En matière de responsabilité pour troubles de voisinage, l’exigence d’un préjudice certain semble gravée. Pourtant, quelques décisions récentes semblent emporter un relatif assouplissement à cette condition et admettre qu’un simple risque de dommage, voir un simple risque suspectable, suffit pour fonder une action en responsabilité. Ainsi, la Cour de cassation investit très clairement le champ de la prévention .
Le risque préjudiciable est pleinement pris en compte et la jurisprudence a admis, au visa de l’article 1382 du Code civil, que « par le seul effet de la menace d’écroulement de la falaise », une propriété pouvait avoir été dépréciée et un trouble de voisinage créé . Ce risque peut donc constituer un trouble. En l’espèce, un rocher de plusieurs tonnes surplombant un lotissement menace de s’effondrer. Le maire en vient à prendre un arrêté de péril imminent et, devant la « défaillance du propriétaire » fait évacuer le lotissement puis obtient du juge des référés une ordonnance l’autorisant à procéder aux travaux ad hoc sous le contrôle d’un expert. La commune et les familles déplacées se sont ensuite retournées contre le propriétaire pour être indemnisées du coût de l’opération. Cet arrêt du 28 novembre 2007 admet que constitue une faute la négligence d’une personne à prendre les mesures à même de faire cesser le risque dont la réalisation lui serait imputable. En outre, il admet que les dépenses engagées par ceux qui ont voulu prévenir le risque ou d’y échapper, leur soient un préjudice dont ils peuvent obtenir indemnisation. On se rapproche de l’article 1344 du projet Catala qui énonce que « les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage ou pour éviter son aggravation, ainsi que pour en réduire les conséquences, constituent un préjudice réparable, dès lors qu’elles ont été raisonnablement engagées » .
Le risque futur, quant à lui, a également été admis dans certains cas. On peut notamment évoquer en la matière l’arrêt du 10 juin 2004. Dans cet arrêt, la responsabilité d’une société qui exploitait un golf avait été retenue non en raison de dommages réalisés mais dans le cadre de « risques de dommages futurs », à savoir les risques engendrés par les futures projections de balles de golf sur la propriété du voisin du terrain. Ainsi, lorsque le risque de dommage futur est suffisamment sérieux et précisément établi, il peut constituer un trouble qui, s’il excède les inconvénients normaux de voisinage, peut provoquer la mise en jeu de la responsabilité de l’auteur du trouble .
Enfin, il nous faut évoquer ici le grand problème des risques hypothétiques et notamment la question des antennes relais. Ce phénomène a commencé dans les années 2003 et le nombre d’affaire en justice se multiplie. Dans son arrêt du 4 février 2009 , la Cour d’appel de Versailles a confirmé un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre du 18 septembre 2008, qui avait accueilli favorablement la demande d’enlèvement sous astreinte d’une installation et l’octroi de dommages et intérêts aux demandeurs.
La motivation de la Cour d’appel semble toutefois alambiquée. En effet, la Cour écarte la règle de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage selon laquelle le préjudice doit être certain pour être réparable. Celle-ci se fonde cependant sur l’existence d’un trouble de voisinage qu’elle caractérise par l’exposition à un hypothétique risque sanitaire. Selon la Cour, les riverains subissent un trouble du fait de leur état de crainte légitime de ne pas être garantis d’une absence de risque sanitaire générée par l’antenne relais. La Cour d’appel de Versailles énonce qu’un trouble peut provenir non seulement d’un risque (solution communément admise) mais également de la crainte d’être exposé à un risque hypothétique. Par ailleurs, ce trouble revêt un caractère anormal dans la mesure où la concrétisation de ce risque, d’ordre sanitaire, « emporterait atteinte à la personne des intimés et à celle de leurs enfants ». Mais à force d’étendre la notion de trouble de voisinage, la Cour ne prend-elle pas à son tour le risque de provoquer un contentieux à répétition ? En substance, cet arrêt soulève la question de savoir comment le juge peut avoir recours au principe de précaution sans jamais le citer .