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§2- La position des acteurs du marché

Il est particulièrement difficile de discerner une position commune des assureurs. Le
bâtonnier Farthouat, ancien bâtonnier de Paris a remarqué que les assureurs privilégient
pour l’instant une lecture restrictive de la décision du Conseil constitutionnel. Ainsi, ils
retiendraient que seuls les postes de préjudices non prévus par le livre IV du CSS pourraient
conduire à une indemnisation complémentaire.

Un certain nombre d’assureurs ont considéré que la décision du Conseil procédait d’un
changement de régime juridique. Ils retiennent que leurs contrats visent l’ancien régime et
que la rédaction d’un avenant sera nécessaire pour obtenir une garantie correspondant à
l’indemnisation découlant de la décision du 18 juin 2010. D’autres assureurs délivrent des
garanties « tous fondements juridiques ». Ces contrats couvrent donc automatiquement
l’extension de l’indemnisation qui résulte de la décision du Conseil, dans la limite du plafond
de garantie. Certains ont ainsi pris position pour une couverture d’assurance apportée sans
restriction et ce aussi bien pour le passé connu (affaires en cours non encore définitivement
jugées) que pour le passé inconnu (procédures non encore engagées). A ce jour, il y a eu
quelques modifications sur les contrats de première ligne mais tout le marché ne s’est pas
aligné pour couvrir les dommages non pris en charge par le livre IV du CSS et bon nombre
de contrats d’assurance ne sont pas adaptés, notamment les contrats dédiés aux artisans
qui représentent une population fragilisée. Il s’agit principalement de petites structures qui ne
peuvent pas ou ne veulent pas supporter le poids économique d’un contrat plus étoffé. Sont
également inadaptés les contrats des entreprises assurées auprès d’assureurs qui exercent
en libre prestation de services et délivrent des contrats plus ou moins conformes au droit
français avec des montants de garanties généralement insuffisants aux alentours de 500.000 €.

La décision du Conseil a pu susciter un second axe de réflexion pour les assureurs qui
avaient déjà été amenés à revoir leurs montants de garantie après la survenance de
sinistres graves. Certains de ces assureurs ont modifié leurs lignes de garantie « faute
inexcusable » pour adopter des schémas d’assurance que l’on trouvait habituellement pour
des clients « grands comptes » et offrir des montants de garantie différents en dommages
corporels, matériels et immatériels. Ainsi, ce qui a changé après le 18 juin 2010 est
l’existence aujourd’hui de secondes et même troisièmes lignes pour des entreprises qui ne
sont pas considérées comme « grands comptes ». En effet, de petites entreprises peuvent
être exposées de manière très forte lorsqu’elles subissent un ou plusieurs cas de faute
inexcusable. Ces contrats de deuxième ligne sont généralement des contrats « occultes »
qui viennent compléter un ou plusieurs postes de garantie déterminés, avec un poste de
garantie épuisable par année d’assurance quelque soit la source du sinistre. Ce chemin a
également été exploité pour apporter, en excédent, un complément spécifique à la garantie
de la faute inexcusable.

Il convient à présent d’exposer les positions prises par quelques assureurs de la place.
Parmi les assureurs qui garantissent les conséquences pécuniaires de la faute inexcusable,
certains sont restés silencieux quant à une éventuelle prise de position dans le sens d’une
adaptation de l’étendue ou du plafond de leurs garanties suite à l’intervention du Conseil
constitutionnel. Parmi ces assureurs, certains ont crée des groupes de travail tant sous
l’aspect souscription que sinistre.

