L’Etat dispose d’un autre moyen de stimulation du capital-risque, la fiscalité. Pour pallier la désaffection naturelle des investisseurs pour les prises de risque accrues, le législateur a progressivement créé un régime fiscal incitatif destiné à attirer les investisseurs et donc les capitaux nécessaires au développement de ces sociétés (A). La dégradation de la situation économique et la raréfaction des ressources de l’Etat tendent néanmoins à remettre en question ces dispositifs fiscaux (B).
A. Un système fondé sur l’attractivité fiscale.
L’incitativité fiscale est perceptible à deux niveaux. Au niveau des structures elles-mêmes tout d’abord. En effet, s’agissant des FCP, comme le souligne M. Storck : « Le fonds n’a pas la personnalité morale, même s’il est doté d’un nom et d’un patrimoine propre, distincts de ceux de la société de gestion et des porteurs de parts. La qualification retenue par la majorité de la doctrine est celle de patrimoine d’affectation: le FCP est une universalité structurée sous forme de patrimoine d’affectation porté par les souscripteurs de parts(26) ». Dépourvus de personnalité morale, les FCPR, FCPI et FIP ne sont donc soumis à aucune imposition. Quant aux structures sociétaires, les bénéfices réalisés peuvent être exonérés d’impôt sur les sociétés, et ce aussi bien s’agissant des SCR que des JEI ou JEU(27).
L’incitativité est également perceptible au niveau des investisseurs. Certains véhicules disposent d’avantages fiscaux à l’entrée. Ainsi, FCPI et FIP, les deux véhicules les plus spécialisés, permettent une réduction d’impôt sur le revenu correspondant à 18%(28) du montant des souscriptions, le montant maximum des souscriptions pouvant être pris en compte étant de 12 000e par personne célibataire et 24 000e pour un couple, soit une réduction d’impôt maximale de 2160e pour un célibataire et 4320e pour un couple. Alternativement à la réduction d’IR, les FCPI et FIP peuvent faire bénéficier leurs investisseurs d’une réduction de leur ISF correspondant à 45% de la quote-part investie par le fonds sur des PME éligibles à la réduction ISF (ce montant étant limité à 18 000e).
S’agissant des plus-values, des dividendes et autres revenus distribués, FCPR, FCPI, FIP et SCR permettent aux investisseurs personnes physiques d’être exonérés (sous réserve de conserver les titres pendant au moins 5 ans et de réinvestir les distributions opérées pendant cette période).
Analyse comparative des principaux véhicules.
B. Des dispositifs fiscaux affectés par la conjoncture économique.
1. La réorientation des ressources vers des investissements plus sécurisés.
La logique, appréciée dans l’abstrait, semble aisément compréhensible : plus l’investissement est dédié au financement de jeunes sociétés innovantes, plus le régime fiscal est favorable. C’est ce facteur qui explique la différence de régime entre le FCPR d’une part et le FCPI d’autre part. Pourtant, 63% des investissements en capital-risque réalisés en 2011, soit 371 millions d’euros, s’effectuent par l’intermédiaire de FCPR. Le FCPR est un outil qui certes peut être utilisé en matière de capital-risque, mais dont le champ d’action s’étend à l’ensemble des opérations de capital-investissement, et non uniquement aux sociétés innovantes. Il ne constitue donc pas à proprement parler le véhicule le plus spécialisé en la matière, ce rôle revenant très certainement au FCPI. Plus étonnant encore, cette quote-part est en hausse par rapport à 2010, date à laquelle ce chiffre ne représentait que 43% des investissements.
Ce constat démontre non seulement un certain éclatement dans l’utilisation des formes juridiques, mais également une réaffirmation de la prépondérance des FCPR dans le paysage des véhicules d’investissement, brisant ainsi la dynamique initiée par les véhicules spécifiquement dédiés au capital-risque durant l’ère ante-crise (FCPI/FIP). La part des investissements réalisés par des véhicules spécialement dédiés au capital-risque diminue donc progressivement.
