques pour chaque parcelle. Ils ne sont pas tous parvenus jusqu’à nous, mais en général les archives possèdent au moins la « tabelle générale ». Celle-ci reprend l’ensemble des informations des parcelles classées par ordre alphabétique du nom du propriétaire. L’historien du paysage peut aussi avoir recourt à la « table des numéros suivis de l’estimateur ». C’est le document original sur lequel l’estimateur a inscrit la nature du sol et le degré de bonté, cette fois-ci dans l’ordre numérique des parcelles.

2.2.2. Historiographie de la mappe sarde

Le cadastre sarde a été utilisé dès le XIXe s., en particulier pour les études d’histoire sociale. En 1955, l’article Le cadastre savoyard de 1738 et son utilisation pour les recherches d’histoire et de géographie sociale(53), marque une période où les chercheurs s’attachent à l’exploiter pour comprendre les trajectoires et devenirs de la noblesse et de la bourgeoisie, au travers de leurs propriétés. La thèse La Savoie au XVIIIe siècle : noblesse et bourgeoisie(54), est représentative de cette usage. En 1980, le Musée savoisien de Chambéry organise une exposition de la mappe sarde qui remet en lumière ces documents exceptionnels, et les fait connaître auprès du grand public(55).

Les autorités entreprennent alors un large plan de sauvegarde et de mise à disposition. Les archives départementales de Savoie et Haute-Savoie ont commencé la numérisation des mappes, consultables sur un site internet pour le département de la Savoie(56). C’est dans ce contexte que Dominique Barbero(57) a entrepris un projet ambitieux avec les services d’archives de ces deux départements.

Suite à sa thèse soutenue en 2001, dans laquelle il a démontré l’intérêt du cadastre sarde comme base de données territoriale et patrimoniale, ce chercheur travaille depuis à la constitution d’un «Système d’Informations Géographiques historiques»(58). Il s’agit d’obtenir l’ensemble des informations disponibles dans les différents registres cadastraux pour une parcelle, au moyen de la numérisation et d’un SIG. A ce jour, environ quatre cents communes ont été réalisées, sous la forme d’un cédérom pour chacune. Ceux-ci contiennent le relevé des données attributaires pour chaque parcelle, accompagné d’un certains nombres de cartes (format image) dressées par l’auteur.

Enfin, il faut souligner la très récente thèse de Dominique Baud qui s’est attachée à étudier les dynamiques spatio-temporelles d’occupations du sol et des changements environnementaux dans les Alpes à partir des archives cadastrales. Ce travail d’étude des dynamiques paysagères a notamment nécessité la mise en place d’une méthodologie(59) afin d’analyser conjointement les cadastres du XVIIIe s. (mappe sarde) et du XIXe s. (premier cadastre français).

2.2.3. Présentation des documents disponibles

Les mappes sardes des deux communes de Les Marches et Apremont sont en fait trois documents distincts. Au moment de la réalisation de la première génération du cadastre sarde, la commune des Marches n’a pas encore sa physionomie actuelle : elle a perdu en 1881 une partie de son territoire nord-ouest qui devient la commune de Myans, et le territoire sud-ouest est acquis en 1760(60). Nous disposons donc de trois mappes distinctes : deux sont réalisées dans les années 1730 (Apremont et Les Marches/Myans), la troisième trente ans plus tard. Elle porte sur une partie du territoire qui n’avait pas été cartographiée car elle se trouvait sur la commune de Chapareillan alors française (voir figure 37). Un nouveau levé a donc été ordonné.
Documents disponibles :

– La mappe 232 sur laquelle se trouve les bourgs de Les marches et Myans réalisée en 1732,
– La mappe 232 bis pour les nouvelles limites des Marches acquises en 1760 et réalisée en 1762,
– La mappe 163 qui correspond à la commune actuelle d’Apremont dont les frontières n’ont jamais changées.

