En effet, par un arrêt du 28 mai 2009 dont nous commenterons les faits ultérieurement, la Deuxième chambre civile de la Cour de Cassation a remis fondamentalement en cause l’autonomie de la loi Badinter (A), ce de manière tout à fait contestable au regard des règles de la responsabilité civile (B).
A. LA REMISE EN CAUSE DE L’AUTONOMIE DE LA LOI BADINTER
Dans l’arrêt précité, un véhicule d’une société a été impliqué dans un accident de la circulation alors qu’il était conduit par un préposé. L’autre conducteur, blessé, a intenté une action en réparation contre ce dernier. Comme on pouvait légitiment s’y attendre, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a fait droit à sa demande en se fondant sur le régime de responsabilité consacré par la loi Badinter. Et contre toute attente, cet arrêt fut cassé par la Cour de Cassation qui, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil et de la loi Badinter, énonça que le préposé conducteur d’un véhicule de son commettant impliqué dans un accident de la circulation et qui agit dans les limites de la mission qui lui a été impartie n’est pas tenu à indemnisation à l’égard de la victime28. La surprise provoquée par cette solution fut grande. En effet, l’autonomie de la loi Badinter du 5 juillet 1985 s’en est trouvée fortement affectée, en violation avec le principe même du «specialia generalibus derogant». Selon cette loi, le débiteur principal de l’indemnisation est le conducteur ou le gardien du véhicule impliqué dans l’accident de la circulation. Avec cette décision, le conducteur-préposé n’aura pas à répondre des dommages qu’il aura occasionnés, et conformément au régime de responsabilité civile de l’arrêt Costedoat, seule la responsabilité du commettant sera engagée. Autrement dit, lorsqu’une personne est susceptible de tomber sous le coup des régimes de responsabilité de la loi du 5 juillet 1985 et de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil, la qualité même de préposé est de nature à remettre en cause le régime spécifique d’indemnisation consacrée par la loi Badinter. La loi Badinter présentait comme avantage de définir un «responsable-coupable» là où le nouveau régime établi par l’arrêt du 28 mai 2009 désigne dorénavant un «responsable non coupable»29. Et de manière générale, cette décision fut mal accueillie par Doctrine qui conteste cette remise en cause de l’autonomie de la loi Badinter.
B. UNE REMISE EN CAUSE CONTESTABLE AU REGARD DU REGIME DE RESPONSABILITE CIVILE
L’arrêt Costedoat avait déjà considérablement changé le visage du régime de la responsabilité civile, dans un sens défavorable au commettant. Alors que dans le régime initial commettant et préposé étaient tenus à réparation in solidum, avec l’arrêt du 25 février 2000 il ne peut se soustraire à sa responsabilité que si son préposé a agi en dehors des limites de la mission qui lui était impartie. La solution ici commentée va encore plus loin puisque lorsque le préposé se rend coupable d’un accident de la circulation avec un véhicule de son commettant, c’est la responsabilité de ce dernier qui sera actionnée, au titre de sa qualité de gardien. Cette justification va à l’encontre de l’arrêt Franck qui a consacré que la garde était un pouvoir de fait et non de droit et qui, de facto, a rendu inopérante l’ancienne jurisprudence considérant que les qualités de préposé et de gardien étaient incompatibles. Le maintien ici de l’ancienne conception de la garde aurait été légitime si la Cour de Cassation en avait déduit que la victime pouvait bénéficier alors de deux débiteurs : d’une part le préposé en sa qualité de conducteur, et donc conformément à l’esprit de la loi Badinter, et, d’autre part, le commettant en sa qualité de gardien. Cependant, la Cour n’a pas retenu cette solution. Deux inconvénients découlent de l’arrêt du 28 mai 2009 : d’une part, on assiste véritablement à un durcissement de la condition du commettant qui voit, à priori, sa responsabilité systématiquement actionnée pour les dommages occasionnés par son préposé. Cette solution confirme le mouvement de déclin de la responsabilité individuelle à tel point que certains auteurs ont pu parler de «présomption irréfragable de responsabilité» pour le commettant. Et, d’autre part, en durcissant ainsi la condition du commettant, la Cour de Cassation a également crée une situation défavorable à la victime qui, sur le plan de la réparation et dans la continuité de l’arrêt Costedoat, se voit privée d’une voie de recours.
On peut ainsi légitiment se poser la question de savoir si le terme «responsabilité» a encore véritablement un sens. Monsieur Yannick JOSEPH-RATINEAU a, à ce titre, considéré que «la responsabilité est totalement détachée de la culpabilité en droit de la responsabilité civile, ce qui est extrêmement regrettable30». Cependant, au lendemain de l’arrêt Costedoat, la Cour de Cassation a rendu plusieurs décisions venant limiter le champ d’application de l’immunité du préposé qui, nous allons le voir, demeure dans certaines hypothèses bien spécifiques responsable de ses actes. Ainsi, à la question précédente, et alors que la plupart des auteurs estimaient que le terme «responsabilité» était vidé de sa substance, nous pourront adopter une position plus nuancée. Car s’il est vrai que la portée de l’immunité du préposé demeure grande, les limites qui lui sont apportées sont également importantes, à tel point que l’on pourra légitiment se demander si parler d’ «immunité» est encore opportun. La comparaison de notre régime avec celui de pays qui nous sont juridiquement proches s’avère également intéressante.
28 Cass.2e civ., 28 mai 2009, n°08-13310
29 Les petites affiches, 3 novembre 2009, n° 219 page 6, note Yannick JOSEPH-RATINEAU
30 Les petites affiches, 3 novembre 2009, note précédente.