Les raisons d’une telle désaffection semblent perceptibles. Dans un contexte économique difficile, les investisseurs ont tendance à limiter les risques inhérents à leurs investissements.
La rationalité des acteurs les conduit à favoriser des placements plus sécurisés, même si moins rentables. La théorie des vases communicants entre sécurité et rentabilité semble ici parfaitement applicable. Or l’incertitude inhérente au capital-risque accroît la dangerosité d’un tel investissement. Cette incertitude, inéluctablement teintée d’un a priori négatif en période de crise puisque le contexte économique nécessaire au bon démarrage d’une société innovante n’est pas favorable, conduit les acteurs à réorienter leurs investissements. Des véhicules tels que les FCPI, dont l’actif doit être composé à hauteur de 60% d’actions de sociétés non cotées innovantes, sont alors directement exposés aux fluctuations économiques.
A l’inverse, les véhicules permettant d’investir dans des sociétés qui bien que non cotées ont potentiellement déjà démontré leur viabilité font l’objet d’un traitement différencié et peuvent même constituer une alternative. L’analyse des levées de fonds effectuées en 2010 et 2011 semble confirmer cette tendance puisque les levées réalisées par des FCPR ont augmenté de 42,3% en 2011, tandis que celles réalisées par des FCPI ont diminué de 69%. La réduction de l’avantage fiscal lié aux FCPI en 2011 n’explique pas, à lui seul, de telles variations. La collecte des FCPI a subi une baisse de près de 20 % en 2011, à 358 millions d’€. Elle marque d’ailleurs le pas depuis le plus haut atteint en 2008 (567 millions d’€ collectés, contre 471 millions d’€ en 2009 et 446 millions d’€ en 2010)
Sur le fond, rien n’empêche des FCPR d’investir dans des sociétés innovantes au stade de leur création, mais le fait de ne pas passer par des FCPI pour procéder à des tels investissements démontre que la part correspondant à ces investissements sera limitée.
L’attractivité du FCPI est ainsi très dépendante de la conjoncture. Le paysage structurel français du capital-risque ne comporte pas de véhicule susceptible d’atténuer la volatilité des investissements pleinement dédiés au capital-risque. Cependant, la problématique de la baisse des investissements et des levées de fonds semble difficilement soluble par l’intermédiaire d’une structure adéquate. En effet, c’est l’incertitude qui conduit à cette désaffection pour les FCPI en période de crise. Or l’incertitude résulte de facteurs en grande partie exogènes au véhicule employé lui-même. Seule une incitation fiscale accrue pourrait susciter un certain engouement des investisseurs en rééquilibrant la balance existante entre risque de perte d’un côté et avantages inhérents à l’investissement de l’autre. Mais ce moyen d’action ne diminuerait pas pour autant l’incertitude de l’opération, tout juste aurait-il pour effet de rendre le risque de perte plus supportable. Pourtant, c’est une tendance inverse qui est nettement perceptible aujourd’hui avec la réduction de la plupart des dispositifs fiscaux incitatifs.
2. De l’incitativité à l’austérité.
Face à la nécessité d’augmenter les ressources publiques, de nombreux dispositifs fiscaux inhérents au capital-investissement ont fait l’objet de modifications. Ces réformes fiscales s’inscrivent dans une tendance plus générale de réduction des avantages fiscaux liée à un contexte de crise. Antoine Colboc, Responsable de l’activité Capital Risque de Crédit Agricole Private Equity, constate dans cette optique : « Toutes les niches fiscales étant rabotées, cette évolution ne devrait pas être de nature à modifier profondément la collecte.
l’avantage fiscal reste suffisamment significatif pour le souscripteur »(29). Néanmoins, le rôle joué par l’incitativité fiscale dans l’orientation des liquidités vers le financement de jeunes sociétés innovantes, en tant que moyen de compensation de l’incertitude, confère à ces réformes une ampleur considérable.