Ces trois mappes ont été numérisées(61) et sont visibles sur le site internet des archives départementales. Nous avons ainsi pu nous familiariser avec ces documents et juger de leur qualité. Elles sont dans des états de conservations très différents(62). La mappe des marches de 1732 est très abimée : de nombreux trous sont présents, et le remplissage aquarellé des parcelles a presque disparu. En comparaison celle de 1762 apparait dans un très bon état, elle ne présente aucun trou, et les couleurs sont correctes. La mappe d’Apremont est dans un état intermédiaire : des trous sont visibles, mais l’aquarelle semble s’être extrêmement bien conservée avec la présence d’une zone importante colorée en « vert d’eau ». Pour ces trois documents les plis sont visibles, ce qui ne va pas sans rappeler leurs tailles de plusieurs mètres(63) qui ont nécessité leurs conservations fermées.

Figure 36 : La mappe sarde

Figure 37 : Localisation des mappes sardes étudiées

Figure 38 : Qualité des mappes sardes étudiées

 

2.2.4. Acquisition et lecture des données

Le chapitre suivant est présenté selon la chronologie de la recherche effectuée. La méthodologie mise en oeuvre s’inspire de celles des deux articles Méthodologie pour l’analyse des dynamiques paysagères à partir d’archives cadastrales (XVIIIe et XIX siècles). L’étude de cas d’un village savoyard : Sardières (Baud, 2009, p. 27) et Anciens cadastres et évolution des paysages. Cartographie historique de l’occupation des sols dans les Alpes de Savoie, France (Eynard-Machet, 1993).

Le premier travail a consisté en la lecture et l’appréhension des mappes qui aboutit à la proposition d’un guide de lecture présenté dans les pages précédentes(64).

Elles ont ensuite été géoréférencées sur le cadastre actuel dans le logiciel Arcgis. Le peu de points de calages possibles et la précision moyenne des cartes ne permettent pas un géoréférencement correct sur la dalle IGN(65). Leur état de conservation explique en partie ce problème, mais pose aussi la question de la qualité même de ces documents, qui ont pourtant longtemps été décrit comme « un miracle de géométrie ». Nous rejoignons ici les remarques récentes de D. Barbero et D. Baud qui nuancent cette idée (« […] il n’est pas possible d’obtenir un calage vraiment « parfait » compte tenu des déformations des plans anciens.» (Barbero D. , 2010, p. 7).

Un compromis a donc été trouvé entre un géoréférencement correct, et la déformation la moins contraignante de la mappe (pour garder lisible notamment les numéros de parcelles) qui aboutit à un décalage de l’ordre d’une dizaine de mètres.

Dans un second temps, le travail a porté sur les informations disponibles dans les deux cédéroms édités par Dominique Barbero(66) qui a relevé l’ensemble des données pour les mappes des Marches et d’Apremont de 1732, mais pas pour le territoire des Marches de 1760. Son travail permet entre autre d’avoir directement accès à des cartes plus claires que les originaux, mais aussi aux données attributaires relevées dans les registres cadastraux pour chaque parcelle (numéro, nature des parcelles, propriétaire…) (voir Figure 39).

Malheureusement, le lien entre les deux (données attributaires et cartes) n’est pas disponible puisque les cédéroms ne contiennent pas les fichiers géoréférencés. Chaque interrogation nécessite donc un aller-retour entre carte et tableau de données. Cet aller-retour permet de comprendre que le remplissage aquarellé des parcelles sur la mappe correspond a de grandes « familles » de nature de sol. Mais les registres contiennent une information souvent beaucoup plus fine, avec un nombre beaucoup plus important de catégories. De plus, les styles graphiques de remplissage varient entre les différentes mappes. Après cet examen, il apparaît donc qu’il n’est pas possible d’étudier la mappe sarde en dissociant le document cartographique de ses registres cadastraux.

Figure 39 : Exemple de données disponibles sur les cédéroms de D. Barbero (carte de la nature des sols pour Apremont et extrait du tableau de données attributaires).

Nous avons décidé de compléter le travail qui n’avait pas été réalisé par Dominique Barbero sur la partie du territoire des Marches acquis en 1760(67). En effet, ce territoire représente aujourd’hui plus d’un tiers de la commune actuelle, et se trouve entièrement dans la zone recouverte par l’éboulement de 1248. Il paraissait donc extrêmement intéressant de pouvoir l’ajouter à l’étude. Plusieurs jours de travail aux archives départementales de Savoie ont été nécessaires (voir figure 40). Les données ont été saisies dans le logiciel de tableur Microsoft Excel(68). Pour chaque numéro de parcelle a été relevé : le propriétaire, le lieu-dit, la nature du sol, et le degré de bonté.