D’autres, comme nous l’avons déjà évoqué, ont considéré qu’il s’agissait là d’un nouveau
régime juridique et qu’ainsi leurs polices restaient adaptées à « l’ancien » régime de
responsabilité de l’employeur du fait de sa faute inexcusable. Certains souhaitent également
conserver une garantie limitée aux seuls chefs de préjudices couverts par le livre IV.
Des assureurs ont tout de suite adapté leurs garanties à l’évolution jurisprudentielle comme
c’est le cas des assureurs spécialistes de la construction, regroupés au sein de la SGAM
BTP (SMABTP, Auxiliaire, Camacte), qui assurent d’ores et déjà les nouveaux postes de
préjudices sur l’ensemble de leurs contrats avec des plafonds de garantie allant jusqu’à 1
million d’Euros en première ligne. La SMABTP avait annoncé au sujet de l’évolution tarifaire
en 2011 sur ses contrats de RC pour les entreprises, que l’augmentation serait limitée à 5%,
y compris l’impact de la faute inexcusable. La décision prise a été celle de l’étalement dans
le temps et la limitation au maximum de l’impact tarifaire de la faute inexcusable. De plus, un
complément de garantie de seconde ligne peut être apporté pour toutes les entreprises avec
un plafond de 5 à 20 millions d’Euros. Un récent contrat apporte un complément spécifique
de garantie, autonome, au titre de la faute inexcusable.

L’assureur Chartis a également annoncé inclure la nouvelle analyse de la jurisprudence dans
son indemnisation. Il souhaite cependant procéder à une étude dossier par dossier
concernant l’exposition au risque « faute inexcusable » afin d’évaluer la nécessité de
procéder à quelques aménagements contractuels et notamment l’adaptation des franchises
et l’application d’une prime additionnelle en cas d’augmentation de la sous limite « faute
inexcusable ». Ainsi, une augmentation du montant de la garantie peut être proposée
moyennant surprime (Generalli, Zurich Insurance). De même, l’assureur Albingia a modifié
son contrat qui couvre désormais « le règlement des indemnités complémentaires versées
au titre des dommages non couverts par le livre IV du CSS ». Le montant de garantie pour la
« faute inexcusable tous dommages confondus » par année d’assurance est variable de
500 000 € à 1 500 000 €. Cette extension justifie pour cet assureur une majoration tarifaire
variant de 5% à 15% suivant les montants de garantie accordés.

Gan Eurocourtage a aménagé les conventions spéciales de son contrat qui stipulent qu’est
garanti le remboursement des indemnités versées aux bénéficiaires par l’employeur au titre
de l’indemnisation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du CSS pour
les procédures non jugées définitivement et à venir. L’assureur évoque « les sommes
versées par l’employeur » en opposition avec les « sommes versées par la CPAM » pour les
indemnités visées au livre IV du CSS. Ainsi, il considère que les caisses ne pré-financeront
pas les indemnisations complémentaires.

La mise en conformité de la garantie peut être faite par voie d’avenant ou lettre-avenant
(Camacte, Zurich Insurance, HDI, Allianz). Elle peut également intervenir au fur et à mesure
des arrivées d’échéance (Axa).

La date de prise d’effet de cette garantie étendue varie d’un assureur à l’autre. La date
logique devrait être celle du 19 juin 2010, elle est donc délivrée par certains avec effet
rétroactif à cette date (Allianz, Gan Eurocourtage). Certains ont prévu une prise d’effet au 1er
janvier 2011, d’autres en juin 2011 (CNA Europe, GAN Eurocourtage). Mais cette prise
d’effet est prévue immédiate pour l’ensemble des sinistres « faute inexcusable » non encore
réglés. Ceci est logique puisque la décision du Conseil est d’application immédiate aux
affaires non définitivement jugées.

Pour conclure, les acteurs du marché ne s’étant pas tous positionnés, nous avons ici retracé
quelques tendances mais aucune position commune n’est identifiable. Nous pouvons
cependant affirmer que tous les assureurs devront à terme adapter leurs garanties aux
nouveaux termes de l’indemnisation. Car si leur soumission à la décision du Conseil d’une
part et la date d’effet de cette soumission d’autre part, peuvent encore faire l’objet de
discussions, cette situation ne pourra pas perdurer, la Cour de cassation ayant déjà appliqué
la réserve d’interprétation et sera sûrement amenée à préciser la soumission des assureurs
à la décision du Conseil. La jurisprudence judiciaire liera à coup sûr les assureurs,
l’incertitude qui existe aujourd’hui ne concerne pas cette mise en conformité des garanties
d’assurance, mais les questions en suspens évoquées précédemment notamment à propos
l’avance des caisses et l’étendue des préjudices indemnisables.

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