Ce mouvement s’est concrétisé sous différentes formes ces dernières années. En effet, la réduction d’ISF liée à la souscription de parts de FCPR a été supprimée. Le statut favorable des JEI et JEU a été considérablement revu à la baisse par la loi de finances pour 2011 et demeure bien moins incitatif qu’initialement, malgré une amélioration en 2012. Quant aux FCPI, il n’est plus possible depuis le 01 janvier 2011 de cumuler la réduction d’IR et celle d’ISF par le biais d’un seul véhicule. De surcroit, le montant des réductions a progressivement diminué, passant de 25% à 22% puis 18% du montant des souscriptions s’agissant de la réduction d’IR, et de 75% à 50% puis à 45% s’agissant des réductions d’ISF. Plus encore, l’ensemble du dispositif fiscal lié aux FCPI/FIP peut être amené à disparaître. En effet, si la loi de finances pour 2011 a procédé à une reconduction du dispositif FCPI pour une durée de 2 ans, n’en demeure pas moins le fait que ce dernier arrivera à expiration le 31 décembre 2012. De nombreuses voix s’élèvent déjà pour que le dispositif soit prorogé. Le président de l’AFIC, Hervé Schricke, parle d’une « inévitable reconduction des dispositifs FIP (Fonds d’investissement de proximité) ou FCPI (Fonds communs de placement dans l’innovation) »(30).
L’AFIC, dans son livre blanc du capital-investissement d’avril 2012 prône également une pérennisation du dispositif FCPI, déplorant les conséquences qu’aurait la disparition de ce dispositif prévue fin 2012.
De façon plus générale, le récent plafonnement global des avantages fiscaux au titre de l’impôt sur le revenu, prévu à l’article 200-0 A du Code général des impôts, limite également la portée de l’incitativité fiscale de ces véhicules. En effet, le montant total des avantages ne peut excéder 18.000 euros majoré de 4% du revenu imposable selon le barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Les nouvelles orientations politiques nationales, notamment au regard de ce qui est parfois considéré comme des « niches fiscales », joueront à ce titre un rôle majeur dans l’évolution de l’incitativité fiscale française.
La structuration des opérations de capital-risque se heurte également à d’autres types de problèmes ne pouvant être solutionnés par l’intervention unilatérale d’un Etat.
L’hétérogénéité des systèmes juridiques à l’échelle internationale peut par exemple constituer une entrave à la réalisation d’opérations transfrontières. La commercialisation de fonds à l’étranger peut nécessiter une adaptation aux règles juridiques des pays concernés. Il en est de même s’agissant des activités de gestion de fonds.
Ces barrières peuvent s’avérer d’autant plus contestables que l’Europe souffre, par rapport à d’autres pays comme les Etats-Unis, d’un déficit de structures de grande taille susceptibles de dynamiser les activités de capital-risque. Cette problématique a progressivement été prise en considération et l’internationalisation des opérations de capital-risque a été initiée à l’échelle européen avec, cette fois-ci, l’interventionnisme des pouvoirs publics européens.
26 V. Pr. Storck, De la nature juridique des fonds communs de placement, Mélanges Gilles Goubeaux, Dalloz-LGDJ, 2009, p. 509
27 Depuis le 01 janvier 2012, l’exonératuib d’US est de 100% concernant le premier exercice bénéficiaire, puis 50% s’agissant du second.
28 Et ce via la loi de finances pour 2012. (2011 : 22%, 2010 : 25%)
29 “Quel avenir pour les FCPI?” Antoine Colboc, 2011. http://www.ca-privateequity.com/sites/default/files/LETTO18.pdf
30 Entretien à l’Agefi. 12/04/2012 http://www.lerevenu.com/vos-pacements/actualites-placements/201204120122639/une-recondution-invevitable-des-dispositifs-fip-et-fcpi-.html