Le premier document de travail a été le Livre des numéros suivis ( ADS – C 3194). Il s’agit d’un gros volume d’une centaine de feuillets titré : «Livre des Numéros suivis relatty a la Mappe des Terres Demambrées de Chaparillian et Belle Combe et unies à la Paroysse des Marches fait en l’anné 1761 ». Les feuilles présentent un tableau de cinq colonnes et de six à huit lignes dans lesquelles sont reportées pour chaque parcelle : son numéro relatif à la mappe, les noms et surnoms des possesseurs de fonds ainsi que leur ascendance, leur présence ou absence au moment de la visite du géomètre, la «qualité des fonds » (c’est à dire la nature de la parcelle), et enfin la surface en mesure de Piémont et de Savoye ( qui se divisent chacune en unités : journaux, tables, pieds). L’ordre adopté par le géomètre est celui des parcelles qui commence au numéro 2961 pour s’achever au 4224.

Les parcelles sont réunies par Mas, celui-ci étant précisé à chaque changement ou nouvelle page. L’existence d’une copie de ce volume ( ADS – C 3195) a permis de faire un aller-retour entre les deux documents en cas de doute afin de combler les données lacunaires ou illisibles. Il faut noter qu’à la fin de ce volume se trouve un fascicule d’une vingtaine de pages qui comprend la description complète de la nouvelle frontière de 1760.

Dans un second temps le Livre des numéros suivis des estimateurs (ADS – C3196) a été utilisé. Dans ce volume sont consignés les revenus de chaque parcelle afin de calculer au plus juste l’impôt des propriétaires. Il reprend donc les mêmes informations que précédemment, en y adjoignant un degré de bonté compris entre un et quatre. Comme le lecteur l’aura remarqué, il y a une différence avec les degrés de bonté de la mappe sarde de 1730 qui eux s’échelonnaient de 0 à 3. Fort heureusement, l’un des estimateurs a pris la peine de préciser ses modes de calcul en ajoutant à la fin du livre une demi-douzaine de pages manuscrites dont la lecture apporte des informations sur le paysage de ce territoire(69).

Enfin, le tableau de données a été comparé avec La tabelle générale, afin de vérifier et corriger les problèmes rencontrés. La base de données obtenue concerne mille trois cent trois parcelles (figure ci-dessous). Pendant l’ensemble de ce travail un aller-retour constant entre les cartes et les registres a été nécessaire pour éclaircir certains numéros ou informations illisibles en procédant par déduction, ou encore vérifier les orthographes. Il a d’ailleurs été surprenant de trouver plusieurs orthographes pour un même lieu(70), y compris sur la tabelle générale où, au contraire on s’attendrait à trouver une certaine harmonisation puisqu’il s’agit d’un travail de recopie et d’assemblage.

Figure 40 : Extrait des données attributaires saisies dans Excel et classées par numéros de parcelles. Territoire rattaché en 1760 à la commune des Marches

Figure 41 : Travail de lecture des registres cadastraux

2.2.5. Premiers traitements

La palette de renseignements disponibles avec la mappe sarde est importante. Dans le
contexte d’une interrogation sur le paysage et son organisation ce sont les données sur la
nature du sol qui intéressent. Le classement des données brutes permet d’obtenir les trois
schémas suivants (figures 42, 43 et 42).

Figure 42 : Répartition des parcelles par nature du sol – Mappe d’Apremont 1730

La mappe sarde d’Apremont totalise mille neuf cent quatre-vingt-six parcelles, réparties en quatrevingt-une catégories différentes : Battoir de chanvre, Blachère, Bois, Bois et broussailles, Bois peupliers, Bois sappin, Bois taillis, Broussailles, Broussailles et pâturage, Cellier, Champ, Champ et maison, Chapelle, Châtaigniers, Château jardin et grange, Chenevier, Cimetière, Eglise maison et parterre, Essert, Essert et broussailles, Four, Four banal, Grange, Grange et cour, Gravier, Isle du lac, Jardin, Lac, Lac Chevilliard, Lac Coupet, Lac du Rouble, Maison, Maison et cour, Maison et grange, Maison et placcage, Maison grange, Maison grange et cour, Marais, Masure, Masure de maison, Masure de moulin, Masure et cour, Masures, Moulin à deux roues, Partie du Lac Charbonier, Pâturage, Pâturage et broussailles, Petit lac, Peupliers, Placcage, Placcage et masure, Place et chapelle de St Vitte, Placeage, Portion d’un petit lac, Pré, Pré blachère, Pré broussailles et paturage, Pré et broussailles, Pré et chataigniers, Pré marais, Pré marais soit blachère, Pré sablé, Pré soit
blachère, Pré verger, Ravine, Rocher, Rocher et broussailles, Rochers, Scie et édifice, Teppe, Teppe broussailles, Teppe et gravier, Teppe et roch, Teppe inculte, Teppe sablée, Teppe soit pâturage, Teppe soit terrain inculte, Terrain inculte, Terrain sablé, Verger, Vigne.

Figure 43 : Répartition des parcelles par nature du sol – Mappe des Marches 1730

La mappe sarde des Marches pour le territoire de 1730 totalise trois mille cinquante-six parcelles réparties en cinquante-deux catégories : Blachère, Bois, Bois et broussailles, Bois et taillis, Broussailles, Champ, Château, Cour, Couvent et église, Eau morte, Eglise et cimetière, Fossé rempli d’eau, Four, Grange, Grange et masure, Grange et place, Grange et placéage, Grange et ruine, Jardin, Jardin et masure, Le molard de l’église des marches, Les communaux, Maison, Maison et cour, Maison et grange, Maison et jardin, Maison et place, Maison et placéage, Maison, cour et grange, Maison, cour et jardin, Maison, four et pré, Maison, grange et cour, Maison, place et jardin, Maison, pré et four, Masure, Masure et place, Masure et placéage, Pâturage, Placéage, Pré, Pré et blachère, Pré et broussailles, Pré et four, Pré et grange, Pré et marais, Pré et verger, Pré marais, Sol et place de la chapelle, Teppe, Teppe et broussailles, Teppe et pâturage, Vigne

Figure 44 : Répartition des parcelles par nature du sol – Mappe du nouveau territoire des Marches 1760

La mappe sarde des Marches pour le nouveau territoire de 1760 totalise mille cent quatre-vingt-dix-sept parcelles réparties en vingt-quatre catégories : Bois, broussailles, broussailles et pâturages, cellier, cellier et pâturage, champ, cour, grange , gravier, jardin, lac, maison, marais, marais et broussailles, pâturage, pâturage et gravier, pré, pré et broussailles, pré et grange, pré marais, teppe, terrain inculte, vigne, vigne et broussailles.

L’examen des natures de parcelles pour les trois mappes appelle quelques remarques. Tout d’abord, nous ne pouvons que nous étonner de leur multiplicité (jusqu’à quatre-vingt-deux). Nous pouvons y voir la volonté des géomètres et estimateurs de rendre compte le plus fidèlement possible de la réalité (n’oublions pas que la mappe sarde est avant tout un document fiscal).

Mais cela signifie aussi que, malgré la grande organisation de cette entreprise, les autorités n’ont pas été jusqu’à prédéterminer des catégories de nature de sol et ce, même si la « charte graphique » semble aller dans ce sens. C’est une chance pour le chercheur qui peut obtenir une information très précise et sans doute assez fiable. Ainsi il est indiqué que sur la commune d’Apremont se trouve non pas une forêt, mais un bois de châtaigniers et de sapins. Cette précision peut permettre d’imaginer différentes pratiques : récolte de châtaignes, exploitation du sapin pour la construction…. Il faut noter que la mappe des Marches de 1730 ne signale pas de lacs ou de pièces d’eau, fait surprenant puisque l’extrémité du lac de Saint-André se trouve pourtant sur ce territoire.

Cependant, pour nous qui cherchons à dresser un portrait général du paysage à l’échelle de plusieurs communes, cette multiplicité représente une difficulté. Comment comparer et rendre lisible une telle quantité d’informations ? En effet les cartes de D. Barbero, qui sont faites sans aucun traitement des données, donnent une information peu lisible (avec entre autre l’obligation d’employer des tonalités de couleur très proches pour représenter toutes les catégories). Il apparait donc comme nécessaire de créer des catégories pertinentes pour rassembler les natures de parcelles approchantes ou relevant de la même pratique culturale(71).

Il convient donc de s’interroger sur les types d’informations à exploiter, et comment les traduire de façon pertinentes, puisque qu’un degré de précision va être perdu. Comme le souligne D. Baud, ce travail est aussi une nécessaire interrogation sur l’usage des sols et le vocabulaire employé au XVIIIe s. pour le traduire. Par exemple, le mot « teppe » (voir glossaire) désigne une terre laissée inculte. Pourtant ces parcelles de teppe ont toutes un degré de bonté (contrairement aux parcelles incultes qui n’en ont pas). Il pourrait s’agir de parcelles laissées volontairement à l’abandon, mais qui ont un potentiel de culture utilisé à certains moments (sécheresse…)(72). L’un de nos questionnements portant sur le nouveau réseau hydrographique créé par l’éboulement du mont Granier, il est souhaitable de garder une information fine sur les zones humides.

Ainsi, ont été considérés comme zones humides les marais, mais aussi les « blachères ». La blache ou bleche (voir glossaire) est une herbe qui pousse en zone humide et qui pouvait servir de nourriture au bétail. C’est pourquoi les parcelles qui en sont pourvues ont un degré de bonté, et donc une taxe. Cette information permet de reconstituer fidèlement les zones humides.

Ont été retenues neuf catégories : bâti, pièces en eau, zones humides, terres incultes, pâturages, terres arables, prés, vignes, et zones boisées. L’ensemble des parcelles des trois mappes étudiées ont été réparties selon ce nouveau classement.

Pour terminer, nous avons effectué un travail de digitalisation sur la mappe du territoire des Marches de 1760. Le temps nous étant compté, nous avons seulement relevé les grands ensembles de cultures selon les neufs catégories précisées ci-dessus dans le but d’obtenir la surface totale de chacune d’entre elles. En raison des problèmes de géoréférencement évoqués précédemment, le contour des parcelles relevé diffère donc de quelques mètres avec les parcelles actuelles (voir figure ci-dessous). Cela signifie que si nous souhaitons une information précise, pour travailler à un zoom plus petit, un nouveau travail de transfert des données sur la dalle IGN doit être effectué.

Figure 45 : En rouge le parcellaire actuel géoréférencé sur la mappe sarde.

Ce premier travail permet d’obtenir les grands ensembles de nature de culture pour ces trois territoires leur pourcentage ainsi que leur organisation spatiale (figures 46, 47, 48). Pour faciliter la lecture, nous avons choisi des couleurs qui correspondent à celles proposées par D. Barbero. Nous présentons ci-dessous les résultats bruts qui sont analysés dans la troisième partie de ce mémoire.

Sont présentés nature des sols et pourcentage pour chaque mappe : Apremont, Les Marches 1730, Les Marches 1760, puis la totalité des trois mappes (figures 49à 53).

Figure 46 : Apremont nature des sols, carte dressée par D. Barbero

Figure 47 : Les Marches territoire de 1730 nature des sols, carte dressée par D. Barbero

Figure 48 : Les Marches territoire acquis en 1760, nature des sols

Figure 49 : Graphique de répartition de la nature des sols – Mappe d’Apremont 1730

Figure 50 : Graphique de répartition de la nature des sols – Mappe des Marches 1730

Figure 51 : Graphique de répartition de la nature des sols – Mappe des Marches 1760

Figure 52 : Graphique de répartition de la nature des sols pour l’ensemble des mappes étudiées

Figure 53 : Carte schématique de la nature des sols pour les trois mappes étudiées (d’après Barbero)

49 Le plus grand document des archives de France est la mappe sarde de la commune de Chamonix qui mesure soixante-cinq mètres carrés.
50 Le cadastre sarde a fait l’objet d’une importante exposition au musée de Chambéry en 1981, qui l’a fait connaître auprès du grand public (Musée Savoisien, 1981).
51 Deux articles abordent ce sujet : Les documents cadastraux antérieurs au cadastre sarde (Viallet, 1996) et Les cadastres en Savoie au XVIIe siècle (Perrillat, 2003). Aucun des deux auteurs ne signale de documents conservés pour notre zone d’étude, mais il s’agit d’un point qui appelle à vérification.
52 Sur l’histoire de la mappe sarde et son contexte de réalisation on se réfèrera à : (Baud, 2009, pp. 22-25), (Guichonnet, 1955, pp. 261-267) et (Eynard-Machet, 1993, pp. 54-56).
53 (Guichonnet, 1955)
54 (Nicolas, 1978 rééd. 2003)
55 (Musée Savoisien, 1981)
56 Site internet : http://www.savoie-archives.fr/1233-plans-cadastraux-en-ligne.htm
57 Dominique Barbero est chercheur à l’Institut des Sciences de l’Homme. Il a soutenu un doctorat à Lyon III intitulé Représentation cartographique d’une image vécue : le cadastre sarde. Essai de géographie historique (Barbero D. , 2001).
58 (Barbero D. , Une base de données territoriales et patrimoniales : le cadastre sarde, 2002)
59 Méthodologie pour l’analyse des dynamiques paysagères à partir d’archives cadastrales (XVIIIe et XIXe siècles). L’étude de cas d’un village savoyard : Sardières (Baud, 2009).
60 Se reporter à : Première partie, 4.5 sur l’histoire des frontières aux Marches.
61 Les mappes sont reproduites en Annexes. © ADS
62 Voir figure 38.
63 La mappe d’Apremont mesure 300×152 cm. La mappe des Marches est séparée en trois partie qui mesurent 308×150 cm, 203×55 cm et 256×97 cm.
64 La mappe sarde ne dispose pas de légendes et en l’état actuel de nos connaissances nous n’avons pas trouvé de travail précédent équivalent (ce point est à vérifier dans la thèse de Barbero qui n’a pas pu être consultée (Barbero D. , 2001)). L’organisation de ce guide de lecture s’inspire de ceux présentés dans l’ouvrage Guide de lecture des cartes anciennes (Robert & Costa, 2009).
65 Par exemple pour la mappe des Marches de 1730 la zone du village a disparu, on ne peut donc pas se servir des bâtiments remarquables comme points de calage.
66 Les cédéroms contiennent pour chaque commune des cartes au format .jpg (carte des villes et lieux dits, cartes de la nature du sol, carte des propriétaires, carte de la qualité des parcelles, et une carte générale avec les numéros de parcelles) ainsi que les données attributaires sous forme de tableur et lisibles sous Excel reprenant pour chaque parcelle toutes les informations disponibles sur les registres y compris la surface. (Barbero D. , cédérom)
67 Pour rappel en 1760 la commune des Marches a acquis un nouveau territoire autrefois rattaché à la commune de Chapareillan en France.(voir figure 21)
68 Nous remercions ici les ADS qui nous ont permis d’accéder aux originaux de ces documents parfois en très mauvais état. Ce travail sera restitué aux ADS sous la forme d’un cédérom, afin de contribuer à la conservation des originaux.
69 Voir en Annexes une proposition de lecture de ce livre d’Estime que faute de temps nous n’avons pu étudier plus avant mais qui méritera qu’on s’y arrête plus en détail. Notamment pour sa description générale du paysage du territoire de 1760 : «la plus grande partie des fonds des territoires de Chaparrillan et Bellecombes sont les vignes et les prés, y ayant très peu de champs ou pour mieux dires, presque point, point de bois et beaucoup de broussailles » ; ou encore des précisions sur la cartographie telles que « comme quantité de murgers et grosses pierres qui s’y trouvent étaient point figurés sur la mappe ».
70 On rencontre par exemple : « Corniolot », « Corniollot », « Corniole », « Corgniolo » ; « A Champ Long, « A Champlong », « A Champs Long », « Au Champ Long », « Au Champlong ».
71 Sur ce point, les chercheurs proposent de « regrouper les appellations relatives à des utilisations et des occupations des terres semblables ou proches » (Eynard-Machet, 1993, pp. 56-57). D. Baud est aussi passée par cette étape dans son travail en créant huit catégories qu’elle appelle « classe d’usage des sols : terre arable, forêt, pré, pâturage, jardin, bâti, terrain non agricole et autre. » (Baud, 2009, p. 28).
72 Sur ce point se référer à D. Baud qui discute longuement de l’interprétation à faire de Teppe (Baud, 2009).page ?

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